Petit guide à usage parental
Posté: 28 Oct 2006, 17:34
Pubdate: 26/10/06
Source: Le Nouvel Observateur
Copyright: © Le Nouvel Observateur
Website: http://www.nouvelobs.com
URL:http://hebdo.nouvelobs.com/p2190/dossier/a321122.html
« Au fait, tu ne fumes pas de pétards, j'espère ? »
Petit guide à usage parental
Comment savoir s'il consomme ? Comment lui en
parler ? Quand s'inquiéter ? Les réponses du
professeur Daniel Marcelli, psychiatre
spécialiste de l'adolescence, auteur avec
Christine Baudry de « Qu'est-ce que ça sent dans
ta chambre ? »*
Fume-t-il ?
Généralement, l'ado se cache pour planer ! Et les
parents assistent rarement à des épisodes aigus
d'ivresse cannabique (parole confuse, équilibre
instable) dont l'intensité est par ailleurs très
variable (pour les fumeurs réguliers, cette
ivresse est souvent très discrète). En revanche,
ils peuvent repérer, a posteriori, certains
indices révélateurs : yeux rouges, accès de
somnolence inexpliqués, troubles de la mémoire ou
du sommeil.
Autres signes : désintérêt général, baisse des
notes, rupture avec les amis habituels et
fréquentation exclusive de deux ou trois copains,
isolement, incessantes réclamations pour des
rallonges d'argent de poche... Pris séparément,
ces comportements sont fréquents à l'adolescence.
Mais leur accumulation indique que les
clignotants sont au rouge.
Comment consomme-t-il ?
Les concepts de drogue « douce » ou « dure »
n'ont aucune utilité : seul le mode de
consommation est à prendre en compte.
Le fumeur occasionnel. La majorité des jeunes
entrent dans cette catégorie : ils fument de
temps en temps, en général lors d'une fête. Cet
usage limité, dit « récréatif » ou « convivial »,
n'a aucune conséquence sur la santé ou la
scolarité. Un seul risque, mais immédiat et très
réel : la conduite en état d'ivresse quand la
soirée se termine.
Le petit fumeur régulier. De 5 à 15 grammes par
mois, avec des pointes le week-end. Cette petite
consommation peut correspondre à un moment
difficile à passer pour l'adolescent (son impact
social et scolaire dépend de sa capacité à la
maîtriser). Elle peut aussi l'entraîner dans la
catégorie suivante.
Le fumeur autothérapeutique. De 20 à 60 grammes
par mois, seul et/ou en groupe, et aussi le
matin. L'ado cherche dans le cannabis un effet
anxiolytique ou hypnotique. Troubles inévitables
: amoindrissement de la concentration, perte de
toute motivation en dehors du désir de fumer...
Plus nombreux qu'on ne le croit, ces fumeurs
luttent contre d'authentiques dépressions et ont
besoin d'une psychothérapie.
Le toxicomane. De 60 à 150 grammes par mois. Ces
fumeurs (une minorité) s'excluent rapidement du
système scolaire. Ils peuvent avoir des troubles
graves de la personnalité. Traitement dans un
centre spécialisé obligatoire.
Parler
Rapidement. La politique de l'autruche peut
coûter cher. Quelques joints n'entraînent pas la
dépendance. Mais marquer sa désapprobation permet
de poser une limite préventive (la stratégie du «
parent copain » est, on s'en doute, totalement
déconseillée par les psys). Et puis le novice qui
fume encore ses pétards le coeur battant est plus
réceptif au dialogue que l'ado blasé qui a déjà
banalisé le produit. Et qui a eu le temps
d'élaborer des théories difficiles à démonter.
Pédagogiquement. Eviter le style garde à vue au
commissariat. Le but n'est pas de faire avouer
(ce qui arrive rarement, voir plus loin) mais
d'amener l'ado à prendre conscience de son type
de consommation. Parfois, plus ou moins
consciemment, il est lui-même demandeur de
dialogue. Par exemple, en laissant traîner du
papier à rouler. Ne pas passer à côté de
l'occasion.
Au bon moment. Cela paraît tomber sous le sens.
Mais combien d'explications ont tourné au drame
parce qu'on n'a pas su (ou pas voulu, preuve de
l'acte manqué) choisir son heure ? Deux extrêmes
fréquents : l'explosion soudaine (au dîner, après
une journée de stress) et la question faussement
désinvolte entre deux portes. «Au fait, tu ne
fumes pas de pétards, j'espère?» Résultat :
l'adulte se débarrasse du problème en douce (s'il
semble accorder aussi peu d'importance au sujet,
il autorise implicitement sa progéniture à en
faire autant).
Clairement.«Est-ce que tu fumes?»«Non»,
répondront presque 100% des ados ! Soit parce
qu'effectivement ils n'ont pas encore goûté au
cannabis, soit parce que justement ils en usent
et que leur première réaction consiste presque
toujours à nier. Parfois avec un aplomb et des
talents de comédien saisissants ! Mieux vaut user
d'une formule du genre : «Nous aimerions faire le
point avec toi sur ta consommation de cannabis .»
