ded a écrit:nous sommes unamimes je pense pour dire que nos représentants sont des bouffons et que leurs politiques sont à leur image.
Oui la gauche rêve de changer le monde, et alors ?
Non, nous ne sommes pas unanimes pour penser ça, ded. Ma vision de la chose, si l'on veut généraliser un peu, c'est que les Français ont tendance à manquer de courage et à être trop roublards et que leurs représentants politiques sont, logiquement, à leur image.
Par ailleurs, on peut peut-être dire en effet que "la gauche rêve de changer le monde", mais tout le monde ne rêve pas de la même manière, n'a pas la même vision des choses pour y parvenir. A gauche, il y a une approche plutôt radicale et une approche plutôt réformiste pour changer le monde. On peut dire aussi que, potentiellement et/ou avant "d'oublier" son idéal pour certains, chaque individu "rêve de changer le monde". On ne peut pas exclure non plus qu'à droite, on veuille changer le monde en bien aussi. Le fait est que la tendance actuelle de la gauche radicale est largement réactionnaire. Les postures ont tendance à s'échanger d'un côté et de l'autre depuis quelques décennies.
D'ailleurs, dans les nombreuses contribs écrites ici depuis dimanche, j'ai apprécié les propos de Che Bleu, Daniel, JoeySax comme précédemment, j'ai été intéressé de voir Soron enfin développer un peu son propos, j'ai été étonné d'avoir mal interprété les propos antérieurs de Kriiizzz, j'ai été touché que Kerala, plutôt nonniste radical, monte au créneau pour renvoyer sobrement dans les cordes un "anecdotique" qui ressemblait trop à un certain "détail de l'histoire", mais j'ai apprécié surtout la contribution sans fard de Zazou60 qui écrivait notamment : "j'avoue avoir de sacrées difficultés à trouver de véritables altruites dans les faits. la plupart de mes copains sont contestataires et revendiquent la super égalité, le partage... mais lorsque j'ai vécu en communauté avec eux, la réalité était toute autre... ma gueule et que ma gueule. mes concitoyens travailleurs sont devenus hyper corporatistes...".
Les Français ont en effet, semble-t-il plus que d'autres peuples, une tendance "schizo", une tendance à ne pas essayer d'assurer la cohérence entre ce que fait leur main droite et ce que fait leur main gauche. On va chercher à systématiquement acheter le moins cher d'un côté et on va s'offusquer ensuite que cela nourrisse les délocalisations. On va souhaiter que plus d'argent public soit consacré à tels grands chantiers prioritaires mais on va renâcler à payer plus d'impôts pour cela. Au niveau de la représentation politique, c'est largement la même chose. On va multiplier les attitudes frondeuses tout en appelant de ses voeux, voire inconsciemment, qu'un chef charismatique émerge et montre le chemin, pris en tenaille entre nos grande traditions révolutionnaire d'une part et bonapartiste d'autre part.
D'ailleurs, il est clair que s'il fallait choisir aujourd'hui un président, les suffrages se porteraient de manière nette sur Nicolas Sarkozy et qu'il ne s'agirait pas que de suffrages placés d'ordinaire à droite, mais aussi d'un nombre significatif de suffrages populaires et de gauche en général. Pour des raisons objectives et subjectives dans lesquelles je ne vais pas rentrer aujourd'hui, ce n'est pas le coeur de mon propos. Mais c'est un autre exemple de cette ambivalence des esprits.
Pour revenir à notre question du "changer le monde" et de sa perception "à gauche", il y a donc l'approche radicale et l'approche réformiste. Une fois qu'on a commencé à penser son désir de changer le monde, quasi immédiatement surgit la question du "Que puis-je faire personnellement pour y contribuer". L'approche radicale en reste à une vision de "lutte de classes", à l'impératif de "choisir son camp", c'est-à-dire 1) qu'elle pense le collectif non pas comme recouvrant l'intégralité de la communauté mais comme un sous-ensemble devant gagner contre un autre ; et 2) que dans ce but, l'action individuelle doit principalement consister à faire nombre, à peser dans des rapports de forces.
Cette perception/posture est tellement bien implantée dans nos esprits français qu'elle influe sur tout le spectre des opinions et représentants politiques et suscite des commentaires qui la confortent de tous bords. Ce peut être aussi bien Raffarin théorisant sur la "France d'en bas" et la "France d'en haut", le FN faisant son miel de l'opposition entre élites (de "l'établissement") et peuple, ou le malin Fabius glosant sur "les deux France". Eh bien non, il n'y a pas actuellement 2 France, avec des gens qui désespéreraient d'une part et d'autres qui se sentiraient tout guillerets et tranquilles dans ces temps difficiles. Le pathos, le simplisme et les arrières-pensées de conquête du pouvoir font toujours malheureusement recette, mais la réalité, c'est beaucoup plus : une fraction non négligeable (mais pas à plus de 10-15%) pour qui c'est vraiment dur, une fraction négligeable (moins de 5% sans doute) pour qui ça ne pose pas de problème et un gros continuum dont nous faisons sans doute quasiment tous partie ici pour qui ça n'est pas facile, voire rude depuis 10-15 ans, mais qu'il n'y a vraiment pas lieu de dresser les uns contre les autres.
La persistance de cette vision de lutte de classes et de "grand soir" qui, aux yeux des réformistes, n'est plus en phase avec la réalité d'aujourd'hui n'est sans doute nulle part aussi forte qu'en France et c'est un des noeuds de notre société, que nous nous trimballons depuis plus de 20 ans, dans le non-dit du côté de la gauche réformiste. Le refus du TCE, dans ce contexte, chagrine ceux qui comme moi, y avaient investi une grosse dose d'idéal... réformiste, mais marque sans doute aussi un début de catharsis autour de ce noeud de l'illusion lyrico-révolutionnaire. En ce sens, ce "Non" inaugure une période encore plus tendue mais passionnante en ce qui concerne ce travail-là de notre société.
Les années qui viennent seront nécessairement des années de clarification sur ce plan et les réformistes ont plus que jamais foi dans leur vision du monde. Vaccinés maintenant contre les vindicatives accusations de "sociaux-traîtres" venant d'horizons n'ayant, en plusieurs décennies, rien prouvé sur le plan concret, ils expriment désormais leurs vues plus franchement, sans plus éprouver le besoin de donner trop de gages à d'improbables dépositaires de la "générosité". Pour faire avancer ces vues, nous aimerions bien voir Dominique Strauss-Kahn développer encore mieux son discours déjà bien pensé ; et assez vite, si possible, pour ne pas que l'horizon de la présidentielle 2007 soit occupé par le seul Sarkozy comme mec ayant vraiment des chances d'être élu.
Voilà, en gros, ce que m'inspire cet après-référendum, camarades cannabiculteurs !