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Constitution, brevets logiciels : premières manœuvres d’étéMardi 28 juin 2005
Hier, le groupe Vert au Parlement européen avait invité des représentants des mouvements sociaux européens à une Conférence sur l’avenir de l’Europe : le debriefing et le brain storming de l’après-Non. Excellente, vraiment excellente réunion. Beaucoup, prévenus trop tard, n’avaient pu venir, par exemple Jean-Pierre Dubois, le nouveau président de la Ligue des Droits de l’Homme française. Mais la représentation des pro-européens, du Oui comme du Non, était de haut niveau. Une représentante d’Attac Autriche, un représentant d’Attac France et de la FSU, Pervenche Bérès (présidente de la Commission économique et monétaire du PE, et fabiusienne), Philippe Herzog (plusieurs fois député communiste européen et aujourd’hui animateur de Confrontation), deux représentants de le Confédération européenne des syndicats (dont Joël Decaillon, issu de la CGT), des syndicalistes allemand-e-s ou autrichien-ne-s, un animateur du Forum social italien, une animatrice du remarquable site CaféBabel (elle aura ce mot décisif : « la pause n’est pas la sieste »), des représentants du Mouvement Fédéraliste Européen, j’en passe et des meilleur-e-s... La discussion s’est étendue sur toute la journée, on s’est quittés très satisfaits et revigorés.
Premier consensus, sur le bilan : l’inquiétude devant la montée générale de la xénophobie, et pas seulement en France ou en Hollande. Les Allemands nous sortent quelques citations carabinées d’Oskar Lafontaine, héraut du Nein allemand. Les syndicalistes rappellent que la xénophobie est une réponse au chômage de masse aussi vieille que le mouvement ouvrier. Lors d’une récession du début du siècle dernier, Jean Jaurès avait dû monter précipitamment dans le Nord de la France pour combattre la tendance à renvoyer les immigrés Flamands.
Second consensus : il est tout à fait normal, surtout pour des gens comme nous qui sommes contre la dictature de l’unanimité, que les pays qui veulent continuer à se prononcer sur le projet de TCE le fasse. Les Non français et hollandais ne peuvent suffire à invalider les Oui d’une dizaine d’autres pays ni empêcher les pays restant de se prononcer, c’est une question de principe. Cela dit, on ne pourra rien faire sans ces deux pays fondateurs de l’Union, donc il faudra bien qu’ils revotent un jour, et ce ne peut être sur le même texte. Par ailleurs, l’absurdité de ce vote égrené sur un an et demi et sur 25 circonscriptions donne un poids démesuré à un seul Non par rapport à une multitude de Oui. La seule façon d’éviter ce paradoxe (les Verts l’avaient toujours dit !), c’est que tout le monde vote au même moment. Le prochain texte devra être adopté par un référendum européen, éventuellement remplacé par un vote parlementaire dans les pays où, pour des raisons qu’il est inutile de rappeler, le référendum a fort mauvaise presse.
Mais bien entendu, le vrai problème est : « sur quel texte ? » Il ressort du débat que la question est compliquée. Un référendum constitutionnel ne peut porter que sur des textes constitutionnels. Les Verts avaient proposé en 2004 que la troisième partie n’ait pas un statut constitutionnel, mais un statut intermédiaire entre loi et constitution, en quelque sorte un statut de loi organique. Là-dessus aussi il y a consensus maintenant, bien au-delà de nous. Et quand je dis « troisième partie », je précise qu’il faut en finir avec l’idée absurde qu’elle n’aurait été qu’une compilation des traités antérieurs. Au contraire, elle définissait domaine par domaine ce qui relève de la compétence nationale, ce qui relève de la compétence partagée, ce qui relève de la compétence exclusive de l’Union européenne, et dans ce dernier cas, ce qui se décide à l’unanimité des gouvernements et ce qui se décide à la majorité du parlement et du conseil. Par ailleurs, elle contient des orientations politiques, (ce qui n’a rien de scandaleux, même pour une constitution ! ), ces orientations méritant parfois un statut constitutionnel : par exemple, les six premiers articles, dit « horizontaux », et notamment le fameux article 122 sur l’obligation de financer les services publics en Europe, qui est d’ailleurs le résultat du combat de la plupart des gens ici présents, lors de la Convention. Il aurait été plus simple de voter sur cette liste et ces principes « horizontaux ». Enfin, ce découpage lui-même (ce qui n’est pas de compétence européenne et ce qui l’est, ce qui est inter-gouvernemental et ce qui est communautaire) doit être évolutif et pouvoir être révisé plus facilement que le noyau dur de la Constitution, c’est-à-dire les parties I, II et IV.
