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Le Moyen Age est devant nous
Par Jean-Pierre GALLAND
samedi 25 juin 2005 (Liberation - 06:00)
SAMEDI
Accros à la prohibition
Le 18 juin, c'est le nouvel an du cannabis. Je les ai pourtant sollicités, mais les médias n'ont pas répondu. Même Libé, qui est à l'initiative du premier «Appel du 18 joint», ne l'a pas annoncé. Le sujet est enterré, les journalistes sont fatigués, les militants politiques lessivés... Et je suis usé.
C'est en 1993 que le Circ a réactivé l'Appel lancé par Libération en 1976. Le Circ, ça vous dit quek-chose ? C'est une association bien connue des services de police et des drogués qui bataille pour redonner au cannabis sa liberté et à ses amateurs leur dignité. Des arguments en faveur d'une nouvelle réglementation, nous en avons plein les poches. D'ailleurs, trouvez-moi un seul avantage à la prohibition ? A ma droite ! A ma gauche ! Ah oui, mais c'est bien le seul, la prohibition a incité les fumeurs en herbe à cultiver leur jardin secret et à inventer des variétés aux goûts et aux effets bouleversifiants.
Alors que le discours officiel, obligé de s'adapter à la réalité, avait évolué, que le Circ tirait ses arguments en faveur de l'autoproduction dans la brochure «Savoir plus. Risquer moins», publiée par la Mildt (1), que l'heure était au pragmatisme, le nouveau gouvernement, par la grâce de quelques sénateurs et députés accros grave à la prohibition, ont réussi en deux ans à inverser la vapeur et présenter le cannabis comme le fossoyeur de la jeunesse. Messages à la radio ! Spots à la télé ! Brochures à gogo ! Nos docteurs sont prêts à accueillir vos enfants atteints de cannabisme dans un des 240 centres créés rien que pour lutter contre cette plante maléfique.
Dans un an, nous fêterons les trente ans de «l'Appel du 18 joint». Si vous en avez marre que l'Etat se déguise en père Fouettard de vos plaisirs ! Si vous en avez marre d'être les otages de lobbies politiques aux intérêts douteux ! Engagez-vous sur la voie de la désobéissance civile.
DIMANCHE
Le cannabis, c'est trop mortel !
Cet exercice de style m'obligerait presque à me mettre en scène, à faire le malin, mais aussi à remettre quelques pendules à l'heure. Ceux qui croient qu'il suffit de passer à la télé ou d'écrire des livres pour que l'argent tombe se plantent. Ceux qui croient que je cultive des champs de beuh en Ariège et que je fume de la Jack Herer au petit déjeuner se gourent. Je ne vis que pour survivre.
Un dimanche sans télé. Un dimanche sans infos. Un dimanche tout bleu par le parallélépipède formé par la fenêtre et les toits. Parce que la provocation et la dérision sont nos armes favorites, nous avons détourné avec nos mots la dernière brochure de la Mildt «Cannabis ce qu'il faut savoir : Le cannabis est une réalité» en «Cannabis ce qu'on ne vous dit pas: Le cannabis c'est trop mortel». Tu crois que ça craint ? Mais non ! Les fonctionnaires chargés de cadrer le discours sur les drogues ont aussi de l'humour.
LUNDI
Au bord de la déprime
Je me suis enfin intégré, mais pour mieux me désintégrer. Je me suis battu pour toucher le RMI et son indispensable CMU de crainte que l'âge me joue un mauvais tour. Au moment où d'autres ont accumulé des biens et engrangé des objets, je suis nu, dépouillé, au bord de la grande déprime. A survivre de l'air du temps et de squats en sous-locations, j'ai dispersé aux quatre vents la carte mémoire de ma vie, et ce que je n'ai pas abandonné sur place moisit au fond de quelques caves. Je vous jure, rien qu'évoquer le présent qui ne sait pas vraiment de quoi demain sera fait, j'en ai des frissons dans le dos.
Entre le pain au chocolat et Libé, je choisis souvent le second. Le métro, un lieu familier, est mon salon de lecture, mais aussi le moment où je me sens vraiment de ce monde, du monde tout entier, le moment où je voyage sur les cinq continents, celui où je m'invente d'autres vies dans le regard des filles. Le moment aussi où je découpe, ça me donne souvent le vertige, mes journées en tranches. La station République comme la station Nation sont au carrefour de mon destin. La première ligne me conduit au bureau que je squatte, la deuxième à l'appartement où j'écris et la dernière dans les bras de mon amoureuse. Il arrive que je sois déchiré. Pas dans le sens de raide, mais dans le sens d'écartelé.
Souvent je feuillette le journal à l'envers et souvent m'arrête sur les pages consacrées à la politique. Politicien, c'est un dur métier. Pour conquérir le pouvoir et les avantages (l'argent, les femmes et la coke) qui vont avec, tous les coups sont permis. Rassurez-vous, je plaisante. Tiens ! Libé fait le portrait de Stéphane Pocrain. On s'est croisé à l'époque où la pertinence des Verts était dans leur impertinence. Ce garçon possède toutes les dispositions pour entrer un jour au box-office des hommes politiques les plus cotés sur le marché de la gauche.
MARDI
Le blog, politique de l'avenir
Où je marche, trimballant dans mon «sacado» toute ma vie d'écrivain. Chanceux comme je suis, la canicule va tuer mon iBook à quelques heures de rendre ma copie. Jouer avec le feu, ça me connaît.
