3.1.2.2. Effets chroniques : le syndrome amotivationnel
Le syndrome amotivationnel a été décrit par MCGLOTHIN et WEST en 1968 [86] et associe apragmatisme, apathie, perte de la capacité de projection dans l'avenir (perte de l'élan vital, à rapprocher de l'athymhormie schizophrénique), désintérêt, émoussement des affects, manque d'ambition, diminution de l'efficience intellectuelle, intolérance aux frustrations. Le champ relationnel et les capacités de communication se réduisent.
Les difficultés se manifestent souvent initialement dans le domaine scolaire ou professionnel. Le risque à long terme est celui d'une désinsertion sociale progressive du consommateur chronique de cannabis. La drogue envahit alors tout le champ de la vie psychique du sujet, et c'est dans ce cas que se trouvent les 5 à 10% de consommateurs de cannabis que l'on peut qualifier de toxicomanes.
On le rencontre essentiellement dans les cas de consommation de grandes quantités de cannabis, durant un temps prolongé. Il s'améliore à l'arrêt de l'intoxication.
L'existence de cette entité clinique reste contestée. S'agit-il des conséquences physiques de l'intoxication ? Le cannabis serait-il seulement le révélateur d'un état préexistant ?
Aux symptômes cardinaux décrits plus haut s'associent des troubles mnésiques et de concentration [56, 127]. La consommation chronique de cannabis entraîne effectivement un déficit de la mémoire à court terme, qui persiste après arrêt de l'intoxication. Il atteint également la mémoire de travail et les capacités attentionnelles [42]. Jusqu'à présent, peu d'études valables sur le plan méthodologique ont examiné les effets cognitifs du cannabis. Les difficultés méthodologiques et éthiques sont nombreuses : il apparaît difficile d'administrer à des volontaires sains une substance illicite, quant aux consommateurs chroniques, ils amènent avec eux un grand nombre de variables confondantes, notamment l'existence d'une consommation associée d'autres drogues (alcool en particulier) et d'antécédents neurologiques ou psychopathologiques. Par ailleurs, la forte lipophilie du cannabis rend inopérante toute tentative de corrélation entre taux plasmatique et taux cérébral [35].
Le déficit mnésique apparaît dose-dépendant, comme celui dû à l'alcool. L'importance de son évaluation est majeure, tant sur le plan théorique que pratique, notamment si l'on tient compte de l'importance de la consommation de cannabis chez les sujets jeunes [33].
D'autres études [76] complètent la description des troubles cognitifs en démontrant l'existence chez les fumeurs chroniques de cannabis, de difficultés à établir un compromis, à élaborer un jugement, et un affaiblissement des capacités de verbalisation et de communication.
L'étude de TENNANT et coll., [130], a porté en 1972 sur 36000 soldats, suivis sur trois ans. Elle fait état de 720 fumeurs de cannabis, dont 110 consommaient 50g de haschich par mois. C'est pour des doses de 50 à 600g de haschich par mois qu'apparaissent des troubles chroniques rassemblés sous le terme de syndrome amotivationnel et décrits comme apathie, léthargie, troubles du jugement, de la mémoire et de la concentration. L'auteur souligne le caractère réversible du tableau clinique à l'arrêt de l'intoxication. Cette étude a été, depuis sa publication critiquée par d'autres auteurs [98], qui affirment que ces observations, même si elles sont intéressantes, ne découlent pas d'une méthodologie rigoureuse, et ne peuvent être considérées que comme des éléments spéculatifs.
Certaines études par contre, et notamment celle de PAES [105], qui examine 3620 cas en 21 ans, ne décrivent pas de syndrome amotivationnel. NEGRETE [95] ne reconnaît pas non plus l'existence du syndrome amotivationnel en tant qu'entité clinique, avançant qu'il serait plutôt l'expression d'une "attitude philosophique", d'un déficit psychologique voire d'une simple asthénie physique. D'autres auteurs s'engagent dans cette voie [99].
