Mettons tous les tabous sur la table !

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Mettons tous les tabous sur la table !

Messagepar daniel » 21 Jan 2013, 03:59

Date : 19/11/05
Source : Agoravox
Site : http://www.agoravox.fr
URL : http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=4626

Mettons tous les tabous sur la table !

La crise que nous venons de connaître ces trois dernières semaines a permis
à la société française de mettre bon nombre de ses tabous sur la table.
Carte scolaire, problèmes criants de discrimination raciale, rapport entre
la jeunesse et la police, et la liste n'est pas exhaustive. Pourtant, cette
crise aiguë de lucidité ne semble pas avoir eu raison de ce qui semble être
le tabou suprême, le cannabis. Quel dénominateur commun retrouve t-on
derrière les problèmes d'économie souterraine, de déscolarisation des
adolescents, ou du contentieux jeunes/police ? Évidemment le cannabis.
Tous les politiques, les analystes, les acteurs de terrain ont cette phrase
à la bouche : « L'économie souterraine gangrène nos quartiers ! » Si
l'objectif est d'affoler tout le monde, c'est une réussite. Mais, comme
toutes ces expressions préfabriquées, elle n'apporte aucun élément de
compréhension. La pierre angulaire de l'économie souterraine, c'est le
cannabis. Tous les autres business tournent autour du cannabis comme des
satellites autour de leurs planètes. Les caïds, comme on aime à les appeler,
utilisent les bénéfices du cannabis pour financer leurs autres business
(drogues dures, armes, etc.) bien plus lucratifs. Il faut casser l'image du
dealer de cannabis au pied de son immeuble qui roule en BMW grâce à l'argent
de son trafic. D'abord, parce que les millionnaires du business n'habitent
plus la cité depuis longtemps mais bien souvent un pavillon cossu du centre
ville, c'est plus discret et confortable ; ensuite, parce que si on peut
vivre du cannabis, on peut difficilement faire fortune grâce à lui.

Avec plus de 5 millions de consommateurs, presque autant de fournisseurs, le
marché est plus que concurrentiel et ne permet pas de marges exorbitantes.
Les prix sont les mêmes partout (environ 30 euros pour 12 grammes) et ne
font que baisser depuis quinze ans suivant la courbe inverse de la
consommation qui
explose. Tout au mieux, un jeune qui vit du « shit » gagne un « salaire »
moyen
équivalent à celui d'un fonctionnaire de base.

Mais ce portrait du fournisseur ne reflète qu'une réalité minoritaire. Le
gros des troupes des dealers a un emploi et ne fait qu'arrondir ses fins de
mois avec le trafic. Il y a aussi la catégorie du consommateur solidaire :
en général, il s'agit d'un jeune issu de ces banlieues, qui a réussi à s'en
sortir, qui travaille dans les centres villes et qui est sans cesse
sollicité en raison de ses origines, pour « remonter » du shit à ses collègues
(voire à son patron) sans même penser à en tirer un bénéfice autre que celui
d'être bien vu. Il serait idiot de penser que les 5 millions de
consommateurs se trouvent dans les banlieues. Le cannabis est devenu un
produit de consommation de masse. On trouve des « fumeurs » partout, de tous
âges et de toutes catégories socioprofessionnelles, du chômeur au chef
d'entreprise, du jardinier au journaliste, du fonctionnaire de police à
l'attaché parlementaire. La France a développé une culture de la
consommation de cannabis et refuse de l'accepter, préférant se bander les
yeux et croire aux vertus de la pénalisation pour réduire la consommation.
Chers amis, n'est-il pas temps de reconnaître que cette politique a échoué
puisque nous sommes les champions du monde de la consommation ?

Cet aveuglement entraîne des situations inacceptables car il engendre une
anarchie complète dans la distribution du cannabis. Beaucoup de gamins
peuvent se permettre d'être déscolarisés à cause du cannabis. Tout jeune
mâle adolescent, vers l'âge de 15 ans, se retrouve dans ce que l'on appelle
« la crise d'adolescence ». Nous avons tous vécu ce moment charnière où on ne
supporte plus les adultes, où on considère que l'école ne sert à rien et
qu'il vaudrait mieux se mettre à gagner sa vie. Nous en sommes tous sortis,
parce que nous avons été confrontés au principe de réalité. A 15 ans, on ne
peut pas gagner sa vie, et on retourne vite à ses études. Mais la réalité
dans ces cités, c'est que ces gosses peuvent vivre de la vente du cannabis.
Et le problème commence également à toucher les enfants des beaux quartiers.
Les taux d'absentéisme augmentent partout. Et que se passe-t-il lorsque ces
mômes sont rattrapés par le système pénal ? C'est leur vie que l'on met en
parenthèse. Allez vous insérer dans la vie active avec un casier judiciaire
dont la première ligne est : « trafic de stupéfiants » ! Bon courage !

Bref, il est temps de réaliser que cette situation doit cesser. Et puisque
la pénalisation a montré son inefficacité à protéger ces gamins, on doit
tous prendre conscience qu'il faut imposer des règles de distribution. Il
faut dire clairement que fumer du cannabis à 15 ans, ce n'est pas possible,
encore moins d'en vendre. Et si on laisse aux vendeurs actuels le soin de
tenir ces propos, la prévention n'est pas là de se mettre en place. La
pénalisation empêche toute prévention et pour s'en convaincre il suffit de
comparer les courbes de consommation des drogues « légales » et des drogues
« illégales ». En France, depuis plus de quarante ans, on fume de moins en
moins de cigarettes, on boit de moins en moins d'alcool, alors qu'au cours
de cette même période, la consommation de cannabis a augmenté de manière
exponentielle. Mais, en bon Français, nous préférons une fois de plus fuir
les réalités et nous enfermer dans l'immobilisme.

