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La police couvre la police, Amnesty dégaine son rapport
L'association s'élève contre l'impunité des agents de la force publique.
Par Patricia TOURANCHEAU
jeudi 07 avril 2005 (Liberation - 06:00)
Amnesty International a publié hier un rapport intitulé «France, pour une véritable justice», non pas sur les bavures policières mais sur «l'impunité de fait des agents de force publique dans des cas de coups de feu, de morts en garde à vue, de tortures et autres mauvais traitements». L'organisation a analysé une trentaine d'affaires de «graves violations des droits humains, avérées ou présumées, commises par des policiers, entre 1991 et 2005» dans l'Hexagone. Sur dix-huit cas de violences policières exposés dans le détail, tous «concernent des jeunes d'origine étrangère», d'Afrique du Nord ou subsaharienne. Amnesty stigmatise aussi l'inertie du parquet qui peine à déclencher des poursuites, la propension des policiers à dégainer une plainte pour outrage ou rébellion contre ceux qui portent plainte contre eux, et la faiblesse des condamnations prononcées, lorsqu'il y en a : «En France, le gouvernement, les magistrats et les responsables de la police nationale laissent les policiers faire un usage excessif de la force, voire recourir à la force meurtrière, à l'encontre de suspects d'origine arabe ou africaine, sans qu'ils aient à craindre de sanctions sévères», selon Amnesty.
A l'appui de ces conclusions, Gillian Fleming, chercheuse d'Amnesty sur la France, cite deux cas : «Un jeune homme dans une voiture peut-être volée qui vient de fêter un nouvel emploi a été tué par un policier qui a tiré de l'extérieur à travers la vitre embuée : trois ans de prison avec sursis» ; un policier de Mantes-la-Jolie qui a tiré en 1991 dans le pare-brise arrière d'une voiture et a abattu le passager Youssef Khaïf a été acquitté dix ans plus tard au motif que «son état d'esprit était altéré par la mort de sa collègue» juste avant. Sans compter les blessures de deux citoyens intervenus lors de contrôles d'identité houleux, tel Omar Baha, acteur d'origine algérienne, qui eut le nez cassé au métro Château-d'Eau en décembre 2002. Présente à la conférence de presse, la veuve du Congolais Sydney Manoka Nzeza n'a toujours pas compris une «telle disproportion» entre le délit reproché à son mari, «avoir heurté le rétroviseur du véhicule d'un policier à la retraite» et «l'intervention musclée de la brigade anticriminalité» de Tourcoing (Nord) le 6 novembre 1998 : «Mon mari est mort étouffé par deux agents de la BAC qui ont été condamnés à sept mois de prison avec sursis pour homicide involontaire. Pourquoi cette justice à deux vitesses ?» demande la veuve, qui n'est pas antiflics : «Bien sûr, on a besoin de la police pour éviter des débordements. Mais pas de la police à bas prix sans formation et sans garde-fous !»
Si «les tirs policiers sont en diminution», la multiplication des contrôles d'identité et l'attitude de policiers lancés dans la «reconquête» de quartiers sensibles et qui «se considèrent comme une force engagée dans un conflit contre un ennemi» contribuent à ces «dérapages», selon le rapport d'Amnesty. Il rappelle que les faits de brutalités policières allégués dénoncés aux services du ministère de l'Intérieur ont augmenté de 18,5 % entre 2003 et 2004. «La justice se montre incapable de mener des enquêtes exhaustives et impartiales et [de] punir les auteurs» de ces violences, remarque Amnesty, qui recommande aux autorités françaises de créer «un organisme indépendant» chargé de conduire ces investigations, «d'ordonner des procédures disciplinaires» et judiciaires afin «de remplacer à terme» les trois services d'inspection internes à la police et à la gendarmerie (IGPN, IGS et IGG) qui ont tendance à «couvrir». L'organisation préconise aussi de doter de moyens et de pouvoirs accrus la commission nationale de déontologie de la sécurité qui enquête sur ce type de faits à la demande de parlementaires. Elle exhorte également le gouvernement à intégrer au code pénal une définition de la torture, à permettre à tous les gardés à vue, y compris dans les affaires de terrorisme et de criminalité organisée, de consulter un avocat dès la première heure (et non pas à la 72e heure) et de filmer tous les interrogatoires (et pas seulement ceux des mineurs), les locaux de police et cellules de garde à vue afin d'apporter des preuves de bons ou mauvais traitements.
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