Pubdate: 5/12/06
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Par Arnaud Aubron, journaliste à Libération.
Mardi 05 Décembre 2006
Loi de 1970 : silence on réforme
C'est une triste première. Depuis son adoption
par l'Assemblée nationale il y a exactement
trente-six ans, c'est la première fois que la loi
de 1970 sur la toxicomanie est réformée dans
l'indifférence générale. Alors que les députés
s'apprêtent à voter aujourd'hui solennellement la
loi sur la délinquance de Nicolas Sarkozy, pas un
journal, pas une télé pas une radio ne semble
s'intéresser à son volet toxicomanie, qui
constitue pourtant la principale réforme en la
matière depuis des années.
A titre de comparaison, lorsque Charles Pasqua
avait, au milieu des années 90, relancé le débat
sur la loi de 1970, les auditions de la
commission Henrion avaient été retransmises en
direct à la télé (sans aucun résultat toutefois,
ladite commission s'étant, contre toute attente,
prononcé pour la dépénalisation de l'usage...).
Alors pourquoi tant d'indifférence ? D'abord
parce que le problème de la toxicomanie est
devenu moins spectaculaire. Un chiffre pour s'en
convaincre : 23 personnes sont mortes d'overdose
d'héroïne en France en 2005, contre environ 500
par an au milieu des années 90. La réduction des
risques liés à l'usage de drogues est passée par
là. Bien sûr, la cocaïne monte en puissance, le
crack fait des dégâts (mais concerne somme toute
assez peu de gens) et la consommation de cannabis
a explosé (mais malgré les efforts du
gouvernement, sa «très grande dangerosité» n'a
toujours pas été prouvée), mais l'image du junkie
a quasiment disparu du radar médiatique.
L'ensemble de la question des drogues avec.
Autre raison de l'indifférence générale: les
questions de libertés publiques dans leur
ensemble sont moins mobilisatrices. La répression
séduit électorat de droite comme de gauche et le
discours libertaire, oripeau de mai 1968, semble
provisoirement inaudible : s'ils ne veulent pas
avoir de problèmes avec la justice, les fumeurs
n'ont qu'à arrêter de fumer!
Enfin, peut-être échaudé par l'échec de sa
précédente tentative de réforme en 2003, le
ministre de l'Intérieur lui-même semble avoir
souhaité cette discrétion. Comment, autrement,
expliquer que la réforme soit contenue dans une
loi globale sur la délinquance, dont certains
volets sont, il est vrai, bien plus
spectaculaires?
Reste à savoir ce qui va concrètement changer
pour les usagers de drogues. Probablement rien,
ou pas grand-chose.
Bien sûr, l'affichage se veut énergique. «Nous
choisissons d'être moins durs en théorie pour
être enfin efficaces en pratique», a déclaré
Sarkozy à l'Assemblée il y a quinze jours en
présentant son projet. «Moins durs» ? Rien n'est
moins sûr: la plupart des peines prévues pour
consommation ou trafic sont revues à la hausse.
Mais les maximums sont de toutes façons déjà
tellement élevés en la matière que rien ne
devrait changer de ce côté dans les tribunaux. Si
ce n'est que les avocats devront cesser de
plaider la toxicomanie comme circonstance
atténuante, l'usage de stupéfiant devenant tout à
coup une circonstance aggravante.
La loi sera-t-elle plus systématiquement
appliquée, comme le prétend le ministre? Pas si
sûr. Car si elle ne l'est pas aujourd'hui,
Sarkozy n'y est pas tout à fait étranger. Selon
le Canard enchaîné (« Mission maquillage sur les
statistiques de la délinquance »), les
commissariats de police parisiens ont reçu
l'ordre de ne pas engager de procédures contre
les usagers de stupéfiants détenant moins de cinq
grammes et ce afin de rendre plus présentables
les chiffres de la délinquance du candidat
Sarkozy... Alors qui croire ? Le candidat qui
demande aux policiers de ne pas appliquer la loi
? Ou le ministre qui déclare vouloir changer la
loi pour qu'elle soit systématiquement appliquée
? Et si tel était le cas, les moyens seraient-ils
débloqués ? Ainsi des «stages de sensibilisation
aux dangers de la drogue». Difficile de s'y
opposer: mieux vaut un usager en stage qu'en
prison. Mais si la loi était réellement
appliquée, plus de 3000 personnes seraient à
terme envoyées chaque jour dans ces stages. Ce
qui implique locaux et formateurs. Idem pour la
généralisation de l'injonction thérapeutique,
alors que la France manque déjà cruellement de
places d'accueil pour les toxicomanes.
Enfin, et c'est probablement la principale menace
planant aujourd'hui sur le texte de M. Sarkozy,
en cas de défaite face à Ségolène Royal à la
présidentielle, les décrets d'application de la
loi n'auront probablement pas le temps d'être
signés. Mais rien ne dit que Ségolène Royal
serait plus souple en la matière.
Arnaud Aubron