L'historique du cannabis selon l'ANIT (devenu depuis ANITeA)
Source: ANITeA
Cultivé sur les pentes himalayennes 5000 ans avant notre ère, le cannabis est une des plantes les plus anciennement connues de l'homme. Son extension se déroule à partir de l'Asie centrale, au fil des invasions et des conquêtes, vers l'est (Chine, Inde), et vers l'ouest (Moyen-Orient, vallée du Nil puis Maghreb lors des conquêtes arabes).
On retrouve, dès 3000 ans av. J.-C., des témoignages de la culture du chanvre en Chine, pour sa fibre textile.
C'est un peu plus tard qu'il est utilisé pour ses vertus médicinales. SHEN NUNG, empereur chinois botaniste, auteur d'un traité de médecine, prescrit son emploi comme sédatif, comme anesthésique (mélangé à du vin), voire comme panacée. Le cannabis a donc fait partie de la pharmacopée chinoise pendant des siècles mais n'a jamais été largement utilisé dans ce pays comme stupéfiant, car les Chinois disposaient de substances psychoactives beaucoup plus puissantes.
Les premières descriptions des effets psychotropes du cannabis sont en fait retrouvées dans les védas, textes religieux écrits en sanscrit archaïque, qui forment les premiers documents littéraires de l'Inde (1500 à 1400 av. J.-C.). La tradition indienne attribue au cannabis une origine divine : il serait issu des poils du dos du dieu VISHNU. Il est considéré (probablement de manière erronée) comme entrant dans la composition du soma, philtre divin, élixir d'immortalité. Le brahmanisme qui fait suite au védisme loue les vertus du bhang, infusion de cannabis bue au cours des rites religieux et réputée permettre "l'union avec la divinité". Au-delà des rites religieux, la consommation de bhang se répand rapidement dans la population, et le cannabis passe du statut d'élixir et de plante médicinale à celui de drogue psychoactive peu coûteuse et facile à obtenir.
De l'Inde, le cannabis s'étend au Moyen-Orient et en Egypte, où il est mentionné sur des papyrus de l'époque pharaonique (1550 av. J.-C.).
Ce sont les Scythes, peuple nomade d'origine iranienne, vivant dans les steppes du nord de la mer Noire, qui répandent l'usage religieux du cannabis des confins de la Sibérie à l'Europe, du VIème au Vème siècle avant notre ère, comme en témoigne HERODOTE (484-425 av. J.-C.) dans son récit historique des guerres médiques. Il décrit notamment l'ivresse délirante résultant de l'inhalation des fumées exhalées par les graines et sommités fleuries du chanvre jetées sur des charbons ardents lors des cérémonies religieuses. "C'était pour eux comme un bain de vapeur plus parfumée que celle d'aucune étuve grecque, et la jouissance en était si vive qu'elle leur arrachait des cris de joie." .
Les Grecs et les Romains connaissent également le chanvre, dont les Egyptiens leur ont transmis l'usage, et l'utilisent pour fabriquer voiles, cordages et tissus. Il existe ainsi dans l'Antiquité de nombreuses cultures de chanvre sur le pourtour méditerranéen. DIOSCORIDE, médecin grec (1er siècle), un des fondateurs de la thérapeutique, célèbre pour ses descriptions botaniques, reconnaît le pouvoir hallucinogène du cannabis tout en recommandant son usage contre les "maux d'oreille", tandis que GALIEN, un siècle plus tard, souligne les dangers de son abus.
Au déclin de l'Empire romain est associée une mise en sommeil de ce savoir, qui reprend toute son importance avec l'épanouissement de la civilisation arabe.
Plus tard, les Arabes envahissant l'Europe, comme les croisés revenant d'Orient, apportent à l'Occident la connaissance des préparations à base de résine de cannabis. Le développement de l'usage du cannabis dans le monde arabe est ici encore marqué par le rôle de la religion. L'Islam interdit en effet l'usage de l'alcool. Le cannabis est ainsi rapidement reconnu comme pouvant provoquer des effets psychotropes du même ordre, sans que son usage ne constitue un péché.
La légende veut que le cannabis ait été utilisé au XIème siècle, par un chef de guerre musulman, d'origine persane, Hasan IBN-AL-SABBAH, encore appelé le "Vieux de la montagne", fondateur de l'Ordre des Ismaéliens, pour fanatiser ses troupes. Celles-ci étaient réputées pour leur cruauté, comme en témoignent les récits des croisés. On dit que les jeunes guerriers étaient enfermés dans un jardin paradisiaque empli de fleurs merveilleuses et peuplé de filles splendides, où ils consommaient un breuvage mystérieux à base de cannabis, d'opium et d'hallucinogènes, à la condition qu'ils accomplissent aveuglément les ordres de leur chef. Les membres de cet ordre étaient ainsi dénommés "hashshâshîn" ("buveurs de haschich"). Leur cruauté et leur fanatisme auraient déterminé l'origine du mot "assassin" (cette hypothèse étymologique, que l'on doit à Antoine SILVESTRE DE SACY, orientaliste français de la fin du XVIIIème siècle, est par ailleurs controversée .
