^Cybere^ a écrit:vous faites de la peine avec vos arguments, un p'tit site sympa pour comprendre ou va mener le vote oui si il avait le malheur de passer
Une petite explication
Libération : Derrière le social, la nation
Raccourci vers :
http://www.liberation.fr/page.php?Article=290807Le non de gauche sur la Constitution exprime la défense d'un imaginaire
national républicain.
Derrière le social, la nation
Par François DUBET
mercredi 20 avril 2005
Partout en Europe, les choses semblent claires : les adversaires de la
Constitution sont les souverainistes refusant que la nation cède une part
d'indépendance. C'est le cas des conservateurs britanniques identifiant la
défense de la Grande-Bretagne au marché le plus radical, et des partis
populistes d'extrême droite défendant leurs racines à l'abri des Etats et
des barrières qui les protègent. C'est aussi le cas des communistes
historiques reprenant en main une CGT trop séduite par la Confédération
syndicale européenne ; sur ce plan, rien n'a changé sauf la rhétorique,
l'antilibéralisme remplaçant les «revanchards allemands». Pour le reste, les
partis libéraux, les partis socialistes et la plupart des syndicats
acceptent un projet de Constitution, sans doute imparfait, mais certainement
plus démocratique et pas moins social que ne le furent les traités
successifs, y compris de traité de Nice, qui nous régissent et qui resteront
si le non l'emporte.
Partout, les choses semblent «normales», sauf en France où s'installe un non
de gauche identifié au refus du libéralisme sauvage, à la défense du service
public et des acquis sociaux arrachés au fil de l'histoire et de ses luttes.
En France, les revendications et les inquiétudes sociales traditionnellement
portées par la gauche basculent vers la défense d'une identité nationale :
le social devient national. On peut penser que la «spécificité française»
suffit à comprendre et à justifier cette bizarrerie. On peut aussi se
demander si cette défense d'un modèle social n'est pas, en réalité, la
défense d'un modèle national dont l'affaiblissement donne aujourd'hui le
vertige à ceux qui s'y sont identifiés.
Au-delà de la critique du libéralisme, dont une Constitution pourrait
toujours mieux nous préserver qu'une addition de traités de libre-échange,
le non de gauche exprime la défense d'un modèle républicain national ancré
au coeur de notre imaginaire politique. Plus que bien d'autres pays sans
doute, la France a construit une démocratie, une «communauté de citoyens»
dans le cadre d'un Etat national républicain conçu comme l'intégration
progressive d'une économie nationale maîtrisant ses échanges et sa monnaie,
d'une souveraineté politique autonome et puissante quand la France avait un
empire colonial, et d'une culture nationale largement identifiée à
l'universel. Ce fut la France de Jules Ferry, premier instituteur
républicain et ministre des Colonies, celle de De Gaulle incarnant la
«grandeur», et celle du Parti communiste mêlant le combat de la classe
ouvrière à l'affirmation de l'indépendance nationale. Cette France-là fut
aussi identifiée à une fonction publique beaucoup plus républicaine que
démocratique, gérée par des fonctionnaires plus que par des élus, et la
plupart de ses institutions, l'école, la SNCF, EDF... ont tiré leur
légitimité du fait qu'elles incarnaient la nation et son unité. Longtemps,
leurs agents étaient moins au service du public et des usagers qu'ils
n'étaient au service de l'intégration nationale, ce qui leur a conféré
quelque chose de «sacré» puisqu'ils travaillaient pour la République, la
nation et la Raison. La République a combattu l'Eglise au nom de la
tolérance laïque, mais, dans une large mesure, elle s'est substituée à elle
comme figure de la transcendance de la Raison et de l'unité de la communauté
nationale.
C'est cette représentation de la vie sociale qui se défait aujourd'hui. Quel
que soit le jugement que l'on porte sur la globalisation, et l'on a bien des
raisons d'être inquiet, il est clair que l'économie française est ouverte
aux quatre vents : les Français produisent pour l'exportation et consomment
des produits importés. Pour beaucoup de tenants du non, même si la France
n'est plus un empire, elle ne peut se résoudre à n'avoir que l'autonomie que
lui confère sa puissance. Quant à la culture nationale, elle résiste mais
prend eau de toute part : les industries culturelles mondiales, pas
seulement américaines, irriguent notre vie quotidienne, les migrants veulent
sans doute s'intégrer dans la société française, mais ils ne souhaitent plus
se fondre dans un «modèle français» reléguant leur identité dans la seule
sphère privée. Dès lors, cet imaginaire national républicain se défend car
tout paraît le menacer. Les sages appels altermondialistes aux régulations
économiques internationales ne résistent pas à un anticapitalisme radical
qui n'est même plus associé à un projet révolutionnaire. Sous prétexte de
refuser l'ultralibéralisme, tous les «autres», du dedans ou du dehors,
apparaissent comme des ennemis potentiels. Les revendications culturelles
sont d'emblée rejetées dans l'enfer du communautarisme, même si nous
devenons, nous aussi, de plus en plus communautaires quand une bonne partie
de la gauche ne trouve rien à redire à un manifeste contre le «racisme
antiblanc» et à la xénophobie banale contre l'entrée de la Turquie.
