Libération : Les Britanniques trop contents d'un non français
http://www.liberation.fr/page.php?Article=292468La Constitution européenne offre des avancées sociales qui ne sont pas du
goût des défenseurs du libéralisme anglais.
Les Britanniques trop contents d'un non français
Par John MONKS
mercredi 27 avril 2005
Comment ne pas être interpellé lorsque l'on sait que les Britanniques,
chantres du libéralisme, redoutent les avancées sociales que porte la
Constitution européenne ? Qu'est-ce qui les dérange ?
La partie économique et sociale apporte des avancées. En effet, elle énonce
des valeurs et des objectifs importants du point de vue social et syndical
(« plein-emploi», «économie sociale de marché»). Elle intègre la charte des
droits fondamentaux juridiquement contraignante et elle consacre également
le rôle des partenaires sociaux au niveau européen.
Durant la conférence intergouvernementale, le Royaume-Uni a largement oeuvré
pour limiter les avancées sociales contenues dans le texte, notamment contre
le droit de grève prévu dans la charte. Si, de ce côté de la Manche, les
partisans du non reprochent à cette Constitution d'être trop libérale,
outre-Manche, les opposants du traité constitutionnel la trouvent trop
sociale : elle va à l'encontre du modèle anglo-saxon qui prône
l'ultralibéralisme et combat l'intervention de normes européennes qui
favoriseraient plus d'Europe sociale. Des droits sociaux accrus ne sont pas
les bienvenus au Royaume-Uni.
Ce n'est pas cette Europe que je veux pour les travailleurs européens. Je
défends le modèle social européen contre le modèle anglo-saxon, c'est
pourquoi je veux m'appuyer sur la Constitution et les avancées sociales
qu'elle offre pour renforcer le modèle social européen basé sur le dialogue
social, des services publics efficaces, une protection sociale pour tous,
autant d'éléments inscrits dans cette Constitution. Le contraire de ce
modèle social est celui qui est défendu par le gouvernement britannique qui
a tout intérêt à voir échouer ce grand projet. C'est un des enjeux de ce
référendum.
Si la France vote non au référendum sur la Constitution, je devine à
l'avance quelle sera la déclaration du gouvernement britannique au lendemain
du 29 mai, et je voudrais d'ores et déjà en informer les Français. En effet,
il y a fort à parier que nous lirions dans les journaux britanniques la
chose suivante :
«Suite au résultat négatif du référendum français, le Premier ministre
britannique a déclaré : nous regrettons vivement que le peuple français ait
rejeté sans appel la nouvelle Constitution européenne. Nous le regrettons,
même si ce résultat ne nous étonne pas.
Ce qui a été rejeté, c'est l'approfondissement de la construction
européenne, y compris le concept d'Europe sociale, imaginé notamment par
Jacques Delors.
Le vote français a, de toute évidence, été influencé par les craintes liées
au chômage, aux délocalisations et à l'allongement des horaires de travail.
De nombreux électeurs français semblent penser que l'Europe peut rester à
l'écart de la mondialisation et s'abstenir de devenir compétitive dans tous
les sens du terme.
Ils ont été encouragés dans cette opinion à mon avis, injustement par
les hommes politiques français de tout bord, y compris le président Chirac,
qui a, notamment, torpillé les récentes propositions de la Commission
européenne relatives à la libéralisation des services (directive
Bolkestein), mesure essentielle pour l'avenir de l'Europe. Les Français
défendent un statu quo consistant en un taux de chômage élevé et une faible
croissance ; or ce système est en train d'échouer complètement au moment où
le commerce mondial se développe et où certains pays européens, dont le
Royaume-Uni, affichent une croissance plus forte que dans la zone euro.
A mon sens, ce vote exclut également une Europe à deux vitesses ou à
géométrie variable. Après un tel résultat, la France espère-t-elle faire
encore partie du peloton de tête ? Et dans quels domaines ? La politique
fiscale ? Certainement pas, à juger des difficultés auxquelles l'euro et son
pacte de stabilité et de croissance sont confrontés, et qui sont dues
principalement aux problèmes économiques de la France et de l'Allemagne.
Une Europe plus sociale ? Quiconque pense que la dimension sociale de
l'Europe pourrait être renforcée dans une nouvelle Constitution se fourvoie.
Vu le taux de chômage élevé et la faiblesse de la croissance, l'Europe n'a
vraiment pas besoin d'un surcroît de droits sociaux, d'une protection
sociale renforcée, d'une législation du travail plus rigide et d'une
réduction de la flexibilité.
L'alternative est claire : il nous faut une Europe qui prenne la forme d'un
marché ouvert, une Europe en expansion mettant en avant l'entreprenariat et
la compétitivité, et dont la politique sociale se limite à aider les
personnes à s'adapter aux changements, une Europe qui renonce à ses
ambitions démesurées et hégémoniques et qui reconnaisse que son avenir
réside dans une association d'Etats membres basée sur la méthode
intergouvernementale, et non sur une Commission européenne non élue. Voilà
ce que les électeurs français ont voulu souligner.»
Je suis radicalement opposé à ce point de vue qui pourrait être donné par le
gouvernement britannique après un éventuel refus de la Constitution par la
France. Si la France vote non, les Britanniques crieront inévitablement
victoire.
John Monks secrétaire général de la Confédération européenne des syndicats
(CES).
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