Ne pas se laisser endormir par les dénégations.
Et faire savoir que l'on va rester vigilants
(quitte à demander rendez-vous à ses profs, s'il
le faut). Parfois l'ado admet mais minimise
(comme tout le monde, quand il s'agit d'évaluer
ses dépendances). Il faut l'aider à définir son «
profil » : quand fume-t-il ? combien de joints ?
pourquoi ? etc.
Eviter les pièges
Se rassurer à bon compte. Il fume seul dans sa
chambre au lieu de traîner avec ses copains.
Aussi (sinon plus) inquiétant ! La consommation
solitaire est signe d'un vrai malaise. Et quel
que soit le cas de figure, les parents ne doivent
jamais accepter que l'ado fume sous leur toit.
Prendre les choses à la légère. Il fume «avec les
copains». Il faut bien que jeunesse passe.
Certes. Mais que veut dire exactement «avec les
copains»? Un pétard partagé le samedi soir ? Ou
un joint tous les jours de la semaine ?
Se mettre en colère. La confrontation est un
mécanisme « renforçateur » chez tout consommateur
de substances, le mécanisme est bien connu des
psys. De plus, quand les parents font une fixette
sur un interdit, ils donnent encore plus envie de
le transgresser. Il faut rester ouvert sans
tomber toutefois dans la banalisation. Bref, la
corde raide !
Agir
Il a moins de 15 ans. Pour les parents, la seule
attitude responsable est l'interdiction pure et
simple, y compris d'une consommation
occasionnelle. Une addiction amorcée avant 15 ans
est difficile à combattre et prédispose
l'adolescent à de futures dépendances.
Il a plus de 15 ans. Tout dépend de sa
consommation. Fumeur occasionnel ? Le parent doit
faire savoir qu'il n'apprécie pas, qu'il
s'accommode de la situation et qu'il sera très
attentif aux fréquentations et aux résultats
scolaires. Il doit aussi penser « prévention » :
en cas de coup dur, l'ado qui a déjà fumé peut
être tenté d'augmenter sa consommation.
Fumeur régulier ? Les parents doivent aussi
s'interroger sur leurs comportements. Le
changement qu'ils demandent à leur enfant
(l'abandon du cannabis) doit se payer de
changements de leur côté. Notamment en termes de
communication mutuelle et surtout de temps passé
ensemble.
Gros fumeur ? L'appel à un professionnel est incontournable.
(*) Albin Michel, coll. « C'est la vie aussi », 138 p., 2006.
Source: Le Nouvel Observateur
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URL:http://hebdo.nouvelobs.com/p2190/dossier/a321122.html
« Au fait, tu ne fumes pas de pétards, j'espère ? »
Petit guide à usage parental
Comment savoir s'il consomme ? Comment lui en
parler ? Quand s'inquiéter ? Les réponses du
professeur Daniel Marcelli, psychiatre
spécialiste de l'adolescence, auteur avec
Christine Baudry de « Qu'est-ce que ça sent dans
ta chambre ? »*
Fume-t-il ?
Généralement, l'ado se cache pour planer ! Et les
parents assistent rarement à des épisodes aigus
d'ivresse cannabique (parole confuse, équilibre
instable) dont l'intensité est par ailleurs très
variable (pour les fumeurs réguliers, cette
ivresse est souvent très discrète). En revanche,
ils peuvent repérer, a posteriori, certains
indices révélateurs : yeux rouges, accès de
somnolence inexpliqués, troubles de la mémoire ou
du sommeil.
Autres signes : désintérêt général, baisse des
notes, rupture avec les amis habituels et
fréquentation exclusive de deux ou trois copains,
isolement, incessantes réclamations pour des
rallonges d'argent de poche... Pris séparément,
ces comportements sont fréquents à l'adolescence.
Mais leur accumulation indique que les
clignotants sont au rouge.
Comment consomme-t-il ?
Les concepts de drogue « douce » ou « dure »
n'ont aucune utilité : seul le mode de
consommation est à prendre en compte.
Le fumeur occasionnel. La majorité des jeunes
entrent dans cette catégorie : ils fument de
temps en temps, en général lors d'une fête. Cet
usage limité, dit « récréatif » ou « convivial »,
n'a aucune conséquence sur la santé ou la
scolarité. Un seul risque, mais immédiat et très
réel : la conduite en état d'ivresse quand la
soirée se termine.
Le petit fumeur régulier. De 5 à 15 grammes par
mois, avec des pointes le week-end. Cette petite
consommation peut correspondre à un moment
difficile à passer pour l'adolescent (son impact
social et scolaire dépend de sa capacité à la
maîtriser). Elle peut aussi l'entraîner dans la
catégorie suivante.
Le fumeur autothérapeutique. De 20 à 60 grammes
par mois, seul et/ou en groupe, et aussi le
matin. L'ado cherche dans le cannabis un effet
anxiolytique ou hypnotique. Troubles inévitables
: amoindrissement de la concentration, perte de
toute motivation en dehors du désir de fumer...
