Les cultivateurs de cannabis concurrents prennent actuellement des mesures extrêmes en vue d’éviter le vol de leurs récoltes. De plus en plus souvent, les plantations sont équipées de systèmes d’alarme ou de pièges: une situation dangereuse non seulement pour les voleurs, mais aussi pour les policiers qui veulent s’engager sur ce type de terrain.
BRUXELLES. - Jadis, seuls les amateurs s’adonnaient au hobby secret de la culture de cannabis. Toutefois, au cours des dernières années, elle est devenue le domaine de criminels de grande et de moyenne envergure. Ils investissent dans des plantations professionnelles qui totalisent souvent pour plus de 50.000 euros en matériel.
Nul besoin de préciser que ce genre de culture est très lucratif. C’est pour cette raison que les mégacultures reçoivent de plus en plus fréquemment la visite indésirable de cultivateurs concurrents.
Pour les en empêcher, les plantations de cannabis sont protégées. Cette protection varie du simple système d’alarme à la bombe meurtrière. Examinons les trucs et astuces de ces professionnels…
380 volts sur la poignée de porte
En août 2003, une plantation de cannabis a été découverte dans la province du Limbourg. Celle-ci était protégée par différents pièges. La poignée de la porte était reliée à l’électricité et, sous le paillasson, se trouvaient des grilles électriques. Qui survit à une décharge de 380 volts?
Jusqu’à présent, en Belgique, un seul fait a été enregistré, mais nos collègues néerlandais sont de plus en plus confrontés à ce type de dangereux systèmes de protection. Le commissaire Henk Soulliaert du Service central Drogue auprès de la Direction générale de la police judiciaire (DGJ) dresse un aperçu des différents stratagèmes auxquels recourent les cultivateurs pour protéger leurs récoltes.
Commissaire Henk Soulliaert: “Pour éviter d’être découverts et réaliser le plus grand bénéfice possible, les cultivateurs traficotent souvent l’électricité. Ils se branchent directement sur la ligne principale, bricolent des dérivations et construisent des boîtes de distribution avec des fiches multiples. Il va de soi que c’est la porte ouverte aux courts-circuits et donc aux incendies.
Ce qui est beaucoup plus grave, c’est que les cultivateurs électrifient les poignées de porte, les boîtes aux lettres et les clôtures. Il se peut dès lors qu’une décharge de 380 volts se produise, ce qui est mortel. Il arrive également que les fenêtres et le paillasson soient électrifiés.”
Trappe
Autre piège: les cultivateurs enlèvent quelques dalles devant ou derrière la porte, de sorte que les visiteurs dont la présence n’est pas souhaitée tombent dans un trou lorsqu’ils y posent le pied. Dissimulé sous le paillasson, le piège est indécelable. Il arrive aussi qu’une planche munie de clous soit parfois placée sous le paillasson. A nouveau, ce genre de piège ne se remarque pas à l’œil nu.
Exploser ou étouffer
“Jusqu’à présent, les techniques de protection qui suivent ont été rencontrées uniquement aux Pays-Bas. Mais étant donné qu’il est possible que nous les rencontrions aussi un jour dans notre pays, j’ai averti les services de police belges”, confie le commissaire Henk Soulliaert.
> Piège au sodium
Un seau rempli d’eau et de cailloux est accroché juste derrière la porte d’accès.
Au-dessus du seau se trouvent des lampes au sodium, identiques à celles utilisées normalement dans des cultures
Les lampes sont fixées de sorte que, lorsque l’inconnu entre dans l’immeuble, les lampes tombent sur les pierres qui se trouvent dans le seau. En conséquence, les lampes se cassent, le gaz de sodium se libère et entre en contact avec l’eau, ce qui entraîne une réaction chimique prenant la forme d’une explosion dangereuse.
> Serpents
Aux Pays-Bas, on a recensé un cas où le propriétaire laissait tranquillement progresser les policiers tout en leur signalant quand même que son boa constrictor se trouvait quelque part dans sa plantation…
> Fusil de chasse
Lorsqu’un intrus ouvre la porte, un fusil de chasse se déclenche. Il convient de noter que le cultivateur a lui-même été victime de son propre piège.
> Gaz CO2
La contamination au CO2 est une nouvelle technique appliquée dans les cultures de cannabis. Les installations sont cependant souvent aménagées de manière inadéquate. Ainsi, la police néerlandaise a découvert une conduite de gaz naturel raccordée illégalement. Le risque de fuite, et dès lors d’explosion, est élevé. Et le CO2 élimine aussi l’oxygène. Un agent qui pénètre dans ce genre de local peut s’évanouir sans s’en rendre compte.
Avec le paillasson par-dessus, c'est comme si de rien n'était. (Photo: DGJ/DJP. Service Drogues.)
