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"Une forte insécurité juridique
et une grande inégalité"
NOUVELOBS.COM | 09.06.06 | 09:58
par Renaud Colson,
maître de conférences en droit privé
et sciences criminelles à l’Université
de Nantes, a dirigé l'ouvrage collectif
"La prohibition des drogues : regards croisés
sur un interdit juridique"
(Presses universitaires de Rennes, 2005)
Quels étaient les principes ayant conduit à l'adoption de la loi de 1970 ?
- La loi du 31 décembre 1970 est le produit d’un compromis politique entre le ministère de la Santé, la Chancellerie, et les parlementaires. S’il est difficile de démêler l’écheveau des influences à l’origine de ce texte hybride, il est acquis que celui-ci est une loi de défense sociale dominée par une double préoccupation d’humanisme et de resocialisation des déviants. Le consensus parlementaire qui a présidé au vote de cette loi s’est bâti – du moins en ce qui concerne le statut de l’usager de drogues - autour sa dimension sanitaire.
Empreinte de paternalisme, la position des députés et des sénateurs à l'égard des consommateurs de drogue était sans ambiguïté. Il fallait avant tout "guérir les usagers", leur punition ne devant être envisagée qu'avec "une extrême prudence". En conséquence de quoi, le législateur a placé toute personne "usant d'une façon illicite de substances ou plantes classées comme stupéfiants sous la surveillance de l'autorité sanitaire" (art. L. 3411-1 du Code de la santé publique).
La priorité accordée à la rééducation se traduit par la possibilité offerte à l'usager d'échapper aux poursuites en s'engageant dans une démarche thérapeutique ayant l'abstinence pour finalité.
À défaut de traitement volontaire, l’usager de drogues peut être soumis à une obligation de soin imposé dans le cadre d’une procédure judiciaire. Le pari formé par le législateur était de résoudre ainsi un problème de santé publique par le recours au système pénal: la criminalisation de l'usager à raison de sa pratique était alors unanimement conçue comme un "filet de sécurité" destiné à venir en aide, envers et contre tout, aux toxicomanes refusant le traitement médical imposé par l'État. L’intention généreuse de la loi semble néanmoins avoir été contrecarrée par la réalité clinique et les pratiques judiciaires.
Quel bilan peut-on faire de ces 30 années de prohibition ? Que risque-t-on aujourd'hui si l'on consomme du cannabis ?
- Force est de constater l’échec, sur le terrain, du dispositif de soin obligatoire mis en place par la loi de 1970. Les recherches empiriques ont mis en évidence une grande diversité, spatiale et temporelle, dans le prononcé des injonctions thérapeutiques.
Quant aux statistiques officielles, elles témoignent de la faiblesse des résultats obtenus. L'inadaptation du traitement obligatoire pour venir en aide aux consommateurs de drogues illicites identifiés par l'appareil judiciaire a rendu sa mise en œuvre exceptionnelle. En revanche, l’incrimination de l’usage de stupéfiants (qui est puni d’un an d’emprisonnement et de 3.750 euros d’amende), votée en son temps presque à regret par le législateur, a connu une destinée plus favorable. C’est désormais essentiellement sur le terrain pénal que se mène la lutte contre l’usage de drogues.
Les sources statistiques relatives au phénomène des drogues et des toxicomanies montrent que, les peines d'amende ou d'emprisonnement sont devenues une réponse relativement fréquente à l'usage de stupéfiants. Parmi les dizaines de milliers de consommateurs de drogues illicites interpellés chaque année par la police (en 2003, 90.630 personnes), plusieurs milliers sont condamnés (4.658 condamnations pour usage à titre d’infraction principale en 2002) et plusieurs centaines incarcérés (en 2003, 1.977 personnes).
Ces chiffres attestent du caractère sinon systématique, du moins habituel, de la pénalisation de l’usage de drogues. D’autant que la répression des consommateurs emprunte parfois d’autres voies que la sanction de l’usage simple.
L’usage illicite d’une drogue ne se conçoit guère sans sa détention, son achat ou sa production. Or, ces agissements sont sévèrement réprimés par la loi de 1970 qui se voulait implacable pour les trafiquants. Ainsi l'usager qui recourt à l’auto-production encourt-il une peine criminelle de vingt ans. Quant à celui qui passe la frontière, transporte, acquiert ou détient une drogue prohibée en vue de sa consommation personnelle, il risque une peine correctionnelle de dix ans. Les poursuites contre l’usager simple sont également possibles sur le fondement de textes plus généraux réprimant délits douaniers ou infractions à la législation sur les substances vénéneuses.
Quelles seraient les conséquences d'une dépénalisation ? Ne risque-t-elle pas d'avoir des effets pervers ?
- L’application sporadique des dispositions répressives de la loi de 1970 génère une forte insécurité juridique pour les consommateurs et une grande inégalité de ces derniers devant la loi. Une dépénalisation de l’usage aurait le mérite de faire disparaître cet arbitraire institutionnel. Elle permettrait également de mieux articuler les politiques de sécurité publique aux politiques de réduction des risques.
Mais la dépénalisation n’est pas dénuée d’effets pervers et l’on ne peut exclure qu’elle conduise à une augmentation de la consommation de drogues et à une dynamisation des trafics. Pour cette raison, la voie d’une légalisation contrôlée par l’Etat semble préférable. Cela supposerait la mise en vente, dans des officines publiques, des produits psychoactifs jusqu’alors interdits, mais également la mise à disposition, en ces mêmes lieux, d’informations fiables sur les risques de l’usage.
Propos recueillis par Jérôme Hourdeaux
(le vendredi 9 juin 2006)
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