Mexique : une candidate féministe à la présidentielle bouscu

[digitall]

Reportage
Mexique : une candidate féministe à la présidentielle bouscule les conservatismes de la classe politique
LE MONDE | 27.06.06 | 15h06 • Mis à jour le 27.06.06 | 15h13
MEXICO CORRESPONDANTE
En cas d'actualité chaude, recevez nos alertes par e-mail.
Abonnez-vous au Monde.fr : 6€ par mois + 30 jours offerts







ur les murs bariolés d'affiches, on ne voit qu'elles - les candidates et leurs slogans accrocheurs : "Femme de propositions", "Femme de décision", "Femme avec des solutions", "Parole de femme !". Les Mexicaines n'exercent leur droit de vote que depuis 1953, mais elles sont de plus en plus nombreuses à participer à la vie politique et représentent aujourd'hui plus de la moitié des électeurs dans une société en pleine mutation.


Pour la première fois, une féministe s'est lancée dans la course à la présidence. A la différence de Rosario Ibarra, en 1988, puis de Cecilia Soto, pionnières issues de la gauche radicale, Patricia Mercado a axé sa campagne sur des thèmes encore tabous : l'avortement, la reconnaissance des unions homosexuelles, la dépénalisation de la marijuana. Elle incarne une nouvelle gauche pluraliste, en quête de démocratie "dans le pays comme à la maison".

Bien que son parti, Alternative social-démocrate, soit embryonnaire, Patricia Mercado a su se faire connaître lors des débats télévisés de la campagne, en articulant clairement ses propositions à côté de quatre candidats masculins occupés à s'entre-déchirer. Les sondages lui donnent 4 % des intentions de vote - et jusqu'à 10 % dans les universités. Mais elle risque de perdre, dans l'isoloir, nombre de ses sympathisants, qui préféreront donner leur voix au champion du Parti de la révolution démocratique (PRD, gauche), Andres Manuel Lopez Obrador, afin d'éviter que la droite ne reste au pouvoir.

Patricia Mercado est convaincue d'offrir "la seule proposition vraiment de gauche". Elle pointe les réticences de M. Lopez Obrador, catholique pratiquant qui élude dans ses meetings la question trop sensible de l'avortement et avait empêché, lorsqu'il était maire de Mexico, que l'assemblée régionale n'accorde un statut aux couples homosexuels. "Une bonne partie de la hiérarchie catholique a confiance en lui, parce qu'elle connaît son conservatisme", affirme Mme Mercado.

A ses yeux, M. Lopez Obrador n'offre pas de garantie suffisante que le Mexique va "changer les règles de la citoyenneté" et s'émanciper du système présidentialiste autoritaire perpétué pendant sept décennies par le vieux Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, centre). "La révolution démocratique accomplie ces dernières années avec l'éviction du PRI de la présidence, en 2000 est très fragile. On pourrait facilement régresser."

Les avancées féminines sont contrastées suivant les régions. A Mexico - 19 millions d'habitants -, les femmes forment déjà 33 % des délégués à l'assemblée régionale, qui doit être renouvelée le 2 juillet en même temps que le Congrès fédéral et le président de la République. Le PRI y présente l'une de ses personnalités les plus respectées, Beatriz Paredes, au poste de maire, même si elle n'a aucune chance de l'emporter sur son rival du PRD, Marcelo Ebrard.

En province et dans les campagnes, où 67 % des épouses demandent encore à leur mari l'autorisation de travailler à l'extérieur du foyer - ou pour aller consulter le médecin, selon un récent rapport des Nations unies -, les états-majors des partis politiques parviennent rarement à remplir le quota minimum de 30 % de candidatures féminines, imposé depuis 2002 par l'Institut fédéral électoral, et 4 % seulement des maires sont des femmes. Plus souvent frappées par la pauvreté et l'analphabétisme, celles-ci sont aussi plus manipulables à travers les programmes d'aides publiques.

L'influence de l'Eglise catholique, qui fut longtemps - comme en France - la raison pour laquelle les courants libéraux et laïques ont tant tardé à laisser voter le "sexe faible", connaît un déclin sensible. 70 % des Mexicaines en âge de procréer déclarent utiliser une méthode contraceptive moderne et le taux de natalité est descendu à 2,1 enfants (1,8 dans la capitale).

"Le comble, rappelle Patricia Mercado, c'est que c'est un gouvernement du PAN - Parti d'action nationale, droite catholique - qui a autorisé la commercialisation au Mexique de la pilule du lendemain", que ses détracteurs considèrent comme abortive. En 2003 encore, l'Eglise avait attaqué publiquement les positions défendues par Mme Mercado. Trois ans plus tard, elle se montre beaucoup plus discrète et se contente d'inciter les candidats au "respect de la vie".

Les féministes constatent que leurs idées ont gagné du terrain. Le candidat du PAN à la présidence, Felipe Calderon, "a élaboré une plate-forme contre la discrimination sexuelle, dans laquelle il intègre beaucoup de nos propositions", souligne Marta Lamas, animatrice de la revue Debate feminista. A l'heure du scrutin, selon elle, nombre de femmes vont connaître "un véritable dilemme".

M. Calderon incarne "une droite moderne, mais en fin de compte la droite. Lopez Obrador c'est la gauche un peu vieux jeu, mais c'est grâce au PRD que nous avons obtenu de véritables avancées à Mexico", notamment la dépénalisation de l'avortement. D'autres voteront Mercado, avec un pincement au coeur : 2 % des voix, dans un scrutin que l'on prévoit très serré, peuvent faire basculer l'élection.

Joëlle Stolz
Article paru dans l'édition du 28.06.06

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0 ... 577,0.html