“Evidemment, les bonnes vieilles protections sont toujours d’application”, nous affirme Henk Soulliaert. “Nous retrouvons ainsi les alarmes antivol traditionnelles, les alarmes GSM qui envoient un sms au propriétaire lorsque, par exemple, la température descend ou monte dans la plantation, les caméras, etc.”
“Les cultivateurs de cannabis peuvent également fermer les volets, couvrir les vitres ou condamner les fenêtres avec des planches, et ce afin d’éviter la présence de curieux et d’empêcher que la lumière pénètre à l’intérieur. Des filtres carbone sont installés pour limiter l’odeur des plantes. Ils purifient l’air, comme dans les cafés par exemple.”
Sécurité
Que peuvent faire les policiers pour assurer leur propre sécurité?
Le commissaire Henk Soulliaert: “Même si nous apprenons, par
le biais des propriétaires en personne, que ces mesures ne visent pas la police, nous conseillons aux agents de faire preuve de la prudence qui s’impose lorsqu’ils pénètrent dans un bâtiment suspect. Ne perdez jamais de vue ce proverbe: UN HOMME AVERTI EN VAUT DEUX.
Ouvrir cette porte ou toucher cette fenêtre peut provoquer votre mort. (Photo: DGJ/DIP. Service Drogues.)
En cas de doute, il est recommandé de faire appel aux pompiers ou à la Protection civile afin d’effectuer des mesurages (en oxygène). En ce qui concerne l’électricité, il est conseillé de faire appel à des spécialistes, d’Electrabel par exemple.
Par ailleurs, il est préférable de d’abord aérer le local et de couper l’électricité, après avis des experts présents, avant de poursuivre les activités à l’intérieur du bâtiment.”
Saskia Van Puyvelde
Le commissaire Henk Soulliaert a, dans son ouvrage intitulé “Manuel Plantations de cannabis”, paru en septembre 2002, mis les cultures à nu. Toutes les zones de police et tous les services judiciaires d’arrondissement (SJA) ont reçu ce manuel.
Quiconque désire en savoir davantage sur le cannabis et/ou sur ce manuel peut consulter les pages 3-5 du Pol numéro 7
le paillasson par-dessus, c'est comme si de rien n'était.
cette porte ou toucher cette fenêtre peut provoquer votre mort. (Photo:
DGJ/DIP. Service Drogues.)
Le cannabis est une drogue comme une autre, et bien que des personnes la considèrent comme autorisée, elle reste illicite. En outre, vu la production massive de cette plante, elle devient une monnaie d'échange pour les criminels. Pour mieux connaître et comprendre ce phénomène, POL a rencontré le commissaire divisionnaire, Charles De Winter, chef du service central drogues à la Direction Générale de la Police Judiciaire (DGJ).
BRUXELLES. - La culture de can-nabis est de plus en plus populaire, cela va de la culture domestique, pour son usage
personnel, à la grande production dont la récolte est exportée ou vendue sur le marché national.
Ce phénomène, bien qu'il ne soit pas nouveau, enregistre une
nette augmentation. On peut sans crainte avancer une croissance de 400%. Le développement de ces cultures ne rend pas pour autant le fait licite.
Dans le rapport annuel de
1999 établi par le programme Drogues, un chapitre était
consacré au cannabis. Celui-ci dresse un premier portrait alarmant en ce qui concerne la consommation et l'expansion de cette drogue trop souvent considérée, à tort, comme étant légale.
Les us et coutumes
Contrairement à l'usage d'héroïne, de cocaïne ou d'amphétamines, l'usage des produits dérivés du cannabis n'est pas lié directement à des problèmes de dépendance physique, de toxicomanie ou de comportement criminel. Le cannabis fait souvent penser au " flower power " des années 60' et a, dans le meilleur des cas, quelque chose de rebelle et naïf. Mais, il n'y a certainement pas que les soixante-huitards qui consomment des joints. Le cannabis est la drogue la plus utilisée et la plus commercialisée au monde.
Ces dernières années, en Europe occidentale, une attitude plus tolérante vis-à-vis de l'usage du cannabis a été adoptée. Aussi, dans la politique belge des poursuites en matière de drogue, le cannabis occupe-t-il une place à part. Suite à la mise en œuvre de la circulaire du 8 mai 98 concernant la "politique des poursuites en matière de détention et de commerce au détail des drogues illicites" qui donne à la détention de cannabis pour usage personnel la plus faible priorité en matière de poursuites, les parquets sont moins sévères envers les consommateurs de cannabis par rapport aux consommateurs d'autres produits.
