par daniel » 21 Jan 2013, 03:31
Patrick Pelloux, 40 ans, médecin urgentiste. Il a le premier sonné l'alarme lors de l'hécatombe de la canicule.
Un homme avertit
Par Alexandra SCHWARTZBROD
mercredi 03 septembre 2003
PATRICK PELLOUX EN DIX DATES
19 août 1963.
Naissance à Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne).
1979.
Bernard Kouchner décide de porter secours aux boat-people.
1984.
Etudes de médecine.
19 juin 1986.
Mort de Coluche et de son chien «Virgule».
1992.
Naissance de sa fille.
1994.
Naissance de son fils.
1995.
Docteur en médecine.
Juillet 1997.
Création de l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (Amuhf).
16 janvier 1998.
Première journée de protestation de l'Amuhf en faveur des urgences.
Juin 1999.
Grève nationale des urgentistes de l'Amuhf.
Pour trouver Patrick Pelloux, il suffit de demander La Liberté. Et de chercher sa belle tête de sale môme parmi les habitués de ce bistrot parisien où il tient table ouverte, aux portes de l'hôpital Saint-Antoine. Si vous avez faim, c'est encore mieux, il aime ça. «Mangez, mangez... finalement, c'est ça le plus important dans la vie», dit-t-il la bouche pleine, vous tutoyant au bout de cinq minutes. Et ne lâchez surtout pas le cornichon que vous venez de croquer, il est capable de l'avaler sans vergogne en tempêtant contre ces hommes politiques et ces mandarins d'université qui n'ont pas su anticiper et gérer la «catastrophe humanitaire» qui s'est abattue sur la France avec la canicule, dénonçant ce «mensonge d'Etat» que le gouvernement a tenté d'organiser en minimisant le nombre des morts. Pelloux, l'urgentiste de Saint-Antoine qui a essayé des jours entiers de réveiller un pays anesthésié par la chaleur, c'est un peu tout ça : grande gueule, généreux, cabot, vorace. Un côté Jean-Marie Bigard pour la gouaille et George Clooney (le héros de la série américaine Urgences) pour la séduction. Insupportable et sympathique.
Ces temps-ci, beaucoup le trouvent surtout insupportable : les politiques, les professionnels de la santé et jusqu'à ses amis urgentistes qui commencent à penser qu'on le voit un peu trop. Ses cris d'alarme, lancés dès le 10 août, alors que les personnes âgées s'entassaient dans les couloirs des urgences, ont fait vaciller l'Etat tout entier, forçant le chef du gouvernement à écourter ses vacances, soulignant les failles d'un système de santé présenté comme le meilleur au monde. L'homme aurait pu se calmer la fraîcheur revenue, mais il attendait son heure avec tant d'impatience. Depuis qu'il a créé l'Association des médecins urgentistes hospitaliers de France (Amuhf), en 1997, il ne cesse d'alerter la France, été comme hiver, sur les insuffisances de ses services d'urgence. Des mises en garde accueillies au mieux avec indifférence, au pire avec ironie. «On est vraiment considérés comme les crétins de l'hôpital... On le voit bien quand un VIP se fait hospitaliser. A sa sortie, il envoie des mots de remerciement à tous les chefs de service sauf aux urgences qui l'ont pris en charge à son arrivée.»
