Dites pas à ma mère que je fume de la Chimique !!!
Je voulais rebondir sur une réflexion ô combien révélatrice du respectable Soron dont la concision et la pertinence valent bien un de mes appesantissements (pour bien souligner le caractère indigeste des interventions dont je vous afflige).
Ca concernait le fameux « c’est de la chimique » qu’on a tous dû entendre au moins une fois.
Qu’est-ce que nos interlocuteurs soucieux de morale (le ton butine souvent du côté de l’indignation et de la critique) et de traditionalisme agricole car il y a aussi un peu de ce « bon sens » ancien, paysan – fantasmatique dans la plupart des cas - dans cette condamnation qui se rapproche finalement assez des conneries de notre VRP de Matignon (qui, contredisant la sinistre famille « libérale » à laquelle il appartient, s’accroche à son poste « comme un coquillage sur son rocher ») avec son intelligence de la main (j’attends l’intelligence de la teub avec une impatience grandissante).
Pourrait-on donc distinguer, circonscrire une quelconque intelligence de la fume, sorte de 6ème sens classificatoire permettant la distinction entre le chimique et le non chimique (notions sur lesquelles nous reviendrons…. pour les anéantir) ?
D’abord le contexte dans lequel on peut entendre ce genre de joyeuseté : c’est souvent un monsieur avec des « principes » qui se permet cette petite sortie (un rasta courroucé monomaniaque du « roots » ou un « pro » de la fume légèrement aigri feront par exemple parfaitement l’affaire). Rappelons que le loustic n’est pas ce qu’on pourrait appeler « un jouisseur qui s’assume » et qu’il flotte comme une odeur de mauvaise conscience dans le sillage de cette disqualification.
L’énergumène appartient donc à une sous espèce cannabique qui considère avec fracas qu’il y deux sortes d’herbe : la naturelle et la non naturelle (l’artificielle en somme, tremblez CharlyUMP et Alex « centième de G » ! ! !). Vous l’aurez deviné, la première est bien entendu jugée digne de confiance alors que la seconde est irrémédiablement frappée du sceau de l’infamie. Je glisse du chimique à l’artificiel car c’est finalement bien de cela dont il s’agit. Nous remplacerons donc la distinction chimique / non chimique par celle, plus « compréhensible » (non parce qu’elle est plus logique ou rationnelle mais parce qu’elle facilité la compréhension de cette idée) opposant la naturelle et l’artificielle.
Maintenant qu’on saisit à peu près l’idée, il faut se demander quel critère décisif permet une herbe de se retrouver dans l’une ou dans l’autre de ces catégories. C’est là que le manque de scientificité de nos agitateurs est le plus patent : on s’aperçoit vite que par chimique (ou artificielle) ils entendent souvent tout ce qui a de près ou de loin la gueule d’une « skunk », c’est à dire tout ce qui se rapproche de ces têtes « bulbeuses » que nous apprécions tant. C’est alors une nouvelle distinction (subjective à souhait) à laquelle nous aboutissons : celle qui dissocie le look « éponge » (bulbeux et gonflé, plein de cristaux et de filaments) de celui (jugé tellement plus naturel) de la masse feuillue plutôt aplatie avec ses quelques filaments (complètement brunis par la vieillesse et amalgamés par le conditionnement, est-il utile de le rappeler). Et il ne faut pas dire à ces fumeurs spécifiques qui carburent à « l’antillaise » (vous savez, cette variante commerciale plutôt terne et poivrée) que leur herbe devait originellement se rapprocher (à quelques années lumière près) de ce que vous avez l’honneur (l’erreur) de leur présenter, ils ne vous croiront pas. Quand je dis qu’en Jamaïque, les plantes sont bien plus proches (esthétiquement) de ce que nous faisons pousser dans nos placos que du foin auquel ils donnent le même nom (fumer de la « jamaïcaine » doit rattraper sur le mode symbolique, la misère qualitative à laquelle ils s’astreignent), je n’ai que des consentements soupçonneux et évasifs…
Pour enfoncer le clou sur cette distinction métaphysique (seule une transcendance mystérieuse et directe vers Jah pourrait rattraper cette classification prélogique), j’aime bien confronter celui que j’ai sous la main (il faut qu’ils fondent une association ou quelque chose comme ça) à ma petite production pour le plonger jusqu’au cou dans une aporie qui devrait faire fumer ses rouages. En effet, à force de persévérance et de questionnements, il a finalement accepté le caractère « sain » de mon mode de culture, allant jusqu’à le qualifier de « bio » (ce qui laisse déjà présager ses capacités dans le domaine horticole)… Et bien quand tous les 3 mois, je lui fais goûter mon produit, nous entrons dans une dimension annexe (à la logique mouvante) où on fume de la bio chimique ! ! ! (un oxymore du plus bel effet). C’est pas beau, une tartine pareille…