Sabine Herold, 21 ans. Etudiante à Science-Po, elle a organisé avec succès la manifestation antigrèves à Paris.
Gréviste, t'es foutu
Par Thomas LEBEGUE
mardi 24 juin 2003
Sabine Herold EN 6 DATES
8 juillet 1981
Naissance à Reims.
Septembre 1999
Arrivée
à Paris pour faire Sciences-Po.
Juin 2001
Rejoint l'association Liberté, j'écris ton nom.
25 mai 2003
Premier petit rassem-
blement contre les grèves.
15 juin 2003
Grande manifestation
de droite contre les grèves.
26 juin 2003
Grand oral à
Sciences-Po.
la sortie de Sciences-Po, le portable sonne. «Merde, c'est Newsweek», dit-elle en enfilant son oreillette. Pas le temps de souffler : un journaliste japonais vient de la quitter. Trop dur d'être une star à 21 ans. Trop stressant, aussi : un militant des Verts l'a prise à partie, la veille, dans les jardins soignés de sa grande école. Sabine Herold a aussi reçu des menaces de la part de syndicalistes malveillants ; elle a déposé une main courante au commissariat, mis son numéro sur liste rouge et retiré son nom de sa sonnette.
A l'entendre, il ne fait pas bon prôner le libéralisme en France, «le pays de la dictature syndicale». Pied de nez aux communistes, son association a pris le nom d'un poème de Paul Eluard : Liberté, j'écris ton nom, qui regroupe quelques dizaines d'étudiants libéraux de la rue Saint-Guillaume à Paris. Ils sont les seuls amis dont elle parle. Leur fait d'armes: avoir organisé, dimanche 15 juin, une des plus grandes manifestations de droite depuis celle de l'école libre en 1984. Avec pour simple mot d'ordre : non au blocage syndical, oui à la réforme gouvernementale. Placés en tête de cortège, ces bébés Madelin ont réussi leur coup. Et Sabine Herold, qui a défilé avec deux gardes du corps, a réussi à faire parler d'elle.
Teint de porcelaine, petit gabarit et grande gueule qui déteste la glande étudiante au café, les médias ont vite fait de lui trouver un surnom : la «Jeanne d'Arc des libéraux». Ainsi l'a baptisée le Figaro Magazine. Puis le Daily Telegraph (qui lui a consacré une pleine page), Thierry Ardisson, des manifestants, des internautes américains... Jusqu'à elle-même, qui assume crânement son statut de pucelle médiatique : «Si les libéraux ont besoin d'une icône, ça ne me dérange pas. Je vis ça très bien». La jeune femme s'est d'abord fait connaître en haranguant une maigre foule, le 25 mai, jour de grève des transports parisiens. Trois semaines, une dizaine d'articles et des milliers de mails plus tard, ils étaient 30 000 à reprendre ses mots d'ordre, place de la Concorde, contre les grèves des fonctionnaires. Les médias ont fait le reste, et la voilà propulsée au rang d'héroïne du secteur privé, boutant la CGT et FO hors d'une France «ouverte».
C'est à l'étranger que sa notoriété a grandi. Popularisée en Angleterre par la presse et la multitude de sites Internet libéraux, cette frêle jeune fille vient de réaliser une sorte de rêve : elle a rencontré hier Margareth Thatcher lors d'un voyage payé par le très conservateur Daily Telegraph. Trop contents de trouver une petite frenchie défendant leur cause de la guerre en Irak à la restriction du droit de grève, les journaux anglo-saxons ont fait d'elle l'égérie de la France «moderne». Cette France qui avance tête baissée vers le marché, la libéralisation des services publics, les fonds de pension... Sabine appelle ça le «bonheur individuel».
Quatre ans, déjà, qu'elle a quitté sa petite ville de Taissy, près de Reims. Et deux ans qu'elle s'est mise à faire de la politique avec ses amis de l'IEP. Pour montrer qu'elle connaît ses classiques, elle cite Frédéric Bastiat, économiste libéral du XIXe siècle : «L'Etat, cette grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde.» Après le grand oral de Sciences-Po qu'elle passe cette semaine, son objectif est d'intégrer une école de commerce, «si possible HEC» à la rentrée. Elle parle d'«éthique du travail», s'énerve contre les minima sociaux et ceux qui en profitent. Du bout des lèvres, elle lâche le mot «parasites».