Un autre tabou nous a également sauté au visage. La jeunesse française dans
son ensemble (et pas seulement celle dont la couleur de peau indique les
origines) n'aime pas sa police. Étonnant ! Je sais bien que détester sa
police est un sport national français. Je ne nie pas que la police n'a pas
encore tiré les leçons de ses exactions passées (occupation, nuit du 17
octobre 1961) et que des relents de racisme existent en son sein, puisqu'il
y a même un syndicat de policiers très proche du F.N. Pourtant, je crois les
autres syndicats, qui nous répètent à longueur d'interview que la police
change petit à petit. Le racisme et la culture française ne peuvent pas
expliquer, à eux seuls, le malaise. Mais éclairés par la culture de la
consommation de cannabis, on peut comprendre ce qui se passe.

S'il y a un corps d'État où l'amalgame jeunes=voyous est le plus fréquent,
c'est bien la police nationale. Le pire est que l'amalgame est reconnu par
la loi. En effet, avec 5 millions de consommateurs (selon le code pénal, des
voyous) dont la majorité sont âgés de 18 à 30 ans, on comprend mieux le
contentieux. Quand un policier rencontre un jeune, il a tout intérêt à le
contrôler, puisqu'il y a du cannabis partout. Ceci est encore plus vrai
lorsque votre ministre vous invite plus que fermement à faire du chiffre.
Bien souvent, le contrôle ne commence pas par « Bonjour » mais par « Qu'est-ce
que t'as dans les poches ? » Très agréable entrée en matière, surtout quand
on n'a rien de fâcheux dans les poches.

« Et quand on en a ? » me demanderez-vous. Eh bien là, c'est le règne de
l'injustice. Si Thibault sort du lycée Janson de Sailly et se fait
contrôler, rue de la Pompe, une boulette de « shit » dans la poche, on va
l'inviter à venir bien gentiment au commissariat. Les menottes ? Pourquoi
faire ! « C'est pas une racaille celui-là, et puis vu le quartier, on ne sait
pas trop ce que font ses parents dans la vie, mieux vaut être prudent », se
disent les policiers. Arrivé au commissariat, Thibault attendra sagement
dans un coin que ses parents arrivent, le policier fera à toute la petite
famille un joli sermon sur le cannabis, et notre pauvre Thibault se verra
sans doute restreindre l'utilisation de sa carte de crédit offerte par papa
et maman à Noël dernier. Maintenant, la même situation, mais en banlieue.
Mohammed (Mamadou ou Jean-Luc) sort du RER après sa journée au Lycée
technique Georges Brassens, une boulette de cannabis dans la poche. Là,
bizarrement, le contrôle va durer une demi-heure, sous les yeux de tous, on
va menotter Momo, crier bien fort que c'est un trafiquant de drogues, une
racaille ou que sais-je, pour finalement l'inviter lui aussi au
commissariat. Mais là, on n'appelle pas les parents, « De toute façon, les
parents ne se déplacent jamais ! » Et ça ne va pas durer 2 ou 3 heures mais
24 à coup sûr. Pour peu que des collègues de nos policiers aient été
caillassés dans la semaine, Momo va avoir droit à l'interrogatoire façon
« Pablo Escobar ». « A qui t'achètes ? A qui tu vends ? Dis-le, que t'es un
dealer ! » Et à chaque réponse ne correspondant pas aux attentes des
policiers, ce sera soit un coup de bottin, soit une gifle avec la main,
gantée, évidemment, pour ne pas laisser de trace. Quand on tient Pablo
Escobar, tout est permis ! Après 24h, Momo sortira libre, et son dossier
sera en route pour le tribunal, qui le classera sans suite, parce qu'il n'a
pas que ça à faire. Et les policiers de nous rabâcher : « Vous voyez, on les
arrête et ils sont toujours impunis ! » On comprend mieux la frustration et
l'envie de revanche présente des deux côtés. Et pour peu que Momo décide
d'aller se remettre de ses émotions en boîte de nuit, et qu'il y croise un
des policiers de la veille en train de fumer son joint comme tout le monde,
vous obtenez un chien enragé ! Servez-lui, par-dessus, un « la loi doit être
la même pour tous », et c'est l'explosion.

A la lumière de la réalité du cannabis en France, il est temps que chacun
sorte la tête de son trou, analyse lucidement la situation et propose des
solutions adéquates. Et surtout que l'on ne vienne pas parler de
« dépénalisation de la consommation » dans une volonté bien française de
ménager la chèvre et le chou, parce que la dépénalisation, c'est la
légalisation de fait de la situation expliquée ci-dessus. Enfin, tous les
politiques sont d'accord pour concentrer les efforts sur les banlieues. Ici,
on propose 15 élèves par classe ; là, un service civil volontaire payé au
smic. Mais avec quels financements ? Les caisses sont vides ! Ne serait-il
pas temps de trouver de nouvelles rentrées d'argent pour pouvoir assumer
toutes les belles et nécessaires promesses des politiciens ? A moins que
l'on préfère se passer d'argent frais et laisser les bénéfices d'un marché
de 5 millions de clients aux groupes mafieux ou/et intégristes.

Article rédigé par Nicolas Aubert
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