par Anonymous » 15 Sep 2003, 13:47
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Cannabis: amendes douces ou amères ?
Raffarin doit arbitrer le projet de loi sur les stupéfiants.
Par Matthieu ECOIFFIER
lundi 15 septembre 2003
es fumeurs de cannabis seront bientôt à l'amende. Mais laquelle ? 68 euros forfaitaires ou 1 500 euros devant le tribunal de police pour la première interpellation avec un joint à la bouche ou dans la poche ? Voilà l'un des nombreux points que doit désormais arbitrer Jean-Pierre Raffarin. Les propositions de réforme de la loi de 1970 sur les stupéfiants arrivent en effet aujourd'hui sur son bureau. Dès demain, une réunion se tiendra à Matignon pour trancher sur la mise en musique législative de ce document coordonné par la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt).
Malgré une douzaine de réunions interministérielles pendant l'été et une concertation menée avec des experts des drogues à la Mildt, seul le cadre général fait aujourd'hui l'objet d'un consensus.
Mieux ciblée. Priorité, donc, à la «prévention chez les mineurs». «On pense que l'interdit est efficace pour faire baisser les consommations. Même les jeunes ne demandent pas sa levée», assure-t-on au gouvernement. L'usage simple et privé ne sera pas dépénalisé. Mais puni d'une contravention et non plus par la prison. Pour les premières interpellations, du moins. Quand la loi de 1970, centrée sur l'héroïne, commandait aux toxicomanes de choisir entre l'injonction thérapeutique et la prison, cette réforme ambitionne de réprimer la fumette de cannabis chez les jeunes par un système d'amendes et de consultations psy obligatoires. La grosse artillerie de l'incarcération, peu appliquée et inadaptée, devrait donc céder la place à une répression certes plus fine mais beaucoup mieux ciblée.
Le bras de fer entre logique répressive et sanitaire porte sur la hauteur de l'amende et les sanctions à prendre en cas de récidive. «Moins d'incarcération ne signifie pas moins d'interdit. Sous couvert de mieux sanctionner, on risque de réprimer beaucoup plus», s'inquiète un expert entendu cet été.
Luxe. Au ministère de l'Intérieur, on veut une amende de classe 5 dès la première interpellation. Inscrite au casier judiciaire, elle conduit l'usager devant le tribunal de police. Le juge fixe, au cas par cas, le montant de l'amende (jusqu'à 1 500 euros). Ce processus recueille l'assentiment du ministère de la Justice, attaché à la personnalisation des peines. Par ailleurs, le code pénal (art. 131-14) prévoit déjà la possibilité pour la classe 5 de suspendre le permis de conduire «pour une durée d'un an au plus et l'immobilisation pour six mois au maximum du véhicule». De quoi permettre la «confiscation du scooter» réclamée par Sarkozy lors de son audition devant la Commission sur les drogues, au Sénat fin avril. Dans la pratique, la mise en oeuvre de cette «contravention dure» risque d'aboutir, avec près de 100 000 interpellations annuelles pour usage, à l'encombrement d'une justice déjà débordée. Par ailleurs, seuls les riches pourront-ils se payer le luxe de fumer un joint ? Du côté des ministères «sanitaires», on préfère une contravention forfaitaire de classe 3 (68 euros) ou 4 (135 euros). Cette amende, qui fait échapper au tribunal, serait en revanche assortie de l'obligation pour les mineurs uniquement de se rendre dans un centre d'accueil et d'information. «Il s'agit d'une intervention brève pour aider l'adolescent à déterminer s'il a une consommation problématique ou non. Les structures existantes seront renforcées et regroupées au sein d'un réseau national facilement identifié. Reste que la démarche est toujours plus efficace lorsqu'elle découle d'une initiative personnelle ou familiale», rappelle Jean-Pierre Couteron, psychologue à la tête d'une consultation d'autoévaluation à Mantes-la-Jolie (Libération du 4 juillet). Cette «obligation» est donc une nouvelle version de «l'injonction thérapeutique».
Clarification. Autre point à éclaircir : à partir de quelle quantité de drogue retrouvée sur l'interpellé ce dernier est-il considéré comme simple usager ou détenteur en vue d'une revente. «Dans les pays voisins, ce seuil varie entre 5 et 20 grammes de cannabis. Mais les ministères répressifs sont opposés à la définition d'un tel seuil, que le droit français n'a jamais avalisé», rappelle Alain Morel, président de la Fédération française d'addictologie. Faute de clarification, la distinction entre fumeur et dealer restera à l'appréciation des policiers.
«OK ! Que les policiers interpellent et préviennent les familles, mais c'est tout. Il ne faut pas que la consultation soit la contrepartie d'une sanction. Tant qu'on ne dépénalise pas l'usage, on reste dans l'hypocrisie puisqu'un jeune sur deux consomme», dénonce Serge Hefez, psychiatre spécialiste des drogues : «La seule marge de manoeuvre pour contenir les ardeurs répressives de Sarkozy réside dans sa crainte d'apparaître comme antijeune. Il s'est rendu compte que c'est un sujet trop complexe pour faire de l'électoralisme.»
Il y a aussi la volonté du Premier ministre de ne pas laisser le champ libre à son vibrionnant ministre de l'Intérieur. Les suites institutionnelles qu'il donnera à ces propositions seront, à cet égard, décisives. Soit elles feront l'objet d'un projet de loi défendu par le ministère de la Santé : compte tenu de l'agenda parlementaire surchargé, ce texte ne pourra être examiné qu'au printemps prochain. Cela laisserait le temps d'organiser le débat de société réclamé par les associations. Soit Matignon décide de passer en force, et le volet répressif serait inclus dans le projet de loi «sur la prévention de la délinquance» de Sarkozy, et les mesures sanitaires votées dans le cadre de la loi de santé publique, dès le mois prochain. Avec tous les risques de surenchère sécuritaire des parlementaires et sans aucun débat préalable. Raffarin devrait se donner quelques jours pour réfléchir. Il participera dimanche prochain sur M6 à une émission spéciale de Zone interdite sur le cannabis. La télé l'aidera-t-elle à comprendre où placer le curseur de la répression ?.