Ca devrait répondre a ta question
Libération : Elite du non, peur de l'Union
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http://www.liberation.fr/page.php?Article=290250En s'opposant à la Constitution, «la France d'en haut» bloque l'Europe
politique et sociale.
Elite du non, peur de l'Union
Par Alain LIPIETZ
lundi 18 avril 2005
l 'hésitation des Français face à la Constitution est parfaitement
légitime. Légitime avant tout la méfiance de la «France d'en bas». On leur a
tellement menti depuis l'Acte unique et Maastricht, censés créer des
dizaines de millions d'emplois, depuis Amsterdam et Nice, censés doter
l'Europe de la superstructure politique qui manquait à Maastricht...
L'Europe que connaissent les ouvriers, les employés, les petits paysans,
c'est l'Europe de l'austérité, du chômage, de la destruction des services
publics au nom de la libre concurrence.
Comment faire comprendre aux victimes de l'Europe de Maastricht et de Nice
que la Constitution leur offre des armes contre cette Europe qu'ils
détestent ? Comment leur faire admettre qu'on ne vote pas contre l'Europe de
Maastricht et de Nice par un non qui maintient ces traités ? Comment les
convaincre, face au bombardement du sottisier du camp du non («la
Constitution, c'est le rétablissement de la peine de mort, l'interdiction de
l'avortement, la fin de la laïcité, la directive Bolkestein...») ? Comment
leur faire réaliser qu'on ne négociera pas un meilleur traité, quand presque
toute la gauche européenne hors de France est pour le oui, quand presque
tout le camp du non, en Europe, est ultralibéral et souverainiste ?
Tout aussi compréhensible, quoique beaucoup moins légitime, est l'opposition
d'une partie de la France d'en haut, le non des «bacs + 4 et plus», des
ténors de la social-démocratie tels Laurent Fabius, de ses économistes tels
Jean-Paul Fitoussi. Ceux-là, après avoir négocié, voté, signé, défendu
l'Acte unique et les traités de Maastricht, Amsterdam et Nice, appellent à
voter non, c'est-à-dire à en rester à ces traités dont ils sont les pères.
Cette résistance, de la part de ceux qui avaient accepté Maastricht et Nice,
traités intergouvernementaux, mais qui refusent la Constitution, premier
vrai pas vers une Europe politique, traduit le point exact du basculement de
la question nationale dans le capitalisme du XXIe siècle.
De ce point de vue, le débat français n'est pas isolé. A l'initiative des
présidents Lula et Chavez, l'Amérique latine s'est elle-même lancée, le 8
décembre à Cuzco, dans un processus d'unification faisant explicitement
référence à la Constitution européenne. Aujourd'hui, face à la globalisation
des marchés, la politique nationale est impuissante. Il nous faut un espace
politique à la dimension même de l'espace économique, un espace politique
démocratique pour contrer le pouvoir du marché et des multinationales.
Aujourd'hui, cet espace a la dimension des continents, d'où le succès de ces
vastes espaces politiques intégrés que sont les Etats-Unis, la Chine et
l'Inde.
Bien des hommes et des femmes de gauche, de la France d'en haut et de la
France d'en bas, sont prêts à l'admettre. Le problème, c'est que la
transition vers cet espace politique implique deux étapes, la seconde étant
plus difficile que la première. Jusqu'ici, nous avons accepté de construire
une Europe intergouvernementale, c'est-à-dire une Europe où chaque nation se
réservait de pouvoir faire jouer des clauses de sauvegarde à son profit. Le
traité de Nice est venu couronner cette Europe politique frileuse : l'Europe
des nations. Cette Europe-là, parce qu'elle offre à chaque gouvernement un
droit de veto pour préserver «ses avantages comparatifs», est en fait une
prime au dumping social, écologique, fiscal. Pour aller plus loin, il faut
franchir une nouvelle étape, celle où la représentation directe des citoyens
(le Parlement européen) acquiert le pouvoir d'imposer sur l'ensemble du
continent l'égalité fiscale, la protection des travailleurs, des
consommateurs et de l'environnement.
Le traité établissant une Constitution européenne (TCE) représente un pas
limité mais décisif dans la transition de l'Europe des nations à la
véritable Union européenne, fondée sur une communauté de citoyens.
Il élargit considérablement la règle de la majorité au Conseil et de la
codécision avec le Parlement.
Il confère au Parlement européen un contrôle sur l'ensemble des dépenses
budgétaires, y compris la politique agricole commune.
Il offre aux citoyens européens, sur la base d'un million de signatures au
moins dans plusieurs pays, un pouvoir d'initiative législative.
Cette Constitution d'un espace politique européen direct (sans passer par le
filtre du relais national), c'est cela qui fait peur, en particulier aux
élites intellectuelles qui tiennent leur pouvoir de l'Etat-nation, à la
«noblesse d'Etat» qui les représente. C'est le fameux article VI qui
reconnaît que la loi européenne ainsi votée s'impose aux lois nationales.
Eh bien, disons le clairement, si nous n'acceptons pas ce processus
d'unification, si nous restons des petits Etats désarmés se chamaillant face
à la force unifiée du marché et du profit, il est inutile à l'avenir de
parler d'Europe sociale, fiscale ou écologique.
Seul, aujourd'hui, Jean-Pierre Chevènement a le courage de le dire : il vote
non parce qu'il préfère Nice au traité constitutionnel, comme il a voté non
à Maastricht parce qu'il préférait la souveraineté française à l'Europe des
nations.
J'ai voté non à Maastricht pour la raison inverse : pas assez fédéraliste
face au pouvoir du marché, et pour cette même raison je voterai oui au
traité constitutionnel européen qui est un grand pas vers l'Europe
politique, vers la souveraineté populaire à l'échelle européenne. La
position «oui à Maastricht et à Nice, non au traité constitutionnel
européen», quand elle émane de cadres politiques et intellectuels, traduit,
elle, une ligne bien construite : nous voulons bien de l'Europe économique
et monétaire, mais l'Europe politique ? Terminus, on en reste là.
C'est-à-dire au traité de Nice qui n'autorise au mieux que le traitement
compassionnel local des blessures de la guerre économique globale, le
social-libéralisme.
La Constitution ne nous «donne» pas l'Europe sociale. Elle nous donne les
moyens politiques de la conquérir. C'est pourquoi elle ne peut être qu'un
premier pas, que relaieront les campagnes pour des millions de signatures,
que relaieront les députés européens. Le oui ne peut être qu'un oui de
combat.
Alain Lipietz
député Verts européen.
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