Avec Sarkozy, toutes les drogues redeviennent dures
Au Sénat, il a ciblé les usagers de cannabis et dénoncé une «épidémie de
consommation chez les jeunes».
Libération
Par Matthieu ECOIFFIER
jeudi 24 avril 2003
Tolérance zéro pour les usagers de drogue. «Je réclame de la sévérité à
l'égard des consommateurs. Rien ne sera toléré. (...) Il n'y a pas de petite
consommation personnelle, il n'y a pas d'expérience individuelle, il n'y a
pas de jeunes "libres et branchés", il n'y a que des drogues interdites», a
martelé hier Nicolas Sarkozy au Sénat, devant la commission d'enquête sur la
politique nationale de lutte contre les drogues illicites. Outre un discours
«clair», qui se refocalise sur le produit au détriment du comportement de
consommation, le ministre de l'Intérieur a souhaité «un cadre législatif
rénové». Pour les adeptes du cannabis, il a esquissé une palette de
sanctions : «Travail d'intérêt général, recul de l'âge [pour passer] le
permis de conduire, confiscation du scooter quand il y en a un». «Des
sanctions rapides et adaptées aux mineurs pour les dissuader, car la drogue
c'est la mort pour eux», a-t-il expliqué, écartant, tout de même, la prison
pour simple usage.
«Fléau». De grands mots, qui ont ravi les sénateurs, obsédés par la
ritournelle du «fléau» des drogues. Après les experts les plus alarmistes
(Libération du 14 mars), c'est au tour des ministres Luc Ferry
(Education), Jean-François Lamour (Sports), Jean-François Mattei (Santé)
de défiler devant cette commission. Il semble que la politique
gouvernementale sur les drogues s'élabore au Sénat. Une politique de
«rupture», a souhaité Nicolas Sarkozy.
A l'en croire, la gauche aurait «organisé» une véritable «épidémie de
consommation chez les jeunes. (...) La moitié ont ex périmenté le cannabis,
un quart en consomment habituellement. Et, en deux ans, la consommation
d'ecstasy et de cocaïne a doublé», a-t-il tonné chiffres sortis de leur
contexte à l'appui. La faute au gouvernement Jospin, qui a mis en place
«des mesures d'évitement de la sanction» judiciaire, et à son dogme : «Il a
suffi de placer sur le même plan les drogues illicites, le tabac et
l'alcool, pour prétendre que la seule politique à mener était la lutte
contre les abus et non la lutte contre l'usage.»
Après le diagnostic «inquiétant», le remède. Pour le ministre de
l'Intérieur, le «maintien» de la Mildt (mission interministérielle de lutte
contre la drogue et la toxicomanie) est «souhaitable», mais elle doit
inscrire son action «strictement» dans les orientations du gouvernement.
Celles de Sarkozy sont claires : «Sortir la lutte contre le tabagisme du
champ d'activité de la Mildt, dans la mesure où, s'il est nocif pour la
santé, il ne génère pas de délinquance. (...) J'estime que retenir le seul
critère de la dépendance est insuffisant et a conduit à rendre nos messages
confus et inaudibles.» Au risque de casser tout élan aux actions contre le
tabagisme, mises en place justement à partir d'un consensus
politico-scientifique.
Amalgame. Enfin, au plan local, Nicolas Sarkozy confierait bien la
coordination «des actions de prévention de l'usage des drogues et de la
toxicomanie»... à la police, en inscrivant ces questions dans son «projet de
loi sur la prévention de la délinquance». Sans redouter l'amalgame entre
jeune drogué souffrant et délinquant. En fait, le ministre de l'Intérieur
veut démanteler la Mildt pour prendre la tête de la croisade contre les
drogues. Reste à savoir si Matignon arbitrera en sa faveur.