Libération : S'agit-il d'une vraie Constitution ?
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http://www.liberation.fr/page.php?Article=288960Référendum 29 mai
S'agit-il d'une vraie Constitution ?
Dans son intitulé, le «Traité établissant une Constitution pour l'Europe» ne
tranche pas. Et dans sa forme, cet «objet juridique non identifié» en quatre
parties donne des gages aux tenants du oui comme du non.
Par Jean QUATREMER
mardi 12 avril 2005 (Liberation - 06:00)
Bruxelles (UE) De notre correspondant
OUI
«S'il ne s'agissait pas d'une Constitution, personne n'aurait exigé la
consultation des
Français [...]. Pour recourir au référendum, il faut bien que ce soit un
texte de grande portée qui engage les citoyens.» François Bayrou, président
de l'UDF (in Oui, plaidoyer pour la Constitution européenne. Plon)
L'intitulé est retors : la liste de 448 articles signée à Rome le 29 octobre
2004 par les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union
européenne est un «traité établissant une Constitution pour l'Europe». C'est
l'alliance de la carpe et du lapin ! Traité ou Constitution, il faut
choisir. Le choix est loin d'être neutre. D'un côté, les tenants du non
tirent argument du fait qu'il s'agirait d'une véritable «loi fondamentale»
pour affirmer que ce texte sera extrêmement difficile à modifier : il faut,
disent-ils, l'améliorer avant qu'il ne soit «gravé dans le marbre». Par un
retournement extraordinaire de l'histoire, ce sont les fédéralistes qui se
sont battus durant des décennies pour que l'Union ait une Constitution la
mettant sur le même plan symbolique que les Etats-Unis qui jurent, eux,
qu'il ne s'agit que d'un traité...
Cet OJNI, «objet juridique non identifié», n'entre dans aucune catégorie
juridique connue. «Il a un corps de traité mais une âme de Constitution»,
résume joliment l'eurodéputé espagnol Iñigo Méndez de Vigo. Par beaucoup
d'aspects, c'est un traité international classique : il a été adopté par les
gouvernements, à l'unanimité comme tous les traités. Et pour entrer en
vigueur, il devra aussi être ratifié dans chaque Etat.
Consensus. Sans créer d'Etat fédéral ni émaner d'un «peuple européen», qui
n'existe pas, la Constitution affiche pourtant une ambition politique
supérieure aux quatre traités précédents de Rome (1957), Maastricht (1992),
Amsterdam (1997) et Nice (2000). Pour le politologue Olivier Duhamel, «la
Constitution est Constitution parce qu'elle s'appelle Constitution» : le
fait que les Etats aient voulu lui donner ce nom suffit à lui en conférer la
nature. Ce n'est pas un hasard si le nombre record de dix pays sur 25 a
d'ailleurs choisi de le faire ratifier par référendum, plutôt que par voie
parlementaire, manière de donner plus de solennité à cette étape.
Dès l'article I-1, l'Union voit, pour la première fois, sa légitimité fondée
à la fois sur «la volonté des citoyens et des Etats d'Europe». Autre
nouveauté, elle reçoit une «personnalité juridique» (article I-6) lui
permettant de conclure des traités internationaux. Soulignant «la
considérable force du déclamatoire», le juriste Jean-Luc Sauron décrit ce
texte comme «une clarification du vivre ensemble dans une communauté de
valeurs» (1). Des valeurs de «Dignité», «Libertés», «Egalité», «Solidarité»,
«Citoyenneté», «Justice», qui s'accompagnent de «symboles» et pour la
première fois d'une «devise» de l'Union.
La structure même du texte le rapproche d'une Constitution nationale : après
un préambule, la première partie, la plus novatrice, réorganise le pouvoir
au sein de l'Union (qui fait quoi entre le Conseil européen, la Commission,
le Parlement, le Conseil des ministres, etc.). La deuxième partie décline,
en 52 articles, les droits des citoyens. Il s'agit de la Charte des droits
fondamentaux de l'Union, proclamée en 2000, mais jusqu'ici sans valeur
juridique contraignante. Une quatrième partie contient les dispositions
générales (entrée en vigueur, révisions, etc.).
