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Nazim, travailleur social à La Courneuve, commente la visite et les propos de Sarkozy :
«C'est au sens matériel qu'il faut nettoyer»
Par Ludovic BLECHER
mercredi 22 juin 2005 (Liberation - 06:00)
Nazim, 26 ans, est travailleur social à l'association Africa, implantée depuis 1987 dans la cité des 4000 pour soutenir les enfants en échec scolaire, apporter une aide juridique aux immigrés et promouvoir des activités culturelles.
Quelle a été la réaction des habitants à la très médiatique visite de Nicolas Sarkozy, lundi ?
La plupart de gens ont eu cette remarque : «Au moins, lui n'a pas peur de venir.» De mémoire, et je connais ce quartier depuis que je suis adolescent, c'est la première fois qu'un ministre de l'Intérieur se déplace ici. Pour les gens du quartier, y compris les jeunes qui le rejettent en temps que représentant de l'Etat, Sarkozy a une image positive parce que c'est un mec qui se bouge. La preuve en a été faite dès le lendemain.
Mais n'a-t-on pas assisté, hier, à une opération de police spectacle ?
On voit le ministre lundi et, le lendemain, on voit des flics. C'est tout ce que les habitants retiennent. Seuls les gens qui ont plus de recul enseignants, associatifs, municipalité, etc. savent bien que cette descente n'est qu'un coup de publicité. Médiatiquement, c'est une façon de dire : «L'Etat pense à vous. Les habitants des 4000 aussi ont droit à la sécurité.» Mais je suis persuadé que dans deux jours il n'y aura plus un policier et que ça n'accélérera pas la destruction des grandes barres prévue seulement à partir de 2009.
Pourquoi ne croyez-vous pas en la détermination du ministre de l'Intérieur ?
Si les politiques avaient voulu mettre des moyens pour se débarrasser de la petite délinquance qui existe réellement et depuis longtemps dans ce quartier, ils l'auraient fait depuis longtemps. Chacun sait où ça deale et qui est qui. La montée de la violence est liée à la dégradation des conditions de vie et tout le monde a laissé faire. Les grandes barres de la cité où est mort cet enfant, c'est le tiers-monde : il y a des odeurs impossibles, aucun ascenseur ne fonctionne, des sacs poubelles traînent partout, les vitres sont cassées. Les gens n'en peuvent plus. Dès qu'ils en ont les moyens, ils partent. Ceux qui restent vivent du chômage ou des minima sociaux pour la plupart. Tout cela crée un cocktail explosif.
Une présence policière plus forte est-elle nécessaire ?
Les jeunes n'en veulent pas parce que le flic symbolise cet Etat qui les laisse dans la merde. Les plus vieux, ceux qui essaient de construire la vie de leurs enfants, y sont favorables. Ils souhaitent moins de violence, moins de trafics. Je ne suis pas dans un discours antipolice mais un constat s'impose : aujourd'hui, il n'y a pas de dialogue possible entre les jeunes et la police. Il faut former les policiers pour qu'ils trouvent les mots qui leur permettent de renouer avec les jeunes. Ça ne va pas sans un travail en profondeur de prévention, d'éducation civique, et, dans les cas où il n'y a plus que ça à faire, de répression.
Lundi, Nicolas Sarkozy a déclaré : «Je mettrai les effectifs qu'il faut, mais on nettoiera la cité». Ça vous fait bondir ?
Ce serait plutôt la cité au sens matériel qu'il faut nettoyer quand on voit l'état de crasse dans laquelle elle se trouve. Je ne suis pas contre les paroles dans l'absolu mais on sait que ça ne marche pas. Les politiques, de droite comme de gauche, font de grandes promesses, des effets d'annonces, mais rien sur le fond ni la durée. La vie continue de se dégrader lentement et de temps en temps ça explose, comme dimanche.
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