Drogue: «La sanction de l'usage n'a aucune efficacité»
Par Matthieu ECOIFFIER
lundi 09 août 2004 (Liberation - 06:00)
La loi de 1970, qui punit tout usage de stupéfiant d'un an de prison, ne sera donc pas réformée (Libération du 31 juillet). A défaut, un groupe de travail placé sous l'égide du ministère de la Justice va pondre «de nouvelles circulaires de politiques pénales». Et le nouveau plan quinquennal de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) a été validé. Yann Bisiou, maître de conférences en droit à l'université de Montpellier III et coauteur du précis Dalloz sur la drogue décrypte pour Libération ces annonces.
Va-t-on vers plus de répression ou plus de laisser-faire sur les drogues ?
Le plan confirme l'orientation du gouvernement depuis deux ans : répression accrue des usagers de drogue, relative fermeté dans la lutte contre le tabagisme, complaisance envers le commerce de l'alcool. Certes, on ne recommande pas la prison pour usage de stupéfiants ; elle était abandonnée depuis des années. Mais le plan est favorable à une sanction pénale systématique de l'usage alors qu'aujourd'hui sept interpellés sur dix ne sont pas poursuivis. Et il ne tranche pas la question clé du trafic. Actuellement de nombreux usagers sont jugés comme trafiquants parce qu'ils détiennent, achètent ou transportent des drogues, même en faible quantité. Le plan laisse à des circulaires du ministère de la Justice le soin de régler cette question qui aboutira à des décisions aléatoires selon les tribunaux, alors que d'autres pays ont fixé des quotas permettant de définir ce qui relève de la consommation personnelle et ce qui relève du trafic.
Il y a également risque de dérive et de stigmatisation des usagers. L'importance donnée au dépistage par des techniques pas toujours fiables, comme les tests salivaires, peut être facteur d'exclusion. Un usager condamné se voit déjà refuser l'accès à un grand nombre de professions. Va-t-on appliquer ces interdictions sur la base de tests douteux et sans procès pénal ?
Enfin, et c'est le plus inquiétant, on assiste à une mise sous tutelle des acteurs de la réduction des risques (RDR). L'intervention sociale est placée sous contrôle judiciaire par le biais de chartes qui limitent ses possibilités d'action. Ainsi le plan renonce au «testing» (contrôle sommaire des stupéfiants à la demande d'usagers dans les free parties). Le retour en arrière est frappant.
Un système d'amendes aurait pu être l'occasion d'un vrai débat ?
Ce système de contraventions ne me paraît pas une réponse adaptée. Soit c'est une amende automatique d'une centaine d'euros (de troisième ou quatrième classe). Or en pratique, la police n'interpelle les usagers que sur la voie publique, à l'occasion d'un contrôle d'identité. Cette mesure reviendrait à ne cibler qu'un type de consommateur : le jeune dans la rue. Soit on prévoit une contravention de cinquième classe, plus sévère. Cela permet certes de supprimer la peine de prison. Mais subsistent la condamnation pénale, l'inscription au casier judiciaire qui peut barrer à un jeune l'accès à de nombreuses professions, pour un simple joint. Quant à avoir un vrai débat sur la drogue, il est toujours temps. Mais à lire les propositions de loi de certains parlementaires UMP on peut douter qu'il soit possible dans l'hémicycle.
De nouvelles circulaires permettront-elles de «casser l'expansion» du cannabis chez les jeunes, comme l'ambitionne le gouvernement ?
Non. Il y a certes une logique à donner la priorité au cannabis, qui représente neuf infractions sur dix. Les circulaires vont encourager les procureurs à demander des sanctions alternatives, comme la suspension du permis de conduire, les travaux d'intérêt général ou des mesures de soins. Pourquoi pas ? Des conventions justice-santé qui permettent un accompagnement thérapeutique existent déjà dans de nombreux départements. Mais la vraie question c'est : est-ce que la sanction pénale de l'usage a une quelconque efficacité en terme de lutte contre la drogue ? Je ne le crois pas.
La France dispose d'une des législations les plus répressives depuis trente ans en Europe. Or cela n'a pas permis d'obtenir une diminution ni une stabilisation de la consommation de cannabis. Au plan épidémiologique, les pays moins répressifs avec les usagers s'en tirent même un peu mieux. Cela dit, dans ce domaine, il faut rester modeste : s'il y a des financements sur la prévention et l'accompagnement, on aura des résultats. Malheureusement pour l'instant c'est plutôt le contraire qui se passe : sur le terrain, les associations de RDR se plaignent d'une situation financière désastreuse.