De l'Orient, le chanvre gagne l'Afrique du Nord. L'Egypte est un des pays les plus marqués par la généralisation de l'usage du cannabis , qui passe d'un usage réservé aux classes riches à l'ensemble de la population. De manière concomitante, le pays quitte une période de prospérité pour le début d'un lent déclin. Cette évolution amène les premières mesures répressives, décrétées dès le XIVème siècle : tous les plants de cannabis doivent alors être déracinés et détruits. Quant aux usagers, ils sont condamnés à avoir les dents arrachées.
L'extension de l'utilisation du cannabis se poursuit dans un deuxième temps (XIIIème siècle) vers l'Afrique de l'Ouest et du Sud.
Mais c'est en fait au XVIème siècle que l'Europe redécouvre vraiment le cannabis. William TURNER, botaniste anglais, le décrit en 1517 dans son herbier "Ortus sanitatis de herbis et plantis". Vers 1530, RABELAIS dans "Le pantagruellion" évoque une herbe dont les propriétés rappellent fortement celles du cannabis. Puis viennent les descriptions des propriétés médicinales, et notamment celle de CULPEDER, qui souligne les propriétés thérapeutiques du chanvre dans les cas de "jaunisses, toux, vers, caillots et hémorragies". La production européenne est alors de plusieurs milliers de tonnes par an. En France aussi, le chanvre est considéré comme une production agricole de premier ordre.
C'est certainement la conquête espagnole qui l'introduit en Amérique. On en retrouve la trace au Chili en 1619. Puis c'est le tour des Caraïbes et des Etats-Unis. George WASHINGTON en cultive dans son domaine de "Mount Vermont", comme en atteste son journal, en 1765 .
Le botaniste suédois Carl VON LINNE, auteur de la nomenclature binaire, donne en 1753 au chanvre son nom scientifique définitif : Cannabis sativa.
Le XIXème siècle apparaît comme l'époque faste du cannabis. En France, les soldats des armées napoléoniennes découvrent le cannabis lors de la conquête d'Egypte en 1800. BONAPARTE, soucieux de protéger ses troupes décrète alors : "Il est interdit sur tout le territoire égyptien de boire la forte liqueur préparée par certains musulmans avec une herbe appelée haschich et de fumer les sommités fleuries du chanvre." (ordonnance du 17 Vendémiaire An IX ou 09/10/1800) . C'est à l'occasion de la campagne d'Egypte que les médecins qui accompagnent les troupes françaises s'intéressent aux propriétés du cannabis. Il est étonnant de constater d'ailleurs que lors de l'époque coloniale, alors que les Européens envahissent les zones méditerranéennes où la consommation de cannabis était culturellement très répandue, le chanvre n'est pas utilisé d'emblée pour ses propriétés psychotropes.
Au milieu du XIXème siècle, le cannabis est d'abord utilisé pour des expériences scientifiques. Le docteur DESGENETTES, à son retour d'Egypte, rapporte des échantillons de cannabis qu'étudie LAMARCK. En 1835, AUBERT-ROCHE s'administre la nouvelle panacée avant de la proposer comme traitement spécifique de la peste. C'est dans le même mouvement d'étude scientifique que le docteur Jacques Joseph MOREAU DE TOURS, aliéniste à Bicêtre, ingère du haschich pour en décrire précisément, pour la première fois en 1840, les effets psychotropes, dans son traité "Du haschich et de l'aliénation mentale". Pour lui, le procédé de cette intoxication est assimilable à celui de la folie. L'usage du cannabis est donc un procédé d'exploration des confins du psychisme humain. Fort de cette expérience, il encourage son entourage à faire de même, et se fait l'introducteur et le zélateur de l'usage du cannabis auprès de l'intelligentsia parisienne. Celle-ci est prise d'un engouement massif, à un moment où les milieux littéraires sont très marqués par le romantisme et l'orientalisme.
Théophile GAUTIER notamment s'intéresse aux effets hallucinogènes du cannabis. Il décrit ainsi très précisément les effets qu'il peut ressentir. Impressionné par cette expérience, GAUTIER fonde avec ses amis le "Club des Hachichins" (nous respectons ici l'orthographe adoptée par l'auteur), dont il décrit le fonctionnement dans l'ouvrage du même nom. Cet étonnant cercle littéraire se réunit tous les mois à l'Hôtel de Pimodan, à Paris, et compte parmi ses membres BAUDELAIRE, NERVAL ou Alexandre DUMAS. On y croise aussi DAUMIER, BALZAC et DELACROIX (ces deux derniers étant d'ailleurs les plus réticents à se livrer à l'ivresse cannabique). Dans un décor de harem, sous les ordres du "Prince des Assassins", les sociétaires prennent du haschich, essentiellement sous forme de dawamesk ("confiture verte", mélange d'extrait gras de haschich, de sucre et de divers aromates), puis, vautrés sur les tapis et les sofas, s'abandonnent à l'effet de la drogue.