Je marche pour que ça marche. Je démarche. Je ploie sous le poids des Voix de l'extase, une anthologie littéraire sur les plantes sacrées, le dernier livre publié par les éditions Trouble-Fête. Je me déguise en attaché de presse, je me transforme en commercial. Ce livre ouvre les portes de la perception du monde et redonne au langage son vrai sens. L'avenir de la planète terre, ce sont peut-être les plantes de la forêt amazonienne qui le détiennent.
Même si la justice est aux ordres, c'est lorsque les empêcheurs de tourner en rond se retrouvent devant les tribunaux que les médias s'y intéressent. Il en va ainsi du blogueur attaqué en justice par le maire de Puteaux parce qu'il a osé remettre en question sa politique autocratique. C'est vrai qu'acheter le vote des Vieux en leur offrant des batteries de casseroles défectueuses, c'est la grande classe.
Je suis en vie, je vais sortir du tunnel. Un plan beuh ? Non, le fruit de la persévérance, un coup de pouce du destin, une rencontre opportune, autant dire un miracle. Un plan beuh ? Pourquoi pas, mais de la bonne pour donner à Paris un air de fête. Oui, je crois au miracle. Je crois que l'honnêteté est récompensée et que la sincérité paie. Je feins d'y croire.
MERCREDI
Des fins de mois difficiles
Une ambiance conviviale, des enfants rieurs, des sons de tous les coins du monde à tous les coins de rue, le boulevard de Belleville, envahi par la fumée des barbecues, fête en musique et en couleur le solstice d'été. J'en suis tout «émouvé».
C'était hier. Aujourd'hui, mon sac à dos pèse 6,7 kg. Il est dix-huit heures à Paris et vingt heures à Bagdad. Quelle heure est-il à Lomé ? Les images des attentats en Irak, de la fumée, du sang et des cris, sont de tous les journaux télévisés tous les jours de la semaine. C'est à l'autre bout de notre monde. Ailleurs. Tout aussi éloignés de nos préoccupations quotidiennes sont les gosses crevant de faim dans la poussière de camps surchauffés à la frontière de pays incertains. Notre compassion leur fait une belle jambe.
La misère pervertit les rapports amoureux et détruit les relations. La misère altère le désir et brise l'énergie. La misère casse le corps et perturbe l'esprit. Et le «bonjour, si je me permets de vous déranger, c'est parce que je n'ai que le RMI pour vivre» psalmodié à longueur de rames sur toutes les lignes de métro, me ramène à la réalité.
JEUDI
Fahrenheit 451
Le vingt et unième siècle est mal barré pour être spirituel, mais bien barré pour être rien. Le Moyen Age est devant nous. Il y aura encore des juges d'instruction pour croire que les livres sur la culture domestique du chanvre (Culture en placard ou J'attends une récolte) circulent sous le manteau et il y aura toujours des fonctionnaires de police pour les détruire chaque fois qu'ils pointent le nez (l'odeur parfois les attire) chez un cultivateur en chanvre. Il arrive aussi que des commandos interviennent dans les librairies et menacent les responsables de représailles s'ils n'enlèvent pas des rayons les livres dissertant sur la vie des araignées rouges ou les livres vantant, c'est Perben qui le dit, «les mérites du cannabis». Nous vivons une époque formidable. Marche arrière toute !
Impossible d'échapper à Nicolas Sarkozy ! Déclarer qu'il va «nettoyer la cité des 4 000 au karcher» fait partie du grand show dont il est l'ordonnateur et l'acteur. Pompier pyromane, méprisant le peuple dont il se veut le sauveteur, ses écarts de langage calculés et son goût immodéré pour la mise en scène rappellent trop les méthodes du sinistre Le Pen. Quant au drame de La Courneuve, ce n'est pas le cannabis qui en est la cause, mais sa prohibition.
VENDREDI
Sarkozy, encore lui
Encore lui ! Sarkozy est de tous les médias. Ses propos infamants, on va les mettre sur le compte de ses problèmes de couple. Bientôt, des psychologues vont blablater sur sa mégalomanie galopante et ses crises de parano dans les magazines people. On lui pardonnera ses excès, mais ce qui est dit, est dit à jamais... Et c'est bien connu : «Chasser le naturel et il revient au galop.»
Ambassadeur cannabique de la Présipauté de Groland, veilleur de nuit sans chien ni costume, second couteau dans un polar, scénariste d'une comédie burlesque et morale sur la planète beuh, chauffeur au long cours, auteur de la page Drogues dans un mensuel people... c'est pas le boulot qui manque.
(1) Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie.
Né en 1951. Entre deux petits boulots, il publie quelques polars et écrit quelques scénarios. En 1991, Fumée clandestine paraît chez Ramsay. En octobre de la même année, il crée le Circ (Collectif d'information et de recherche cannabiques) avec quelques amis. Octobre 1992, il fonde les éditions du Lézard avec Michel Sitbon. En 1995 paraît le tome 2 de Fumée clandestine. C'est aussi l'année de sa première condamnation en tant que militant. Une dizaine d'autres suivront. En 2000, il crée les éditions Trouble-Fête avec Elvire. La même année, sort J'attends une récolte, illustré par Phix. En 2003, Trouble-Fête publie Comme un vélo rouge, roman initialement paru en 1989. En 2005, il est «érémiste».
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