Les "jaunes", nouvelles victimes de l'alcool frela
Posté: 13 Nov 2006, 23:21
Pubdate: 12/11/06
Source: Le Monde
Copyright: © Le Monde
Website: http://www.lemonde.fr
URL:http://www.lemonde.fr/web/imprimer_element/0,40-0@2-3218,50-833430,0.html
Les "jaunes", nouvelles victimes de l'alcool frelaté en Russie
LE MONDE | 11.11.06 | 15h09 * Mis à jour le 11.11.06 | 15h09
(Moscou, correspondante)
Les médecins russes ont surnommé "les jaunes" ces
patients au teint cireux et aux yeux jaunes
fluorescents qui, depuis deux mois, affluent dans
les hôpitaux de la Russie profonde, souffrant de
démangeaisons, atteints de fortes fièvres et de
douleurs au foie. Touchés par une forme
foudroyante de l'hépatite après avoir absorbé de
l'alcool préparé à base de dissolvants ou de
désinfectants, les "jaunes", le foie
irrémédiablement atteint, meurent en l'espace de
deux ou trois mois.
Depuis septembre, de la frontière des républiques
Baltes (région de Pskov) au littoral Pacifique
(région de Khabarovsk), 300 personnes ont
succombé à cette récente forme d'hépatite
toxique, des milliers d'autres ont été
hospitalisées. Dans la région de Pskov (à la
frontière de l'Estonie), où, en deux mois, 1 600
personnes ont été hospitalisées et 58 sont
décédées, l'état d'urgence a été déclaré.
Les victimes sont pour la plupart issues des
catégories sociales les plus défavorisées pour
qui la bouteille de vodka vendue en magasin -
passée de 65 roubles, soit 1,91 euro en janvier,
à 95 roubles, soit 2, 79 euros cet été - est
devenue inabordable depuis l'augmentation des
taxes. D'où la ruée sur l'alcool frelaté, resté
abordable avec une bouteille vendue 20 roubles
(soit 58 cents) sous le manteau.
"TRAGÉDIE NATIONALE"
Le problème de la consommation d'alcool frelaté
en Russie n'est pas nouveau. Chaque année, 35 000
à 42 000 personnes en meurent, une "véritable
tragédie nationale" , a reconnu le ministre russe
de l'intérieur, Rachid Nourgaliev. Le président
Vladimir Poutine en a parlé dans son adresse à la
nation, le 25 octobre. "La production d'alcool
contrefait est un gros problème. A l'heure qu'il
est, des personnes s'empoisonnent avec de
l'alcool de piètre qualité, ce qui porte un
préjudice considérable à la santé de la
population, le problème numéro un, et a un impact
négatif sur l'état des finances publiques" ,
a-t-il indiqué.
Décidées à lutter contre ce fléau pour la santé
publique, les autorités ont introduit au
printemps un nouveau système de taxes sur
l'alcool, supposé limiter la production
clandestine. Mais un retard pris dans la
fabrication des nouvelles étiquettes a créé
l'effet inverse : l'alcool légal a brusquement
disparu de la vente, des pénuries sont apparues
offrant un boulevard aux producteurs clandestins.
De plus, le seul alcool faiblement taxé
aujourd'hui est celui utilisé dans la fabrication
des dissolvants ou des détergents
pharmaceutiques. Des produits comme Troian (un
nettoyant pour salles de bains) ou Extrasept 1
(un désinfectant pour les blocs opératoires) sont
aujourd'hui particulièrement recherchés. "Les
producteurs d'alcool frelaté à base d'antigel -
une véritable industrie - se sont désormais
tournés vers d'autres produits" , a expliqué
Pavel Chapkine, président de l'Association
nationale des producteurs d'alcool sur les ondes
de Radio Liberty.
Comme toujours en Russie, le scénario du complot
est évoqué. L'apparition de l'alcool frelaté
responsable des empoisonnements serait "une
action planifiée" destinée à "persuader l'opinion
que le gouvernement est incapable de régler les
problèmes du marché de l'alcool" , a expliqué le
ministre de la santé, Mikhaïl Zourabov. "Il
pourrait s'agir d'une réaction des producteurs à
la reprise en main du secteur par l'Etat, à moins
que quelqu'un ne cherche, au contraire, à
contrôler plus encore en introduisant un
monopole" , a ainsi expliqué l'ancien président
Mikhaïl Gorbatchev, auteur en son temps d'une loi
sur la prohibition.
Aux grands maux, les vieux remèdes : à la Douma
(Chambre basse au Parlement), des voix se sont
élevées en faveur de la création d'un monopole de
l'Etat sur la production d'alcool, ce qui
contrarie fortement les petits producteurs légaux
(100 000 pour tout le pays). Petit à petit,
l'idée d'un prix fixé par l'Etat pour la
bouteille de vodka, comme à l'époque soviétique,
fait son chemin.
