C'est l'histoire d'un Creusotin de 27 ans. Qui cultivait 1 (un) plant de cannabis dans un pot, sur son balcon. Et qui risquait, apprit-il lundi devant les juges chalonnais, 20 (vingt) ans de prison ferme. Qui l'eût cru ?
Andersen en aurait probablement fait un conte. Et Jean-Pierre Jeunet peut-être un film. Car le tout petit bout de justice (vingt minutes chrono, lundi, de 16 h 45 à 17 h 05 pour être précis) qu'ont vécu les vingt-deux ou vingt-cinq personnes présentes à l'audience du tribunal correctionnel de Chalon ce jour-là à ce moment-là, ce tout petit bout de justice porte en lui, potentiellement, tout ce dont la littérature et le cinéma peuvent rêver.
A la barre un jeune homme. Un Creusotin de 27 ans. Joaquim, c'est son prénom. Il vit dans un appartement, avec balcon sur rue. Le 31 août dernier, à une heure qui n'a pas été précisée à l'audience du lundi 18 octobre du tribunal correctionnel de Chalon, une patrouille du commissariat de police (ou de la gendarmerie ?) du Creusot repère, sur ledit balcon, une plante superbe.
Août 2004 fut un mois exceptionnel pour les plantes installées sur les balcons ; il plut quasiment un jour sur deux, et l'autre jour, il faisait chaud ; ce ne fut pas la canicule de 2003, mais ça chauffait quand même. Et ce 31 août, dans le pot de Joaquim, la plante verte, elle dégage.
Comme chacun sait, les policiers (et les gendarmes) sont régulièrement briefés sur les plantes interdites. Ils reconnaîtraient un plant de cannabis chétif à 50 mètres ; celui de Joaquim, fier de la tige, leur saute donc aux yeux.
Les voici dans l'appartement. Le jeune homme reconnaît tout. C'est le contraire d'un violent. 'Oui, je fume, dit-il, mais juste ma production.' Avec un pied sur son balcon, il ne doit pas prendre des 'cuites' bien terribles. Et encore, celui qui est là, en train de 'mûrir', ce n'est pas demain matin qu'il va s'en rouler le premier joint.
Dura lex, sed lex comme disaient les vieux Romains. Joaquim est en faute, on dresse procès-verbal. Il signe. Avant de repartir, les policiers (ou les gendarmes) veulent fouiller un petit coup l'appartement. Avec un cultivateur de cannabis, on ne sait jamais.
Bonne pioche : en fouillant, on ne trouve ni ectasy, ni héroïne, ni cocaïne, mais on trouve une pochette. Et à l'intérieur de cette pochette, des papiers d'idendité.
C'est à n'y pas croire, mais ces papiers d'idendité, ce ne sont pas ceux de Joaquim. Ce sont ceux de sa petite amie, alors ? Ou de sa petite sœur ? Né-ga-tif : ce sont ceux d'une brave dame qui s'est fait voler cette pochette justement deux, trois, huit ou dix jours avant, à l'Hôtel-Dieu du Creusot.
'Je ne suis jamais allé à l'Hôtel-Dieu', tentera d'expliquer le jeune homme. Peine perdue, le rapport est déjà écrit. Car réfléchissez une seconde : comment cette pochette, volée (oui, ça, c'est sûr, à l'Hôtel-Dieu) serait-elle arrivée dans le tiroir de la commode ou sur le buffet de cuisine de Joaquim, si ce n'était pas lui qui l'avait fauchée ?
A la barre, lundi après-midi, Joaquim expliquera qu'il a trouvé la pochette dans la rue. Sans la moindre pièce de monnaie à l'intérieur. Et qu'il l'a ramenée chez lui.
Question toute bête : 'Vous savez bien, monsieur, questionne la présidente, ce qu'on fait de ce qu'on trouve dans la rue, quand ça ne nous appartient pas.' Pour sûr qu'il le sait, Joaquim, mais à la barre, surtout quand on y vient pour la première fois, ce n'est pas si simple de dire ce que l'on sait. Donc il se tait. Me Halvoet, son avocat, tentera d'expliquer un peu plus tard qu'il a préféré garder pour lui la pochette, dans la crainte, s'il la portait au commissariat ou à la mairie, qu'on l'accuse de l'avoir volée. Il paraît que c'est arrivé !
La procédure ayant coutume de suivre son cours, Joaquimcomparaissait donc lundi dernier devant le tribunal correctionnel de Chalon pour répondre du délit, sinon de vol, tout au moins de recel (dans l'affaire de la pochette), et, naturellement, pour détention non autorisée de stupéfiants (le fameux plant de cannabis).
On eut droit, sur ce dernier chef de prévention, à une ou deux minutes d'anthologie.
Question : comment avez-vous été amené à le cultiver, ce plant de cannabis ?
- C'est des graines qu'on m'avait données.
- Il y a longtemps ?
- Cinq ou six ans. De temps en temps, je plante une graine ou deux pour voir.
- Vous en faites quoi ?
- C'est pour ma consommation personnelle.
- Ca vous suffit ?
- Je me contente de ce que je fais pousser.
- Et vous cultivez ça sur votre balcon.
- En fait, l'endroit où il a été trouvé, c'est chez ma copine.
- Et quand vous n'êtes pas chez votre copine, qu'est-ce que vous en faites de votre plant ?
- Lorsque je vais chez ma mère, j'emporte le plant avec moi.
(On imagine le jeune homme, le pot dans les bras, marchant tranquillement sur la place de la Molette au Creusot, tel Jean Reno, le « nettoyeur », avec sa petite plante verte, dans Nikita.)
Mais le plus extraordinaire reste à venir. C'est que ce petit bonhomme, ce Joaquim, avec son plant de cannabis bien en vue sur le balcon de sa copine, il risque gros.
Tenez, devinez combien il risque : 1.000 euros d'amende ? 10.000 ? 20.000 ? Un demi-million d'euros ?
Bien pire. Il risque vingt ans. Vingt ans de réclusion criminelle.
C'est Mme Brigitte Vernay, assise dans le fauteuil du procureur de la République lundi dernier, qui l'a dit. Producteur de stupéfiants 'non autorisés', c'est ça, le tarif : vingt ans. C'est ce que risque, par exemple, le numéro un du cartel de Medellin.
Remarquez : vingt ans, c'est la peine MAXIMALE encourue. Mme Vernay, elle a rappelé cet article du code juste pour 'information'. Elle a requis considérablement en-dessous : 300 euros d'amende, dont 120 seulement ferme.
Les juges ont encore été plus sympas. Ils ont dit 300 euros, eux aussi. Mais 250 avec sursis. Dès que Joaquim aura fait don de 50 euros à la République, on le considérera donc comme absous.
Et il pourra retourner à son travail, l'âme légère. Il est tailleur de pierres.
Michel Limoges
Le journal de saône-et-Loire