On retiendra également l'apport de THOMAS [132], dans son article décrivant les modifications comportementales de 110 soldats américains consommant d'importantes quantités de cannabis (50 à 600 mg de haschich par mois pendant 3 à 12 mois). Il retient essentiellement des altérations cognitives : troubles de la mémoire, de la vigilance, de la concentration et du calcul mental ; des épisodes confusionnels parfois persistants ; un syndrome amotivationnel.
Le syndrome amotivationnel apparaît comme un diagnostic différentiel possible des évolutions schizophréniques déficitaires. L'inertie de la pensée est commune aux deux tableaux. Néanmoins, dans le cas du syndrome amotivationnel et contrairement aux schizophrénies déficitaires, il n'y a pas de troubles de la pensée, qui demeure cohérente, ni de discordance, ni d'éléments de nature autistique. Le consommateur de cannabis a pleinement conscience de l'état de passivité et du refus d'investissement qu'il présente. Par ailleurs, les modalités évolutives sont différentes puisque l'évolution schizophrénique déficitaire est en général une évolution terminale et non réversible, alors que nous avons vu plus haut que le syndrome amotivationnel pouvait s'amender à l'arrêt de l'intoxication.
3.1.2.3. Effets résiduels
Une intéressante étude américaine coordonnée par POPE [112], s'attache à rechercher l'existence d'effets résiduels du cannabis. Ces effets résiduels doivent être distingués des effets connus de l'intoxication aiguë, des traits de personnalité des consommateurs de grande quantité de cannabis, ainsi que des pathologies psychiatriques préexistantes qui peuvent être révélées ou aggravées par l'usage de cannabis.
Il apparaît que ces effets résiduels peuvent être différenciés en deux groupes : ceux qui sont dus à la persistance dans le système nerveux central du (9THC dans les heures et les jours suivants l'intoxication aiguë ("effets de résidu"), et ceux qui sont dus à un effet psychotrope rémanent du (9THC, même après élimination totale du principe actif ("altérations centrales").
Les auteurs proposent une revue de la littérature visant à démontrer l'existence, pour le cannabis, de ces deux types d'effets résiduels. Les études disponibles sont soit des études avec administration contrôlée de cannabis à des volontaires sains, soit des études naturalistes de cohortes de forts consommateurs chroniques de cannabis.
Les deux types d'études sont entachés de limites méthodologiques. Le premier, pour des raisons éthiques et techniques, ne peut être de durée longue, et évaluent plutôt l'existence des "effets de résidu". Le deuxième, qui pourrait évaluer les "altérations centrales", présente l'inconvénient de ne pas pouvoir contrôler la période d'abstinence avant les tests.
Les conclusions s'orientent vers l'existence d'un bref "effet de résidu" (12 à 24 heures) après la prise de cannabis. Celui-ci entraîne des altérations cognitives au niveau attentionnel, de la mémoire visuelle et verbale et des capacité visuomotrices. L'évaluation de ces altérations cognitives devrait pouvoir bénéficier d'un approfondissement (étude des composants cognitifs, par exemple organisation, encodage, stockage et décodage de l'information).
En ce qui concerne les "altérations centrales", aucune étude ne conclue de manière significative à leur existence : "il n'y a pour l'instant aucune preuve de l'existence d'anomalies cérébrales irréversibles causées par l'usage de cannabis" [23]. Le débat n'est pas clos en conclusion de cette revue, qui propose la mise en œuvre de nouvelles études, de méthodologie plus précise.
Ces effets psychotropes sont ceux que l'on peut attendre de manière "classique" lors de la consommation de cannabis. Avant de passer aux applications pathogènes, envisageons maintenant ce qu'il en est de la notion de toxicomanie au cannabis.
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source:http://www.anit.asso.fr/docs/cannabis/cannabis_31.php
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