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Le patron de la lutte anti-drogue souffle le chaud et le froid sur le cannabis
(PAPIER GENERAL)
par Guillaume BONNET
PARIS, 2 jan (AFP) - Le nouveau patron de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) Didier Jayle s'est prononcé jeudi pour une réforme de la loi de 1970, qui réprime tant bien que mal l'usage et le trafic de stupéfiants depuis plus de trente ans, mais il a souhaité en même temps durcir le discours du gouvernement sur le cannabis.
"La loi de 1970 s'est progressivement vidée de son sens et n'est plus applicable", constate le président de la MILDT dans une interview au Monde. "Il faut modifier la loi, lui redonner du sens pour qu'elle soit mieux comprise, appliquée. Cela implique des schémas nouveaux, excluant la prison pour les simples usagers, avec par exemple un système d'amendes, plus simple, plusefficace", suggère M. Jayle, nommé le 23 octobre.
Pour autant, il déclare que "le discours sur les méfaits du cannabis n'a pas été assez énergique", dans une critique à peine voilée contre son prédécesseur, Nicole Maestracci, qui s'était attachée à mettre l'alcool, le tabac et les drogues illicites sur un même plan.
Deux millions de fumeurs réguliers
"L'expérimentation du cannabis est un phénomène de masse", souligne M. Jayle, rappelant que "la France compte environ deux millions de fumeurs réguliers de cannabis, parmi lesquels 5 à 10% ont un usage problématique". La France, à l'opposé de la majorité des pays de l'Union européenne, a toujours refusé de revenir sur sa vieille loi de 1970, qui conduit chaque année à l'interpellation de dizaines de milliers d'usagers, essentiellement pour du cannabis (82.349 en 2000). Or, aux yeux de nombreuses associations d'aide aux toxicomanes, la criminalisation de l'usage de la drogue "clandestinise" la consommation et rend difficile l'accès aux campagnes de prévention.
Bien que nommée par la gauche, plus favorable que la droite à la dépénalisation, Nicole Maestracci avait abandonné l'idée de changer la loi. Certes, disait-elle en substance, la loi permet d'envoyer un usager pour un an en prison. Mais une circulaire envoyée en 1999 aux procureurs avait mis la pédale douce sur les poursuites pour usage simple, et donné la priorité à la lutte contre les trafiquants.
En l'an 2000, 394 personnes avaient été incarcérées pour usage de stupéfiants, contre trois fois plus sept ans plus tôt. Comment M. Jayle, qui se dit "farouchement opposé à la dépénalisation du cannabis", va-t-il pouvoir changer de politique ? "Ouvrir le débat est une excellente chose dans un pays où la loi est encore très durement appliquée. Mais l'important est de définir l'usage simple", avertit la psychiatre Béatrice Stambul, de Médecins du monde. "Et puis, interroge-t-elle, Didier Jayle a-t-il vraiment le pouvoir de faire changer la loi ? Si oui, il faudra veiller à ne pas passer d'une loi obsolète, pleine de vides juridiques, à une loi coercitive qui ferait craindre davantage de répression".
Jean-Pierre Galland, le président du Collectif d'information et de recherche cannabique (CIRC), célèbre pour avoir envoyé des "pétards" aux 577 députés, craint que l'on aille vers une "fausse dépénalisation". "Le gouvernement va peut-être passer pour moderne, mais cela risque d'être pire que maintenant", s'inquiète ce partisan de la légalisation. "On passerait ainsi d'un système laxiste à un système où l'on sera considéré comme de simples usagers, quand même passibles d'une amende au-dessous d'un certain seuil, ou comme de méchants trafiquants au-delà de cette limite".