Malek Boutih, secrétaire national du PS chargé des questions de société,
Grand jury RTL-Le Monde-LCI, 26/10/03.
Malek Boutih : - Sur la question du cannabis, je pense qu'il y a une
hypocrisie totale sur ce sujet, parce qu'il est devenu un produit de
consommation massif en France, qui touche des personnes de différentes
générations et de différents statuts sociaux, et par contre officiellement
ça n'existe pas, moyennant quoi il y a une véritable mafia qui est en train
de se construire là-dessus, sur la prohibition, qui est en train de
gangréner les quartiers, qui est en train de corrompre des populations
entières. À travers le cannabis, il y a un modèle social qui est en train
de se dessiner : l'argent de la drogue comme seul avenir pour toute une
génération. Je ne suis pas d'accord là-dessus. Je crois qu'à un moment ou à
un autre la responsabilité des politiques c'est de se dire "il faut
reprendre ça en main, il faut tout réencadrer et il faut maîtriser les
phénomènes quand ils deviennent aussi importants".
Ruth Elkrieff : - Mais est-ce que votre parti sera d'accord là-dessus ?
Gérard Courtois, Le Monde : - Très concrètement, avant de répondre à la
question de Ruth, il faudrait au fond faire pour le cannabis ce que l'Etat
a fait pour le tabac ?
MB : - D'un certain point de vue, oui.
GC : ...avec des taxes et des buralistes qui distribueraient...
MB : - avec un contrôle. Peut-être qu'il y a une attention particulière à
avoir qui est plus forte que sur le tabac, parce que ce n'est pas
exactement le même produit, en matière de protection des jeunes, en matière
d'un certain nombre de catégories qui peuvent être en difficulté face à ce
produit-là, mais oui je crois que la démonstration est faite que ce qu'on
laisse faire dans les zones grises, c'est terrible parce que c'est en train
de tout détruire : ça détruit la notion d'autorité, on parle souvent de ça,
comment retrouver l'autorité des pouvoirs publics etc, mais comment il peut
y avoir de l'autorité dans un pays où c'est interdit, et où tout le monde
fume des joints dans tous les films, dans toutes les émissions de télé, où
chacun le fait... ben qu'est-ce que c'est que cette histoire ?
Y a un moment où il faut remettre les choses sur leurs pieds, et le
deuxième problème qui est pour moi aussi une grande priorité, je vous le
dis, c'est le développement du commerce clandestin qui se fait autour de
ça, et qui brasse aujourd'hui en milliards d'euros. Et il faut se rendre
compte que c'est une manne qui est une manne d'un développement de
gangstérisme qui est très dangereux parce que c'est tout une partie de la
population qui est en train de se faire marginaliser.
Il y a derrière le débat sur la drogue, un débat d'organisation politique
de la société. Je ne veux pas que mon pays ressemble à la société
américaine et à ses ghettos et où, de père en fils, on est dealer parce
qu'il n'y a pas d'autre avenir que d'être dealer quand vous êtes black ou
d'une minorité dans ce pays-là. Voilà. Moi, j'aspire à un autre avenir pour
mes petits frères et mes petites soeurs, que celui un jour d'être
pourvoyeur de drogue dans la bonne société. Voilà. C'est pour ça que ce
débat doit être posé d'une autre manière et c'est pour ça qu'il faut le
voir les yeux grands ouverts. Après, il y a une responsabilité de l'Etat de
ne pas laisser faire tout et n'importe quoi. Ce que je constate, c'est que
toute la politique actuelle, qui est menée maintenant depuis trente ans -
1970, la loi sur la prohibition - les résultats sont terribles, hein,
aujourd'hui on est le pays qui est en tête dans la consommation de
cannabis, on est le pays qui a les plus mauvais comportements, hein...
RE : - Ça pourrait changer, oui.
MB : - Oui, je crois que ça pourrait changer.
GC : - Vous avez le sentiment que le PS est prêt à vous suivre là-dessus ?
MB : - Je ne sais pas, y aura un débat... Vous savez, le Parti Socialiste,
faut être honnête, ça ressemble assez à la société française, c'est-à-dire,
il y a tout dedans : il y a des ringards, il y a des gens qui sont plus
ouverts, voilà, c'est vrai. Il y aura un débat, mais je pense que c'est un
débat, qui aujourd'hui, où un parti doit montrer qu'il est utile. Ça fait
partie de ces sujets-là qu'on n'aborde jamais dans le domaine politique,
tout le monde a son mot à dire sur l'inflation, personne sur le pétard. Ben
je vous dis, y a plus de gens qui sont concernés par ça, parce que ça a
beaucoup plus de conséquences, donc il faut un jour aussi, en parler...
RE : - ...l'inflation aussi...
MB : - Oui mais l'inflation ça va, on maîtrise, ça fait quand même vingt ans.
(...)