Ce qui donne à la Constitution une aura politique supérieure est aussi sa
rédaction par une «quasi-Assemblée constituante», la Convention. Une
élaboration bien plus démocratique que, par exemple, la Constitution de la
Ve République rédigée par un conclave d'experts. Outre le président de la
Convention, l'ancien président de la République française Valéry Giscard
d'Estaing, et ses deux vice-présidents, les anciens Premiers ministres belge
Jean-Luc Dehaene et italien Giuliano Amato, cette enceinte comptait 56
parlementaires nationaux, 16 eurodéputés, 28 représentants des Etats (les
Quinze de l'époque plus les dix futurs adhérents ainsi que la Bulgarie, la
Roumanie et la Turquie), et deux commissaires. En juillet 2003, après
dix-sept mois de travaux, Giscard d'Estaing a réussi à réunir un consensus
(2) d'autant plus remarquable qu'il émanait d'élus de vingt-huit pays,
eux-mêmes issus de près d'une centaine de partis politiques. Et, selon les
estimations de Giscard, environ 90 % du texte a ensuite survécu à la
révision finale de la copie par tous les gouvernements.
Politiques communes. Ce qui distingue finalement ce traité d'une
Constitution au sens français du terme, c'est sa troisième partie, la plus
volumineuse, qui décrit les «politiques communes» (politique agricole
commune, transports, libre circulation, concurrence, solidarité entre
régions riches et pauvres, etc.). Il s'agit d'une reprise de l'ensemble des
traités existants depuis 1957, avec seulement quelques nouveautés, notamment
en matière sociale, de services publics ou de politique étrangère. VGE
n'était pas favorable à l'inclusion de cette troisième partie. Mais ce sont
les Etats qui l'ont exigée : pour eux, les politiques communes devaient
faire partie du contrat de mariage européen. Un pays n'accepte de partager
sa souveraineté, avec le risque d'être mis en minorité et de devoir
appliquer une décision qu'il n'a pas voulue, qu'à des conditions bien
précises. Pour la France, par exemple, l'existence de la politique agricole
doit être garantie et il eût été dangereux de la reléguer dans un texte
pouvant être considéré comme de second ordre.
(1) in la Constitution européenne expliquée, Gualino, 320 pp., 20 €.
(2) Seuls les représentants des gouvernements espagnol et polonais ont émis
des réserves sur le nouveau système de vote au sein du Conseil des
ministres.
NON
«Napoléon disait d'une Constitution qu'elle devait être "courte et
obscure''.
La "Constitution européenne" n'obéit qu'à une seule de ces deux
recommandations.
Elle est en effet démesurément longue.»
Jean-Pierre Chevènement, président d'honneur du MRC
(in Pour l'Europe, votez non !. Fayard)
Intitulé
«Traité établissant une Constitution pour l'Europe.»
Préambule
Les vingt-cinq chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union se disent
«reconnaissants aux membres de la Convention européenne d'avoir élaboré le
projet de cette Constitution au nom des citoyennes et des citoyens et des
Etats d'Europe».
Article I-1
Etablissement de l'Union :
«Inspirée par la volonté des citoyens et des Etats d'Europe de bâtir leur
avenir commun, la présente Constitution établit l'Union européenne, à
laquelle
les Etats membres attribuent des compétences pour atteindre leurs objectifs
communs. L'Union coordonne les politiques des Etats membres visant à
atteindre ces objectifs et exerce sur le mode communautaire les compétences
qu'ils lui attribuent.»
Article I-6
Le droit de l'Union :
«La Constitution et le droit adopté par les institutions de l'Union, dans
l'exercice des compétences qui sont attribuées à celles-ci, priment le droit
des Etats membres.»
Article I-8
Les symboles de l'Union :
«Le drapeau de l'Union européenne représente
un cercle de douze étoiles d'or sur fond bleu.
L'hymne de l'Union est tiré
de l'Ode à la joie de la Neuvième Symphonie de Ludwig van Beethoven.
La devise de l'Union est : «Unie dans la diversité.»
La monnaie de l'Union est l'euro.
La journée de l'Europe est célébrée le 9 mai dans toute l'Union.»
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