Cannabiculteurs en danger, par Jean-Pierre Galland
source : http://www.mauvaise-herbe.fr/activisme/ ... e-galland/
L’association ASUD va publier dans son journal de janvier un texte intitulé « Cannabiculteurs en danger », que nous relayons ici en intégralité. Merci à Jean-Pierre Galland, auteur du texte, de nous l’avoir proposé !
ASUD (Autosupport des Usagers de Drogues) est une association ayant pour but de représenter les usagers de drogues : depuis plus de 10 ans, l’association prône la réduction des risques et l’abandon des politiques répressives à l’encontre des usagers.
Le texte ci-dessous, écrit par Jean-Pierre Galland et intitulé « Cannabiculteurs en danger », est une tribune sur la situation des cannabiculteurs en France. Il sera publié dans ASUD Journal du 7 janvier 2013.
Cannabiculteurs en danger
Une enquête diligentée en 2008 par l’Ofdt estimait à 200 000 le nombre de cannabiculteurs pour une production avoisinant les 32 tonnes. 11, 5 % de l’herbe fumée serait française et son taux en THC ne dépasserait pas les 8 %. Aussi rien de surprenant si dans le « plan gouvernemental 2008/2011 de lutte contre les drogues et les toxicomanies », la Mildt s’est focalisé sur l’autoproduction à des fins domestiques, « un phénomène favorisé par la libre circulation des graines et du matériel de production, ainsi que par la prolifération de magasins et de sites internet spécialisés dans la » cannabiculture » »… Et la Mildt de promettre à la police « des moyens de détection innovants » pour lutter contre ce nouvel ennemi de l’intérieur !
Un effet collatéral de la répression : l’autoproduction
L’explosion de l’autoproduction au 21ème siècle est directement liée à la politique de la tolérance zéro pour le cannabis et la répression tous azimuts qui s’ensuivit. Les amateurs de cannabis ont vite compris que pour échapper à la police et au marché noir où leur était proposé à des prix prohibitifs du haschich de qualité médiocre, il leur suffisait de planter quelques pieds de chanvre sur un balcon, dans un placard ou en pleine terre.
Conséquence de la culture à domicile, les amateurs de cannabis qui naguère fumaient de la résine en provenance du Maroc ne jurent plus que par la beuh. Une étude fort instructive publiée en 2010 par l’Observatoire National de la Délinquance et des Réponses Pénales (ONDRP) confirme cette tendance. D’après les auteurs du rapport « l’herbe représente désormais 40 % du marché français ». Elle est produite pour un cinquième en Hollande et pour le reste en France. « Un usager sur deux (47,7%) estime consommer de l’herbe made in France, soit 12% du marché total du cannabis ».
Comme le note l’Ondrp, les trois-quarts de ceux qui s’adonnent à la culture du cannabis le font uniquement pour leur usage personnel et celui de leurs amis.
Et le quart restant ? Au fil des ans, les jardiniers ont beaucoup appris sur l’art de planter du cannabis et ils sont de plus en plus nombreux à maîtriser parfaitement le sujet, à passer du stade de l’auto-culture à la culture artisanale pour le plus grand plaisir des consommateurs certains de trouver une herbe saine à un prix raisonnable.
Cannabiculteur, une profession en pleine expansion
L’artisan cannabiculteur réside souvent à la campagne, pratique le cannabis depuis des lustres et produit des variétés qui feraient le bonheur des Coffeeshops néerlandais. Il est normal, prudent, a passé l’âge de se faire contrôler à tout bout de champ et il tient à conserver un travail valorisant qui lui permet, non seulement de fumer à l’œil toute l’année, mais aussi de mettre un peu de beurre dans les épinards.
Combien sont-ils (et ce n’est pas moi qui vais les blâmer !) à vivre du commerce de l’herbe qu’ils ont plantée, récoltée, séchée, manucurée et emballée de préférence sous vide, des cannabiculteurs qui par ailleurs accepteraient (quitte à perdre une part de leur revenu) de vendre leur production à des coopératives ou à des organismes officiels après analyse du taux de THC et autre CBD.
Le jardinier du dimanche se distingue du cannabiculteur professionnel par la quantité d’herbe qu’il cultive à l’année. En plein champ, un jardinier expérimenté et vigilant produira en moyenne six cents grammes de fleurs sèches par plante. Il lui suffira alors, après avoir déduit les frais qui vont des engrais aux petites mains rémunérées pour manucurer, d’en rétrocéder cinq kilos pour survivre toute l’année… S’il double sa production, il augmentera sensiblement les risques, mais gagnera très bien sa vie et participera activement à la vie économique de sa région… Qui plus est, avec les petites feuilles récupérées, il produira du haschich maison à l’aide du Pollinator et de L’ice o’lator acheté en commun avec des amis.
Pour en avoir croisé aux quatre coins de France lors de mes pérégrinations militantes, l’artisan cannabiculteur est généralement un honnête homme, un commerçant arrangeant qui n’exige pas de son client d’être payé de suite. Il s’est construit un réseau de personnes ordinaires avec qui il entretient des relations de confiance, des gens « qui n’ont pas la gueule à ça » et qui sont trop contents de s’approvisionner directement à la ferme.
Pas de pitié pour les cultivateurs en herbe !