Alors maintenant qu'on l'écoute, il fonce. Sur sa grosse moto Transalp, il passe d'un journaliste à un ministre avec la même fougue. Plus personne ne peut l'arrêter. «Oui, cette crise est tombée à pic pour prouver à quel point on avait raison de tirer la sonnette d'alarme. J'aurais tellement préféré qu'elle ne se produise pas, ou qu'elle soit réglée dans le dialogue...» reconnaît-il. «Maintenant, il faut se battre pour qu'on n'oublie pas, qu'on n'enterre pas les promesses avec les derniers morts... il faut tenir les députés aux roupettes.» Certains voient en lui le nouveau Kouchner, il accepte volontiers la comparaison. «J'ai décidé de devenir médecin en le voyant secourir les boat people. C'est quand même un mec qui a inventé le concept de médecine humanitaire et qui est allé faire la paix au Kosovo !» Kouchner, ne nie pas la filiation. «On lui reproche de parler trop vite, je le reconnais... et je me reconnais aussi... Il a fait agir la loi du tapage, c'est quelque chose qu'on a inventé avec certains de mes amis... Je n'aurais peut-être pas crié aussi fort mais ça fait plaisir de voir en politique un jeune homme debout, une belle gueule qui parle bien.» Cette proximité avec la gauche a fait dire que Pelloux roulait pour les socialistes. Il en avalerait son cornichon de travers. «Ce sont les conseillers de Raffarin qui ont appelé les journalistes en août pour faire courir le bruit que j'étais un sous-marin du PS ! Je ne suis pas socialiste, je suis humaniste... Le militantisme, c'est pas mon truc, je n'arrive pas à haïr l'autre.» Il aurait pu réclamer la tête du ministre de la Santé, il ne l'a pas fait. On dit qu'il s'est fait avoir à l'affectif, par besoin de reconnaissance. Il hausse les épaules. «Mattei, c'est un gentil, t'aurais vu sa tronche quand un préfet a suggéré de mettre les cadavres tête-bêche pour gagner de la place !... Il était si simple de le virer... Son honneur, c'est de chercher à comprendre ce qui s'est passé.» Le seul mouvement dont il se sente proche, c'est celui des altermondialistes d'Attac. «Leur truc, "la santé n'est pas une marchandise", je m'y reconnais bien.»
C'est que, emporté dans son élan, Pelloux ne réclame plus seulement des moyens pour les urgences, il se veut l'avocat du pauvre et de l'orphelin. Ne serait-il pas en train de sortir de son rôle ? Son visage se durcit. «Beaucoup de gens sont morts dans mes bras, des vieux, des jeunes... Eh bien ! au moment de mourir, ils te parlent toujours d'amour, de ceux qu'ils ont aimés... ils te parlent jamais d'argent. Moi, ce que je combats, c'est la vision économique que les politiques ont de la santé, cette crise en a montré les limites.» Et quand il ne soigne pas, quand il ne harangue pas les foules, que fait-il ? Il s'arrête de mâcher, regard fixe. «Je dors.» Et à part ça ? «Heu... je sacrifie tout au combat syndical... je regarde des Chaplin, des westerns... j'écoute Brel et Brassens, je joue de l'accordéon sur les disques de mes potes, les Têtes raides.» Il éclate de rire, content de ce qu'il va dire. «En fait, je suis un adolescent attardé... je suis Peter Pan et je déteste le capitaine Crochet.» Petit dernier d'une famille de quatre enfants, il a grandi dans un pavillon de Seine-et-Marne entre un père kiné et une mère au foyer («elle a une culture et une compréhension des choses considérables»). C'est l'année de sa naissance, 1963, peut-être pas un hasard dans son engagement syndical futur, que son père a fondé la Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes, à une époque où cette activité n'existait pas. A la maison, on n'avait pas de carte du PS, pourtant on votait à gauche. «Les discussions se terminaient toujours par "de toute façon, c'est tous des enfoirés!".» Pelloux continue à vivre dans un pavillon de banlieue, là où sont nés ses enfants de 11 et 9 ans, ses deux passions. Il ne vit plus avec eux depuis qu'il est séparé de leur mère, pédopsychiatre, mais il les voit dès que possible. «Je devais partir avec eux quand la crise a commencé. J'ai tout laissé tomber. J'ai juste pris deux jours pour les emmener dans les vagues de Biarritz. Avec la montagne, rien ne repose davantage.»
Et maintenant ? Lui qui aime tant être sur la crête d'une vague, d'une montagne ou d'une vie («c'est ça qui est extraordinaire dans la médecine d'urgence, le type que tu as entre les mains peut glisser d'un côté ou de l'autre, ton boulot, c'est de le faire glisser du bon côté»), il sait qu'il y est. Et il n'a pas envie de glisser du mauvais côté. «Seule la passion peut vaincre les préjugés et les cons.».
©Libération (voir la licence)
Notre politique de protection des données personnelles
et la charte d'édition électronique.