Plus nombreux qu'on ne le croit, ces fumeurs
luttent contre d'authentiques dépressions et ont
besoin d'une psychothérapie.
Le toxicomane. De 60 à 150 grammes par mois. Ces
fumeurs (une minorité) s'excluent rapidement du
système scolaire. Ils peuvent avoir des troubles
graves de la personnalité. Traitement dans un
centre spécialisé obligatoire.
Parler
Rapidement. La politique de l'autruche peut
coûter cher. Quelques joints n'entraînent pas la
dépendance. Mais marquer sa désapprobation permet
de poser une limite préventive (la stratégie du «
parent copain » est, on s'en doute, totalement
déconseillée par les psys). Et puis le novice qui
fume encore ses pétards le coeur battant est plus
réceptif au dialogue que l'ado blasé qui a déjà
banalisé le produit. Et qui a eu le temps
d'élaborer des théories difficiles à démonter.
Pédagogiquement. Eviter le style garde à vue au
commissariat. Le but n'est pas de faire avouer
(ce qui arrive rarement, voir plus loin) mais
d'amener l'ado à prendre conscience de son type
de consommation. Parfois, plus ou moins
consciemment, il est lui-même demandeur de
dialogue. Par exemple, en laissant traîner du
papier à rouler. Ne pas passer à côté de
l'occasion.
Au bon moment. Cela paraît tomber sous le sens.
Mais combien d'explications ont tourné au drame
parce qu'on n'a pas su (ou pas voulu, preuve de
l'acte manqué) choisir son heure ? Deux extrêmes
fréquents : l'explosion soudaine (au dîner, après
une journée de stress) et la question faussement
désinvolte entre deux portes. «Au fait, tu ne
fumes pas de pétards, j'espère?» Résultat :
l'adulte se débarrasse du problème en douce (s'il
semble accorder aussi peu d'importance au sujet,
il autorise implicitement sa progéniture à en
faire autant).
Clairement.«Est-ce que tu fumes?»«Non»,
répondront presque 100% des ados ! Soit parce
qu'effectivement ils n'ont pas encore goûté au
cannabis, soit parce que justement ils en usent
et que leur première réaction consiste presque
toujours à nier. Parfois avec un aplomb et des
talents de comédien saisissants ! Mieux vaut user
d'une formule du genre : «Nous aimerions faire le
point avec toi sur ta consommation de cannabis .»
Ne pas se laisser endormir par les dénégations.
Et faire savoir que l'on va rester vigilants
(quitte à demander rendez-vous à ses profs, s'il
le faut). Parfois l'ado admet mais minimise
(comme tout le monde, quand il s'agit d'évaluer
ses dépendances). Il faut l'aider à définir son «
profil » : quand fume-t-il ? combien de joints ?
pourquoi ? etc.
Eviter les pièges
Se rassurer à bon compte. Il fume seul dans sa
chambre au lieu de traîner avec ses copains.
Aussi (sinon plus) inquiétant ! La consommation
solitaire est signe d'un vrai malaise. Et quel
que soit le cas de figure, les parents ne doivent
jamais accepter que l'ado fume sous leur toit.
Prendre les choses à la légère. Il fume «avec les
copains». Il faut bien que jeunesse passe.
Certes. Mais que veut dire exactement «avec les
copains»? Un pétard partagé le samedi soir ? Ou
un joint tous les jours de la semaine ?
Se mettre en colère. La confrontation est un
mécanisme « renforçateur » chez tout consommateur
de substances, le mécanisme est bien connu des
psys. De plus, quand les parents font une fixette
sur un interdit, ils donnent encore plus envie de
le transgresser. Il faut rester ouvert sans
tomber toutefois dans la banalisation. Bref, la
corde raide !
Agir
Il a moins de 15 ans. Pour les parents, la seule
attitude responsable est l'interdiction pure et
simple, y compris d'une consommation
occasionnelle. Une addiction amorcée avant 15 ans
est difficile à combattre et prédispose
l'adolescent à de futures dépendances.
Il a plus de 15 ans. Tout dépend de sa
consommation. Fumeur occasionnel ? Le parent doit
faire savoir qu'il n'apprécie pas, qu'il
s'accommode de la situation et qu'il sera très
attentif aux fréquentations et aux résultats
scolaires. Il doit aussi penser « prévention » :
en cas de coup dur, l'ado qui a déjà fumé peut
être tenté d'augmenter sa consommation.
Fumeur régulier ? Les parents doivent aussi
s'interroger sur leurs comportements. Le
changement qu'ils demandent à leur enfant
(l'abandon du cannabis) doit se payer de
changements de leur côté. Notamment en termes de
communication mutuelle et surtout de temps passé
ensemble.
Gros fumeur ? L'appel à un professionnel est incontournable.
(*) Albin Michel, coll. « C'est la vie aussi », 138 p., 2006.