En 1999, les plus jeunes consommateurs de cannabis avaient mois de 12 ans (3 en 99 contre 2 en 98), les pourcentages les plus importants de consommateurs se situent entre les 15-17ans (21,7%), 18-20 ans (35,3%) et les 21-23 ans (19,3%). L'âge de 15 ans, qui correspond au passage du cycle inférieur au cycle supérieur secondaire, est un âge crucial auquel la drogue commence à être expérimentée. En outre, l'acceptation sociale du cannabis augmente avec l'âge: le pourcentage d'élèves qui craignent une réaction négative vis-à-vis d'une expérience de consommation de cannabis de la part de leurs meilleurs amis diminue dans les plus hautes classes de l'enseignement secondaire tandis que, dans le même temps, augmente le pourcentage de ceux qui s'attendent à une absence de réaction ou à une réaction positive.
Dans notre pays, ce sont près de 260.000 personnes qui consomment occasionnellement du cannabis, et la plupart d'entre elles sont de nationalité belge. Cela explique le nombre croissant de plantes de cannabis qui sont saisies: 63 plantations en 1996, 730 en 1999.
Pour les sept premiers mois de l'année 2002, 12 plantations de grande envergure ont été saisies (elles représentent au total 17.680 plantes);
sans compter les plus petites plantations ou cultures domestiques qui ont été découvertes par les polices locales.
Made in the Netherlands
Ainsi, si le cannabis est connu depuis mai 68 avec ces quelques plantes cultivées par-ci, par-là, le milieu des années 90' a connu une floraison importante de
cette culture.
"Entre 1996 et 2000", explique Charles De Winter, "les faits de production constatés ont augmenté de 400%. Le point de départ se situe aux Pays-Bas, la culture sous abri du cannabis et le savoir-faire néerlandais se sont répandus a travers toute l'Europe. On parlait de Nederweed, maintenant on parle d'Euroweed".
En effet, alors que depuis quelques années la culture domestique du cannabis était répandue aux Pays-Bas, les autorités néerlandaises ont décidé de lutter contre cette production. Suite aux recherches agressives qui s'y sont déroulées pour identifier et localiser ces productions, le phénomène s'est déplacé à l'extérieur de leurs frontières. De plus, beaucoup de personnes pensent que c'est un produit autorisé - or, il est interdit par la loi - et cette mauvaise perception a également favorisé l'essor de cette plante dans notre pays.
Si certaines personnes cultivent le cannabis pour leur usage personnel, une production de plus grande envergure se développe et cela devient une véritable industrie. "A ce moment-là, on ne parle plus de petites serres, mais bien de hangars pourvus d'un système d'irrigation et d'extraction, de contrôles UV, d'appareils mesurant le degré d'humidité, … Certaines récoltes sont revendues sur le marché local, d'autres, issues de production exploitées par ou pour des organisations criminelles néerlandaises, sont exportées au sein de l'Europe, notamment dans les pays scandinaves". Cette production se développe à un point tel "que dans le milieu criminel, le cannabis devient de plus en plus une monnaie d'échange. Son écoulement étant plus facile, il remplace maintenant, dans certains cas, l'argent".
Pourquoi un tel intérêt ?
Le marché pour cette drogue est énorme, c'est une culture illicite mais qui rapporte gros. Outre cet aspect financier, le cannabis présente d'autres avantages. Tout d'abord, sa culture est relativement facile. Sans compter que certains vendeurs mettent à la disposition des acheteurs l'installation appropriée pour cultiver ces plantes. En outre, l'investissement n'est pas très onéreux, sur le marché on trouve principalement des graines, dont la promotion est faite sur Internet, ou parfois des petites plantes ou boutures vendues au prix de 5 euros. Ensuite, contrairement aux autres drogues qui sont synthétisées, le cannabis ne doit subir aucun traitement. Une fois que la plante est en fleur, elle est cueillie et séchée et peut être ensuite consommée. Cela explique la dispersion des cultures de cannabis. Pour la feuille de coca ou l'héroïne, par exemple, suite aux transformations nécessaires pour en faire une drogue, le tout est souvent centralisé près des cultures.
Ces atouts ne sont pas sans conséquence. Les centres d'aide voient arriver de plus en plus de personnes dépendantes du cannabis. Cette dépendance est comparable au calvaire des alcooliques, avec les conséquences sociales que cela entraîne.
De plus, ce phénomène est encore peu connu des Centres et ils sont généralement dépourvus face à
ce genre de patient.
Enfin, il n'y a pas de culture licite du cannabis, même pour usage personnel. Les peines encourues sont celles prévues par la loi: cela va de 6 mois à 5 ans d'emprisonnement et cela peut être augmenté en fonction des circonstances aggravantes.
Christel Vanmullen
Certains vendeurs mettent à la disposition des acheteurs l'installation appropriée pour ce genre de culture. [photo: Service Judiciaire d'Arrondissement de Furnes].
Outre les fleurs séchées, le cannabis peut être acheté sous-forme de pâte ou d'huile.
[photo: Jean Hendrix]