Boire ou se reproduire, il faut choisir
Le parquet de Lille ouvre une enquête pour établir la responsabilité de la filière de l'alcool.
Par Matthieu ECOIFFIER
jeudi 05 août 2004 (Liberation - 06:00)
C'est une première judiciaire qui devrait secouer le lobby de l'alcool. Et provoquer une prise de conscience chez tous ceux qui envisagent de faire des enfants. Le parquet de Lille a ouvert en juillet une enquête préliminaire pour déterminer s'il y a un défaut d'information des femmes enceintes sur les dangers de l'alcool. Les motifs retenus sont aussi sérieux que les dégâts provoqués par le syndrome d'alcoolisation foetale (SAF) chez plusieurs milliers de nourrissons : mise en danger de la vie d'autrui, tromperie aggravée sur la marchandise et blessures involontaires.
L'affaire commence dans le cabinet de Benoît Titran, avocat au barreau de Lille et fils d'un médecin engagé dans la lutte contre le SAF dans le Nord. «Au départ je suis saisi par plusieurs mamans qui m'expliquent ce qu'elles vivent avec leurs enfants. Certains, à l'âge de 6 ans, ont du mal à manipuler des nombres à deux chiffres, d'autres sont beaucoup plus démolis. La plupart m'expliquaient le peu qu'elles avaient bu, qu'elles n'avaient pas été alertées par leur médecin durant leur grossesse», raconte l'avocat. Benoît Titran s'aperçoit alors que le SAF est bien documenté, que «deux verres par jour ou cinq en une seule occasion suffisent à induire des troubles», que, «selon l'académie de médecine, c'est la première cause de déficience mentale et d'inadaptation sociale». Or «les médecins généralistes sous-estiment ce risque». Et il n'est mentionné nulle part sur les bouteilles alors que c'est le cas depuis 1989 aux Etats-Unis, y compris sur les étiquettes de vin français à l'exportation.
Au plan juridique, l'avocat s'aperçoit que l'article L 213-1 du code de la consommation réprime le délit de «tromperie sur la marchandise». Il punit de deux ans de prison «quiconque aura trompé ou trompera le consommateur sur les risques inhérents à l'utilisation d'un produit, y compris selon la jurisprudence par son omission ou son inertie». Une trentaine de mères montent l'association Esper (Ecoute, santé, parents, enfants, respect) pour venir en aide à d'autres victimes du SAF. C'est en leur nom que l'avocat dépose au printemps une plainte devant le tribunal administratif. Elle vise directement les pouvoirs publics qui n'imposent toujours pas de message de prévention clair sur les étiquettes. Le 9 juillet, un amendement en ce sens déposé par la sénatrice de La Réunion (Union centriste) Anne-Marie Payet, avec la bienveillance du gouvernement, a été retiré au dernier moment de la loi de santé publique sous la pression du lobby de l'alcool.
«L'Etat est chargé de faire respecter la loi. S'il ne le fait pas, il est responsable», ajoute l'avocat. C'est en son nom propre que Me Titran envoie le dossier «pour information» au parquet de Lille. «Le procureur a pris la décision d'ouvrir une enquête pénale de son propre chef, il n'y a pas de plainte et de plaignant», précise Me Titran. Pour son enquête pénale, le procureur adjoint de Lille, Ludovic Duprez, a déjà entendu le directeur des achats d'une chaîne de supermarché. Et convoqué le responsable d'un groupe français de production d'alcool. Pour la plainte civile au tribunal, c'est la Direction générale de la consommation (DGCCRF)qui pourrait se retrouver dans le collimateur. Hier, à la Direction générale de la santé, on regardait avec bienveillance cette action. «Zéro verre pendant la grossesse» sera d'ailleurs le thème d'une campagne de prévention avant la fin de l'année.
«L'alcool est plus dangereux que le tabac»
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