Dans ce contexte, tout ce qui paraît menacer le service public n'est pas une
simple défense corporatiste, c'est une atteinte au modèle républicain et,
au-delà, à la nation et à ce qu'elle a de sacré pour ceux qui l'incarnent.
Effleurer l'école d'une réforme, c'est démanteler le service public,
accroître l'autonomie des universités, c'est livrer l'éducation au marché,
toucher à la SNCF, c'est briser l'unité du territoire, rappeler aux
agriculteurs qu'ils exportent plus qu'ils n'importent, c'est porter atteinte
à leur honneur, dire qu'EDF vend ses technologies, c'est servir la France,
dire qu'il s'agit d'une stratégie capitaliste planétaire, c'est humilier une
entreprise. Décentraliser, c'est démanteler le territoire, reconnaître les
langues régionales, c'est décomposer la culture nationale. Quant à
l'individu démocratique, il devient la cible de toutes les critiques, réduit
au rang de «client» quand il se manifeste dans les institutions de la
République. Les droits des élèves et de leurs parents détruiraient l'ordre
républicain, les «foulards» et autres signes devraient être tenus aux marges
de l'espace public alors même que la ségrégation dans les villes françaises
se rapproche obstinément de celle des Etats-Unis, en faisant valoir leurs
droits, les malades porteraient atteinte à la grandeur des professions
hospitalières...
Ceux qui appellent au non de gauche ont souvent voulu une laïcité dure
envers les migrants, ils veulent que l'on ne touche ni à l'école, ni à
l'hôpital, ni aux statuts des services publics et des grandes entreprises
protégées, non seulement parce qu'il s'agit là d'intérêts corporatistes
normaux et légitimes, mais parce que ces positions sont le garant de la
République nationale et de l'honneur de ses serviteurs. Toute réforme
devient le cheval de Troie de l'étranger et de l'ultralibéralisme ; s'y
opposer, c'est défendre la République nationale. Ainsi, des craintes et des
revendications sociales deviennent-elles des causes transcendantes, pendant
que des revendications sociales se hissent au rang de cause nationale.
L'imaginaire national-républicain transforme des revendications sociales en
défense de la nation, il fait de la défense de cette construction politique
nationale une cause sociale.
Quand la défense d'un imaginaire national-républicain se coule dans une
rhétorique anticapitaliste radicale, on finit par ne pas voir qu'une grande
partie de la gauche est tout simplement devenue conservatrice, arc-boutée
sur un modèle qui donne du sens et de l'honneur, du «sacré», au service
public. Puisque c'est la nation qui est en jeu, parlons-en car elle emporte
tout sur son passage. Les uns défendent la nation comme République et comme
«civilisation», les autres comme communauté et comme «culture». Les uns
disent non au nom d'une nation identifiée à l'universel et à l'intégration
sociale républicaine, les autres disent non au nom de la communauté quand ce
n'est pas de la race. Mais cette opposition radicale des deux non n'empêche
pas qu'elle soit liée par la nation et qu'elle agite souvent les mêmes
peurs. Aujourd'hui, la représentation de la République nationale compte plus
que les faits et ne voit-on pas l'Europe être accusée de fomenter les
délocalisations alors qu'elle peut être le seul espoir de les freiner ?
L'autre gauche, celle du oui, paie aujourd'hui sa timidité. Elle a
accompagné l'économie de marché sans assumer idéologiquement ce choix comme
celui d'une social-démocratie moderne, elle a pris en charge les plus
démunis sans jamais accepter de rompre avec ses bataillons traditionnels.
Aujourd'hui, elle semble presque muette, ses clientèles la lâchent, comme en
avril 2002, sans que les plus démunis votent ou votent en sa faveur. Il
faudra bien qu'elle se décide à affirmer pleinement ses choix et l'on
aimerait l'entendre prendre en charge l'avenir de l'Europe et le sort des
plus faibles plutôt que la peur de la catastrophe si le non l'emporte. Tout
ceci n'invite pas forcément à voter oui. Mais encore faut-il voir que,
derrière le non «social», c'est notre imaginaire national qui est en jeu,
bien plus que nos idéaux de justice et d'égalité.
Si c'est la nation qui est au centre, le oui de gauche doit montrer qu'elle
se défendra mieux dans l'Europe que seule. Elle doit surtout montrer que
tout le mal ne vient pas du dehors et qu'il nous appartient toujours de
construire une société plus démocratique, des services publics plus
efficaces, plus porteurs de justice, et que la reconnaissance et la place de
leurs agents en sortiraient plus fortes que d'un repli nostalgique. On
attend que le oui de gauche ait un dessein, celui d'un monde plus juste et
mieux protégé, et qu'il ait une mémoire, celle de la paix sur un continent
qui ne fut que guerres. La Constitution doit être défendue comme un projet,
pas comme un contrat d'assurance.
François Dubet est sociologue
© libération | designed by neo05
licence | données personnelles | charte d'édition
Syndication RSS 2.0