Des paroles ultra-violentes dans un CD artisanal qui circulait sous le manteau, à Denain. Quatre auteurs dépassés par les événements?
Prison ferme pour un rap de haine contre des policiers
UN silence de plomb dans la salle. Suivi d’un long murmure. Le jugement est tombé: un an de prison dont dix mois assortisd’un sursis et d’une mise à l’épreuve de deux ans, avec obligation de travailler ou de suivre une formation. Les parents sont effondrés. A la barre dutribunal de Valenciennes, les quatre jeunes gens (trois Denaisiens et un Douchynois, âgés de 19 à 25 ans) reçoivent le poids de leur condamnation. Lapremière de leur courte vie. Et, on serait tenté de le parier, la dernière.
Car ces jeunes-là n’avaient jamais fait parler d’eux. «Ils n’ont même pas volé un taille-crayon de leur vie, c’est pas leur genre», dit-on dans leur voisinage, cité Martin, à Denain. Pourtant, les faits qui leur sont reprochés sont graves. «Outrages à agents dela force publique en réunion», «menaces de mort», «menaces de crime ou délit». Tous ces chefs d’accusation tiennent… dansun CD de cinq titres, qu’ils ont reconnu avoir enregistré sur un ordinateur (notre édition de mardi). Un CD de rap. Qui prend pourcible la police. Bref, rien de très original jusque-là.
Mais les paroles sont ultra-violentes. Les termes crus, jusqu’à la nausée. Les chansons ne se contentent pas de généralités: elles livrent les noms deplusieurs policiers denaisiens. Les noms de leurs proches aussi! Dans les textes, il est question d’agressions physiques. Tout est dit dans les moindresdétails, même les plus insoutenables.
Multiples copies
Cela aurait pu rester un mauvais délire entre copains. Affligeant, certes, mais confiné dans une sphère de secret. Mais ça ne s’est pas passé ainsi.
Le CD a circulé. De copie en copie, il a atterri dans un nombre incalculable de foyers. Et même dans certaines salles de rédaction. Les médias nationauxétaient nombreux, hier, à attendre le résultat du délibéré. A ce sujet, Me Thévenot a lâché un mot fort: «Manipulés.
» «Le CD leur a été remis. Un morceau est d’ailleurs passé sur M6.» Pourquoi? Grâce à qui? «Ce n’est certainement pas un jeune de la cité qui le leur a envoyé.»
Non, sans doute. Et puis, qu’importe. Ce qui pose surtout question, encore aujourd’hui, c’est la façon dont le CD a circulé, pendant plusieurs mois, aupoint de devenir célèbre dans tous les quartiers de Denain. Une question toujours sans réponse. Les quatre prévenus n’ont lâché aucun nom. Surtout pas à labarre du tribunal, alors que dans leur dos, des dizaines de jeunes Denaisiens assistaient aux débats.
Manipulés?
Dans cette affaire, les quatre rappeurs ont été les seuls condamnés. Le CD circule toujours. «Maintenant, il est même sur l’Internet», rigolait un groupe, hier, au détour d’une rue de Denain. Eux, ça les faisait bien rire. Dans une maison de la cité Martin, d’autres retenaientleurs larmes. «Je ne comprends pas comment mon fils a pu faire ça, confiait le père d’un des garçons. Il ne fume pas, ne boitpas. Il est sérieux, serviable et n’a jamais eu d’ennuis avec la justice. Il ne connaissait même pas ces policiers! C’est pareil pour ses trois copains.
Ce ne sont pas du tout des garçons violents.» A ses yeux, ils ont été dépassés par les événements. Le CD leur a échappé, a circulé. Ils n’ontplus rien maîtrisé.
Les manipulés ne sont peut-être pas ceux que l’on croit. Certains continuent à faire la publicité de leur rap. Ils ne dorment pas en prison
Source: La voix du nord