Nous avons rêvé d’un monde où le peuple de l’herbe formerait une tribu solidaire, où les cultivateurs échangeraient leur savoir comme leurs boutures et organiseraient pour de rire des Cannabis Cups, mais ce temps-là est bien fini.
À cause des policiers qui traquent les parcelles en hélicoptère et des gendarmes qui promènent leurs chiens renifleurs dans les rues des villages ?
À cause des ados qui profitent de la nuit pour dérober quelques plantes, et en cas de problèmes avec la maréchaussée, dénoncer leur légitime propriétaire ?
Non ! À cause des gangs qui aujourd’hui s’intéressent de près aux cultivateurs en herbe, une proie facile. Dans le grand sud où la pègre est bien implantée, les braquages se multiplient, déclenchant un climat de suspicion et un vent de panique chez les cultivateurs de beuh, lesquels ont déjà fort à faire pour dissimuler leurs activités aux voisins curieux et aux policiers sur les dents.
Qui informent les gangs ? Est-ce qu’ils rémunèrent-ils des gamins pour sillonner la campagne à la recherche de plantations ?
On m’a rapporté que si vous êtes dans une région connue pour être un grenier à beuh, que vous avez le look du fumeur et que votre maison est isolée, et bien vous prenez le risque d’être méchamment agressé par des apprentis gangsters persuadés que vous plantez du cannabis. Mais le pire est à venir et je l’affirme en connaissance de cause. J’ai été, alors que je rendais visite à un jardinier de mes amis, le témoin oculaire d’un braquage dans les règles de l’art.
Il fallait s’y attendre, la prohibition (l’herbe se négociant entre dix et quinze euros au détail dans la rue) est une aubaine pour les gangs. Il y a un marché à prendre et à partager avec quelques agents de la force publique corrompus comme ce fut le cas aux États-Unis quand l’alcool a été interdit, comme c’est le cas de façon criante au Mexique et comme ce sera bientôt le cas chez nous, la preuve en est les agissements douteux de la BAC des quartiers Nord de Marseille.
Quand ils ont surgi de la nuit, portant cagoules et gants, brandissant qui un fusil à pompe, qui une arme automatique, nous avons cru que c’était les flics. Lorsqu’ils nous ont aboyé l’ordre de nous coucher visage contre terre et qu’ils ont frappé mon ami à coups de pieds et de crosse, nous en avons douté, mais la suspicion demeure. Ils étaient violents sans pour autant perdre leur sang-froid, avares en paroles mais bien renseignés sur la vie privée du principal intéressé. Avant de décamper, ils nous ont lié les mains dans le dos avec de la ficelle, ont confisqué nos téléphones (nous les avons retrouvés le lendemain au fond de la poubelle) et ils sont partis avec la voiture du propriétaire débordante d’herbe en nous assurant que nous la retrouverions avec les clés dessus sur le parking d’un supermarché… Finalement, ils l’ont brûlée.
Ces agressions sont d’autant plus traumatisantes pour les victimes qu’elles se sentent totalement impuissantes. Le jardinier à qui l’on a posé un flingue sur la tempe ne porte pas plainte au commissariat, il se tait et rumine. Agriculteur compétent et commerçant honnête, il a tout perdu en quelques minutes.
Les mafias à la manœuvre !
La culture du cannabis à des fins lucratives est désormais une réalité et les gangs sont devenus les alliés involontaires des policiers dans leur traque aux cultivateurs, sauf que les voleurs ne détruisent pas la beuh mais la recyclent.
Si les autorités en charge de la sécurité s’en lavent les mains du style : « C’est bien fait pour eux, on ne va pas les plaindre », à la guerre pour le contrôle des quartiers dans les banlieues s’ajoutera la guerre pour contrôler la production locale d’herbe, un marché très juteux.
Suite à une agression, les victimes des gangs réduisent considérablement, voire abandonnent leur activité, un manque à gagner pour les mafias qui pourraient alors les contraindre à cultiver contre un pourcentage et une protection, ce qui nécessiterait en passant de corrompre des responsables de la répression, mais la mafia sait se montrer généreuse et persuasive.
Science-fiction ? Pas si sûr ! Au Canada, par exemple, ce sont les Hells Angels qui assurent, de la production à sa distribution, le commerce du cannabis. Et gare à ceux qui ne se plient pas à leur diktat !
Tout comme Stéphane Gattignon dans son livre Pour en finir avec les dealers dénonce la politique française en matière de drogues et nous met en garde contre les mafias prenant le pouvoir en banlieue, à mon tour d’attirer l’attention des autorités sur le statut du cannabiculteur, un acteur économique certes hors-la-loi, mais bien réel et fort utile pour les fumeurs qui refusent de cautionner le marché noir.
… Et lorsque les mafias hexagonales auront conquis par la force une part du gâteau, elles déclareront la guerre, à moins qu’elles préfèrent s’associer à la mafia vietnamienne récemment impliquée dans deux affaires : 750 plants saisis à La-Courneuve et 3000 dans une boulangerie abandonnée de l’Aube.
Pour échapper à ce scénario du pire où nous compterons bientôt les morts, qu’on le veuille ou non, le gouvernement n’a pas d’autre solution qu’encadrer la production et la distribution du cannabis.
Jean-Pierre Galland
Co fondateur du Collectif d’information et de recherche cannabique