Virgin a la main lourde pour la main verte
Censure de livres sur le cannabis après pression policière.
Par Mathieu ECOIFFIER
samedi 09 novembre 2002
Virgin, défenseur de l'ordre public ? La chaîne de magasins a retiré de la
vente dans ses librairies l'ensemble des ouvrages sur les drogues de quatre
maisons d'édition antiprohibitionnistes. En catimini. Et à la suite de
pressions po licières. Fumée clandestine (60 000 exemplaires vendus),
Culture en placard (21 000), J'attends une récolte (30 000) et autres
manuels du bon jardinier-fumeur, mais aussi des ouvrages historiques sur le
LSD dans les années 60, ont ainsi été sortis des rayons des Megastores
pendant l'été. «Nous n'avons même pas été prévenus, on s'en est aperçu début
octobre à la chute des commandes», révèle Mathieu Diaz, directeur commercial
des éditions du Lézard-L'esprit frappeur, qui font l'objet de cette mesure
avec Mama Edition et Trouble-Fête.
«Garde à vue». «Il y a eu des intimidations policières dans les Virgin de
Marseille et de Toulon qui ont abouti à une censure au plan national,
poursuit l'éditeur. La police n'a pas à décider de la légitimité de livres
qui bénéficient d'un dépôt légal.» «Il s'agit d'un retrait provisoire,
précise, embarrassée, Catherine Papillon, directrice des livres à Virgin.
Des policiers ont saisi ces livres dans notre magasin de Marseille et
demandé à la responsable de passer au commissariat. Et à Toulon, le
directeur a été placé en garde à vue pendant plusieurs heures. C'est assez
dur à vivre. On les a retirés mais pas déréférencés.»
Dans les deux cas, c'est dans le cadre d'une enquête sur l'autoproduction de
cannabis que les forces de l'ordre sont tombées sur ces livres, lors de
perquisitions chez des fumeurs-jardiniers. Qui ont déclaré les avoir achetés
chez Virgin. «Il y a un procureur qui considère que ces livres sont
dangereux. Parfois on cède, parfois non, justifie Jean-Noël Reinhardt, PDG
de Virgin France. Nous les avons retirés de la vente pour ne pas faire de la
provocation et calmer le jeu. Pour Virgin, les livres sur le cannabis ne
sont pas une priorité. Ce débat est daté.» Le PDG de Virgin préfère renvoyer
la balle dans le camp des politiques : «On prend les distributeurs en otage,
c'est une vaste hypocrisie. Surtout lorsqu'une partie de la représentation
nationale appelle à la dépénalisation des drogues douces. Si la loi est mal
faite, qu'on en débatte. Cela confirme une crispation sur quelques sujets
relatifs à l'ordre public.»
Ces saisies n'ont pour l'heure donné lieu à aucune poursuite au titre
d'«incitation» ou de «présentation sous un jour favorable», deux motifs
toujours proscrits par l'article 3421-4 du code pénal, nouvelle appellation
du fameux L630 de la loi de 1970 sur les stupéfiants. Il est vrai que, selon
le service juridique de Virgin, ces livres sont formellement autorisés,
puisqu'ils ne figurent pas sur la liste des ouvrages interdits par le
ministère de l'Intérieur. Pour autant, ce «retrait provisoire» dure depuis
maintenant plusieurs mois. «Virgin représente 15 % de notre chiffre
d'affaire, rappelle Mathieu Diaz, la droite est revenue. On n'avait pas
connu ça depuis la descente de la brigade des stupéfiants à la Fnac Forum
(aux Halles à Paris, ndlr), en 1996.»
Autre coup d'éclat, à la suite d'une petite visite des gendarmes, le centre
Leclerc d'Olonne-sur-Mer (Vendée) a lui aussi enlevé les livres des éditions
du Lézard de son rayon «espace culturel». Et cette censure s'étend, touchant
aussi des ouvrages sur l'histoire des drogues qui n'ont rien à voir avec la
cannabiculture. «Par rapport aux grosses maisons d'édition, c'est bien un
discours indépendant sur les drogues qui est dans le collimateur», plaide
l'éditeur.
«Oiseaux de compétition». A côté des livres, il y a les graines. Plusieurs
sachets de «graines pour oiseaux de compétition» ont également été mis sous
séquestre, le 11 juillet, lors d'une perquisition dans la boutique Mauvaise
graine, à Montpellier (Hérault). «Tant qu'elles sont utilisées comme un
produit alimentaire, leur vente est légale», assure Kshoo, gérant de la
boutique et porte-parole du Collectif d'information et de recherche
cannabiques (Circ). Tout en sachant fort bien qu'à 100 euros les 10 graines,
ses acheteurs ne sont pas tous des amoureux des oiseaux. «La teneur des
graines en THC (principe actif du cannabis, ndlr) est inférieure au seuil
légal de 0,2 %. Cette saisie a été réalisée sans cadre juridique», dénonce
son avocat, Me Frédéric Thuil lier.
Au ministère de l'Intérieur, on assure qu'aucune consigne de faire la chasse
nationale aux cannabiculteurs n'a été diffusée. «On va se charger
d'approfondir ce sujet», explique Michel Bouchet, chef de la Mission de
lutte antidrogue (Milad). «On ne peut laisser se développer le marketing
dont bénéficie l'autoproduction du cannabis dans les milieux
écolo-libertaires, poursuit-il. Le seul fait de produire incite à la
revente. Cela mène logiquement à cultiver des concentrations de plus en plus
fortes en THC, néfastes pour la santé des jeunes.»
Nul doute que le troisième Festival du chanvre, de l'écologie et des
alternatives, qui doit se tenir à Paris le 29 novembre, va être placé sous
haute surveillance.
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