Un consommateur "fréquent" de cannabis sur cinq estime difficile de s'en passer toute une journée
LE MONDE | 17.05.05 | 13h00 • Mis à jour le 17.05.05 | 13h00
Qui sont les usagers "fréquents" de cannabis en France ? A défaut de pouvoir réaliser une enquête classique sur ce produit illicite, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a mené, en 2004, une étude auprès de plus de 1 500 personnes âgées de 15 à 29 ans et fumant au moins 20 joints par mois ou consommant du cannabis au moins 10 jours par mois, ce qui écarte la consommation purement festive.
Publiée dans le Bulletin épidémiologique hebdomadaire daté du mardi 17 mai, l'enquête met en évidence une population masculine pour plus des deux tiers et rencontrant des difficultés pour plus de la moitié. Un consommateur "fréquent" sur cinq trouve difficile le fait de passer une journée sans cannabis.
Le cannabis est le produit psychoactif illicite le plus expérimenté en France. En 2003, 4,2 millions de personnes âgées de 15 ans à 75 ans en avaient consommé au cours de l'année et 880 000 l'avaient fait au moins dix fois dans le mois écoulé. En 2002, chez les 17 ans, 6,8 % des filles et 17,7 % des garçons avaient consommé du cannabis au moins dix fois dans le mois écoulé.
ACHAT À DES AMIS
Selon l'enquête de l'OFDT, l'âge moyen de début de la consommation est de 15 ans et 4 mois, plus d'un tiers des personnes (36 %) ayant commencé avant 15 ans. L'âge moyen de début d'une consommation hebdomadaire est de 16 ans et 11 mois, un peu moins d'un tiers (30 %) des répondants ayant atteint ce niveau avant 16 ans.
Les modalités d'approvisionnement sont diverses. L'acquisition par le biais d'Internet est marginale : 2 % des personnes interrogées. Un quart des répondants (24 %) cultivent eux-mêmes le cannabis qu'ils consomment. Le moyen le plus fréquemment cité est l'achat à des amis (78 %), devant les cadeaux (66 %) et l'achat à des dealers (59 %). L'achat à l'étranger (18 %) semble plus occasionnel. La médiane du budget mensuel consacré à l'approvisionnement en cannabis s'élève à 80 euros, sachant que le prix médian du gramme est de 3,3 euros.
De même que pour l'approvisionnement, les formes de cannabis consommées et les modalités d'usage sont multiples : l'herbe est la plus utilisée (91 %), suivie de près par la résine (le "shit" , 85 %), loin devant l'huile (9 %). Près d'une personne sur deux a eu recours à un autre mode de consommation que le joint (qui mélange le cannabis et le tabac), notamment en fumant de l'herbe pure. Un consommateur sur cinq (21 %) a ingéré du cannabis sous forme d'infusion ou d'aliment ("space cake" ).
"Cette diversité témoigne du fait qu'il n'y a pas une manière unique de consommer le cannabis, explique Pierre-Yves Bello responsable de l'enquête de l'OFDT. Cette étude nous montre à quel point il fait partie de la vie quotidienne de ces usagers "fréquents"."
Ce phénomène, distinct des motivations festives, est confirmé par la proportion d'usagers déclarant consommer du cannabis par habitude : 45 % le font souvent ou toujours et 30 % parfois.
L'étude de l'OFDT met en évidence la fréquence des difficultés sociales rencontrées par les usagers, "la consommation de cannabis étant plutôt une conséquence qu'une cause de ces difficultés" , selon M. Bello. Ainsi, 43 % des usagers interrogés ont eu au moins un problème avec la loi lié à leur consommation au cours de l'année écoulée, et 39 % ont connu des disputes et des problèmes d'argent. Le chômage est le facteur le plus fréquemment associé à ces problèmes.
L'OFDT constate également, dans une autre étude publiée dans la même publication, des variations très importantes de la concentration en principe actif (tétrahydrocannabinol, THC) du cannabis, en fonction des lieux. Réalisée dans quatre sites différents, l'enquête montre des taux variant de 1 à 24 pour la résine (96 échantillons) et de 1 à 79 pour l'herbe (145 échantillons). Les taux les plus élevés ont été relevés à Lille, probablement du fait d'une plus grande présence de cannabis provenant des Pays-Bas. Aucun échantillon ne contenait d'autre produit psychoactif que le cannabis.
Paul Benkimoun
Un échantillon jeune et diversifié
Méthodologie. L'usage de cannabis étant illicite, il n'était pas possible de constituer un échantillon représentatif de consommateurs. Dans le cadre du dispositif Trend (Tendances récentes et nouvelles drogues), l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) a donc mené son enquête sur la base de contacts diversifiés pris sur onze lieux, dont deux départements d'outre-mer (Guyane et Martinique).
L'enquête a été conduite au moyen d'un questionnaire rempli en face-à-face : au total, 1 567 questionnaires ont été exploités.
Population. Les personnes interrogées devaient être âgées de 15 à 29 ans et consommer fréquemment du cannabis : en avoir fumé au moins 10 jours au cours des 30 derniers jours ou avoir consommé au moins 20 joints sur la même période.
Critères sociaux. Les personnes suivies en centre de soins spécialisé en toxicomanie pouvaient être contactées dès lors qu'elles avaient formulé une demande d'aide portant sur le cannabis. Les autres personnes étaient des jeunes en formation (collège, lycée, université, formation professionnelle),
ainsi que des personnes ayant une activité professionnelle ou se trouvant en difficulté sociale.
Les contacts pouvaient être pris dans la rue, dans un lieu festif ou privé. Les lieux dévolus à la réduction des risques (boutique, programme d'échanges de seringues) étaient exclus.
Article paru dans l'édition du 18.05.05