BAUDELAIRE est lui aussi fasciné par les effets psychotropes du cannabis, qu'il décrit dans plusieurs de ses textes, notamment dans "Le poème du haschich" : "Parmi les drogues les plus propres à créer ce que je nomme L'Idéal artificiel, (...) les deux plus énergiques substances, celles dont l'emploi est le plus sous la main, sont le haschich et l'opium.".
A côté des descriptions littéraires des effets du cannabis, l'utilisation de cette substance dans les colonies européennes et notamment en Inde amène les autorités scientifiques à s'intéresser aux dangers d'une telle consommation. C'est ainsi que le gouvernement britannique, fort de l'expérience des asiles indiens qui décrivent un grand nombre de malades souffrant de la "psychose du chanvre" ou de la "folie cannabidique", créé en 1893 une commission chargée d'étudier scientifiquement le sujet : la "Commission du chanvre". Celle-ci ne peut établir un rapport de causalité direct entre cannabis et maladie mentale, mais conclue que l'abus de drogue peut induire ou entretenir des désordres psychiques graves. A l'époque, le principe actif du cannabis reste inconnu, même si "on attribue généralement ses propriétés à une matière résineuse qui s'y trouve en assez bonne dose, dans la proportion de dix pour cent environ.".
La consommation de cannabis selon le modèle orientaliste en vogue en France se répand en Europe et aux Etats-Unis : à New York, on dénombre en 1880 plus de cinq cents hasheesh parlors (salons fumoirs de haschich) et la "Ganjah Wallah Hasheesh Candy Company" commercialise des confiseries au sucre d'érable et à la résine de cannabis ! La deuxième moitié du XIXème siècle voit aussi se multiplier l'utilisation du cannabis en pharmacologie. Les chimistes extraient la cannabine (résine très pure), et isolent le cannabinol (SPIVEYWOOD et EASTENFIELD, 1896)...
Les premières années du XXème siècle sont le théâtre d'une diabolisation de la consommation de cannabis, probablement en lien avec des intérêts politico-financiers visant à stigmatiser les usagers, qui appartiennent à l'époque à des minorités ethniques ou culturelles peu intégrées (l'usage du cannabis connaît une extension massive aux Etats-Unis avec les mouvements d'immigration des travailleurs mexicains. Parallèlement, la population noire continue à l'utiliser couramment). Certains Etats de l'Union prononcent l'interdiction de la consommation de cannabis (Californie, 1907). Cette mise en uvre d'une politique de prohibition aux Etats-Unis est suivie en France d'une prise de décision législative visant à interdire "la détention et la consommation des sommités florifères et fructifères du plant femelle de cannabis." (27/03/1953). Puis l'interdiction s'étend par la signature de Conventions internationales, comme nous le détaillerons ultérieurement.
Parallèlement, des recherches scientifiques et notamment pharmacologiques sont mises en route, devant le développement d'un débat contradictoire quant à la toxicité du cannabis. En 1930, CAHN démontre que le cannabinol n'est pas le principe psychoactif. C'est dans ce contexte qu'est découvert en 1964, par deux chercheurs israéliens (GAONI et MECHOULAM) le 9-tétrahydrocannabinol (9THC ou THC), principal alcaloïde responsable des effets psychotropes du cannabis.
C'est ensuite dans le sillage du mouvement hippie que la consommation du cannabis connaît à nouveau une heure de gloire, s'imposant dans les années 1960 et 1970 comme une "drogue douce". La consommation de marijuana est alors synonyme de fraternité, de liberté, de lutte contre les valeurs établies et contre l'émergence de la société de consommation. Le débat de société est relancé.
Une large mouvance se dessine alors, revendiquant de plus en plus clairement l'abolition de la politique de prohibition en matière de cannabis, notamment aux Etats-Unis. La même évolution est marquée symboliquement en France par la publication en 1976 dans les pages du quotidien Libération de l' "Appel du 18 joints", signé par nombre de personnalités du monde de la culture et de la politique, reconnaissant publiquement consommer du cannabis.
A l'heure actuelle, plusieurs mouvements continuent cette action en faveur de la libéralisation de l'usage du cannabis, il s'agit notamment de l'association HEMP (Help End Marijuana Prohibition) aux Etats-Unis, tandis qu'en France on peut citer le CIRC (Collectif d'Information et de Recherche Cannabique).
Parallèlement se poursuivent d'importantes recherches en psychopharmacologie et neurobiologie qui aboutissent en 1990 à la mise en évidence de l'existence de récepteurs spécifiques aux cannabinoïdes (HOWLETT) .
Nous voici à l'aube de l'an 2000, et l'opinion publique, les législateurs et les médecins oscillent toujours entre banalisation et diabolisation...