La défense d'une «boisson agricole»
Le lobby des viticulteurs veut sortir le vin du champ d'application de la loi Evin.
Par Frédéric PONS
jeudi 26 février 2004
«La Sécurité routière joue un grand rôle dans la baisse de la consommation de vin.» Maurice Large, producteur de beaujolais es viticulteurs et les négociants sont remontés et le font savoir. Alors que les Français confirment leur désamour pour le vin et que l'exportation pique du nez (lire ci-contre), la filière et ses 300 000 emplois manifestent et rameutent leurs appuis parlementaires : à trois semaines des élections régionales, le lobby du vin est aujourd'hui en ordre de bataille.
Hier, à Chalon-sur-Saône, proche du vignoble de Bourgogne, ils étaient environ 2 500 venus de toute la France pour dénoncer une supposée «prohibition» due à la loi Evin, et défendre une consommation «conviviale». Avec le renfort, sur place, de quelques figures locales comme Jean-Pierre Soisson, président UMP de la région Bourgogne. Et le soutien, plus discret mais non moins actif, de plusieurs parlementaires, toutes étiquettes confondues : tandis que Jean-François Mattei, le ministre de la Santé, s'efforce de dénoncer les dangers de l'alcoolisme, notamment au volant, un groupe de 14 sénateurs emmené par Roland Courteau (PS, Aude) vient de déposer une proposition de loi qui voudrait relancer la consommation. Elle vise à établir une distinction légale entre le vin, «boisson agricole», et les alcools, notamment ceux que les fabricants mélangent à des sodas pour séduire les jeunes. Objectif : sortir le vin du champ d'application de la loi Evin, qui encadre rigoureusement la publicité pour toutes les boissons alcoolisées et limite leur vente aux mineurs.
Le sénateur de l'Aude n'hésite pas à défendre le «rôle bénéfique d'une consommation régulière et modérée de vin» pour la prévention des accidents cardio-vasculaires et d'autres pathologies comme le diabète, la maladie d'Alzheimer ou certains cancers. Un point de vue qui risque d'agacer l'Association nationale pour la prévention de l'alcoolisme (ANPA), déjà très remontée : après avoir fait interdire récemment une campagne de pub des professionnels bourguignons par le TGI de Paris, elle vient d'assigner en référé les viticulteurs bordelais pour leur nouveau slogan «Buvons moins, buvons meilleur». Ce qui rend les viticulteurs encore plus paranos : les voilà qui s'attaquent à la prévention routière. «La Sécurité routière joue un grand rôle dans la baisse de la consommation de vin», regrette Maurice Large, producteur de beaujolais.
Hier après-midi, à Paris, les représentants de la filière ont rencontré longuement Hervé Gaymard, le ministre de l'Agriculture. Rien n'a filtré. Mais les professionnels menacent. «Si demain notre légitime préoccupation n'était pas comprise, nous serions amenés à lancer des mots d'ordre peut-être moins civiques», a averti Jean-Michel Aubinel, patron de l'Union des syndicats d'appellation de Saône-et-Loire.
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