Marie Jégo
Article paru dans l'édition du 12.11.06
Source: Le Monde
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Les "jaunes", nouvelles victimes de l'alcool frelaté en Russie
LE MONDE | 11.11.06 | 15h09 * Mis à jour le 11.11.06 | 15h09
(Moscou, correspondante)
Les médecins russes ont surnommé "les jaunes" ces
patients au teint cireux et aux yeux jaunes
fluorescents qui, depuis deux mois, affluent dans
les hôpitaux de la Russie profonde, souffrant de
démangeaisons, atteints de fortes fièvres et de
douleurs au foie. Touchés par une forme
foudroyante de l'hépatite après avoir absorbé de
l'alcool préparé à base de dissolvants ou de
désinfectants, les "jaunes", le foie
irrémédiablement atteint, meurent en l'espace de
deux ou trois mois.
Depuis septembre, de la frontière des républiques
Baltes (région de Pskov) au littoral Pacifique
(région de Khabarovsk), 300 personnes ont
succombé à cette récente forme d'hépatite
toxique, des milliers d'autres ont été
hospitalisées. Dans la région de Pskov (à la
frontière de l'Estonie), où, en deux mois, 1 600
personnes ont été hospitalisées et 58 sont
décédées, l'état d'urgence a été déclaré.
Les victimes sont pour la plupart issues des
catégories sociales les plus défavorisées pour
qui la bouteille de vodka vendue en magasin -
passée de 65 roubles, soit 1,91 euro en janvier,
à 95 roubles, soit 2, 79 euros cet été - est
devenue inabordable depuis l'augmentation des
taxes. D'où la ruée sur l'alcool frelaté, resté
abordable avec une bouteille vendue 20 roubles
(soit 58 cents) sous le manteau.
"TRAGÉDIE NATIONALE"
Le problème de la consommation d'alcool frelaté
en Russie n'est pas nouveau. Chaque année, 35 000
à 42 000 personnes en meurent, une "véritable
tragédie nationale" , a reconnu le ministre russe
de l'intérieur, Rachid Nourgaliev. Le président
Vladimir Poutine en a parlé dans son adresse à la
nation, le 25 octobre. "La production d'alcool
contrefait est un gros problème. A l'heure qu'il
est, des personnes s'empoisonnent avec de
l'alcool de piètre qualité, ce qui porte un
préjudice considérable à la santé de la
population, le problème numéro un, et a un impact
négatif sur l'état des finances publiques" ,
a-t-il indiqué.
Décidées à lutter contre ce fléau pour la santé
publique, les autorités ont introduit au
printemps un nouveau système de taxes sur
l'alcool, supposé limiter la production
clandestine. Mais un retard pris dans la
fabrication des nouvelles étiquettes a créé
l'effet inverse : l'alcool légal a brusquement
disparu de la vente, des pénuries sont apparues
offrant un boulevard aux producteurs clandestins.
De plus, le seul alcool faiblement taxé
aujourd'hui est celui utilisé dans la fabrication
des dissolvants ou des détergents
pharmaceutiques. Des produits comme Troian (un
nettoyant pour salles de bains) ou Extrasept 1
(un désinfectant pour les blocs opératoires) sont
aujourd'hui particulièrement recherchés. "Les
producteurs d'alcool frelaté à base d'antigel -
une véritable industrie - se sont désormais
tournés vers d'autres produits" , a expliqué
Pavel Chapkine, président de l'Association
nationale des producteurs d'alcool sur les ondes
de Radio Liberty.
Comme toujours en Russie, le scénario du complot
est évoqué. L'apparition de l'alcool frelaté
responsable des empoisonnements serait "une
action planifiée" destinée à "persuader l'opinion
que le gouvernement est incapable de régler les
problèmes du marché de l'alcool" , a expliqué le
ministre de la santé, Mikhaïl Zourabov. "Il
pourrait s'agir d'une réaction des producteurs à
la reprise en main du secteur par l'Etat, à moins
que quelqu'un ne cherche, au contraire, à
contrôler plus encore en introduisant un
monopole" , a ainsi expliqué l'ancien président
Mikhaïl Gorbatchev, auteur en son temps d'une loi
sur la prohibition.
Aux grands maux, les vieux remèdes : à la Douma
(Chambre basse au Parlement), des voix se sont
élevées en faveur de la création d'un monopole de
l'Etat sur la production d'alcool, ce qui
contrarie fortement les petits producteurs légaux
(100 000 pour tout le pays). Petit à petit,
l'idée d'un prix fixé par l'Etat pour la
bouteille de vodka, comme à l'époque soviétique,
fait son chemin.
Marie Jégo
Article paru dans l'édition du 12.11.06