Et pourtant. Ses deux parents sont enseignants. Certes pas syndiqués à la FSU, mais suffisamment attachés à l'école publique pour y avoir scolarisé leur fille de la maternelle à la terminale. Plutôt de droite, papa et maman Herold n'ont pas suivi leurs collègues dans la grève. Sabine dénonce «ces fonctionnaires dont les privilèges ont été maintenus dans la réforme Fillon, et qui continuent d'ostraciser les non-grévistes». Bref, l'école à la française, ce n'est pas son truc. «Je pense que l'on naît libéral, aussi naturellement qu'un bébé apprend à nager. Puis l'école, la société nous forment à la social-démocratie. Le plus dur, c'est de redevenir libéral après.» Dans sa bouche, il n'y a pas pire injure que «social-démocrate». Par exemple : «François Fillon est à la limite de la social-démocratie !»
Ce qui ne fait pas forcément d'elle une conservatrice. Ses amis la décrivent plutôt comme une «li-li» (libérale-libertaire). Elle affiche des positions iconoclastes pour une femme de droite qui écoute Chérie FM. Elle prône le mariage gay, la libéralisation des drogues douces, la «prostitution libérale»... «Pas très à l'aise avec les réacs», elle a commis un article sur le site de son association pour dénoncer certains aspects de la Loi de sécurité intérieure de Nicolas Sarkozy : la criminalisation du racolage passif, de l'offense au drapeau français, ou celle des jeunes dans les halls d'immeuble. «Il est toujours dangereux de réduire un individu à son appartenance à un groupe», dit-elle. En toute logique, la jeune femme s'élève aussi contre la parité. Pas besoin d'une loi pour «exploser un mec» au squash, son sport favori. «Je ne me sens pas aliénée quand je fais la vaisselle !»
Autant d'idées qu'elle n'ose pas vraiment défendre dans les copies qu'elle rend à Sciences-Po, où les enseignants sont trop «sociaux-démocrates» à son goût. Coup de chance : cette année, son professeur de géopolitique est américain. Au cours de son dernier examen («Peut-on justifier une politique impérialiste ?»), Sabine a pu donner libre cours à ses penchants pro-Bush, expliquant pourquoi elle a soutenu la guerre en Irak. Elle balaie d'un revers de main les mensonges américains sur la présence d'armes de destruction massive. «Il s'agissait de renverser un dictateur qui a gazé 180 000 Kurdes.» Alors pourquoi pas la Corée du Nord ou l'Arabie Saoudite ? Froide réponse de comptable : «C'est une question de rapport coûts/bénéfices.»
Du côté des politiques, elle confesse sans surprise un gros faible pour Alain Madelin, un «type brillant», qu'elle a rencontré une fois. Elle a failli voter pour lui à la dernière présidentielle, mais un réflexe légitimiste l'a fait voter Chirac au dernier moment. Au lendemain du 21 avril, elle est allée manifester contre Le Pen dans le cortège qui partait de Sciences-Po. «Quand on est arrivés place de la République, la LCR était en train de chanter l'Internationale. Je me suis barrée.» Sabine ne fait pas la différence entre les extrêmes. «Ça ne sert à rien de gueuler que Le Pen est un fasciste. Il ne l'est pas. C'est son programme liberticide qui est dangereux.» Pour porter ses idées hors de son petit cercle associatif, elle vient de prendre sa carte à l'UMP. Mais comme elle n'est pas du genre à coller des affiches, elle attend plutôt que le parti chiraquien vienne à elle. La lolita madeliniste a quelques atouts. Elle a une bonne droite, un tour de taille impeccable «Si j'avais fait 40 kg de plus, on ne parlerait pas de moi». La parité fera le reste .
>photo FRED KIHN
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