Le problème, c’est que, pour redonner envie d’Europe, il ne suffit pas de proposer une constitution, c’est-à-dire des règles formelles de prise de décision . Il faut du substantiel, c’est-à-dire proposer aux gens un paquet mettant en lumière ce qu’ils peuvent gagner immédiatement grâce à l’Europe. Il faudrait en quelque sorte faire un paquet comprenant à la fois une Constitution et des politiques.
Toutefois, le débat souligne que le TCE contenait quand même un sacré bifteck : la constitutionnalisation de la seconde partie. Comme nous l’expliquent unanimement les syndicalistes et le représentant du Forum social italien (qui est un juriste), cette constitutionnalisation des valeurs et des droits avaient à leurs yeux de multiples fonctions :
C’est bien cette seconde partie qui définissait le socle idéologico-culturel fondant l’espace politique européen. C’est à partir de cette Charte des droits que l’on pouvait définir qui avait vocation à participer à l’Union ou pas.
Pour ces syndicalistes et ces juristes, elle représentait une sorte d’étalon d’équivalence pour la conquête des droits sociaux, démocratiques, écologistes, féministes etc dans les législations nationales vingt-cinq pays de l’Union. De ce point de vue, selon eux, l’absence de référence à certains droits législatifs déjà conquis dans la majorité des pays de l’Union ne pouvait être une raison pour la rejeter : les formulations générales que contenait la Charte pouvaient au contraire servir de base pour aider à leur conquête au niveau national . (J’ai pensé à ce moment-là à la liste des services publics, au droit à l’avortement etc. Par ailleurs, la montée du sarkozysme en France souligne la fragilité - purement législative - de l’abolition de la peine de mort en France. Avec le TCE elle aurait pris valeur constitutionnelle)
Comme l’a bien expliqué Joël Decaillon à l’approbation générale, la Charte pouvait même servir de vecteur des positions européennes dans les négociations internationales sur les droits sociaux, notamment dans le cadre des négociations sur les traités commerciaux.
Cela dit, une Charte des droits n’est pas très sexy pour les victimes du chômage et de la précarité. Ce que les gens peuvent attendre de l’Europe (puisque, semble-t-il, malheureusement, il n’y a plus que les aînés pour se souvenir que l’Union fut d’abord construite pour établir la paix en Europe), c’est le retour du plein emploi et d’une relative prospérité. Or, comme le fait remarquer Philippe Herzog, une « convention sociale » des vingt-cinq ou vingt-sept pays d’Europe ne peut pas traiter des problèmes macro-économiques, puisque ceux-ci ne peuvent être valablement abordés qu’au sein de la zone euro.
Ainsi est allée la réunion, ouvrant des pistes fructueuses, mais nuançant des solutions qui pouvaient sembler évidentes. Ainsi, la proposition des Verts français de réclamer un pouvoir constituant pour le prochain Parlement européen, si elle prend acte avec regret que rien ne se passera probablement de décisif avant 2009, ne prend pas en compte une des données du 29 mai et encore plus du Nee hollandais : le décalage général entre la classe politique et ses électeurs, et le besoin de participation plus ou moins organisée de la société civile à l’élaboration même de la Constitution. D’un autre côté, comme l’avaient remarqué de façon vétilleuse beaucoup de partisans du Non, seule une assemblée élue et mandatée pour le faire a peut-être la légitimité pour proposer un texte. Encore que... Il est facile de rappeler que ce ne fût jamais le cas dans la longue histoire de la République française. La première constituante ( celle de la Révolution) n’étant qu’une section auto-proclamée des Etats généraux, et n’avait accouché que d’une constitution qui n’a pas duré, la constituante de la Quatrième république a vu son texte retoqué par référendum...
Bref, ce ne fût qu’un premier débroussaillage. On se reverra !
Mardi, branle-bas de combat sur les brevets logiciels. Toute la gauche et quelques dissidents de la droite se sont mis d’accord sur une liste d’amendements permettant de consolider le rapport Rocard afin d’exclure toute possibilité de breveter les logiciels (et encore moins les idées de logiciels). Notre shadow-rapportrice, Eva Lichtenberger, a fait imprimer un adorable petit carton exprimant les trois raisons fondamentales de s’opposer au brevetage des logiciels. On le distribue dans les boîtes aux lettres de tous les députés. Nos bureaux et ordinateurs sont occupés par des volontaires lobbyistes qui organisent la mobilisation. Des petites manifestations à Bruxelles et la semaine prochaine à Strasbourg sont programmées sur le thème d’une bouée de sauvetage : « Save Our Softwares ».
Débat mardi prochain, vote mercredi ! Qu’on se le dise, et qu’on ne perde pas de temps à inonder les députés écologistes et de gauche pour leur dire de bien voter, ils le savent. Concentrons la pression sur les députés de droite.