«Vous pensiez qu'on allait prendre le thé?»

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«Vous pensiez qu'on allait prendre le thé?»

Messagepar daniel » 21 Jan 2013, 03:58

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Carnets de justice
«Vous pensiez qu'on allait prendre le thé?»

Par Dominique SIMONNOT

lundi 12 septembre 2005 (Liberation - 06:00)

Tribunal correctionnel de Paris



Imposant, le juge trône, seul, à juger les petites affaires. Sa voix est rugissante : «Hein ? Quoi ? Vous faites opposition pour une misère ? Pour 300 euros d'amende et trois mois de suspension du permis !» A la barre, Emmanuel se tasse un peu : «On m'a arrêté avec un mégot dans le cendrier de ma voiture et...» Les yeux du juge roulent : «Vous fumiez un joint au volant !» «Je vous assure...» La voix du juge enfle pour réciter : «Les policiers sont assermentés, on ne conteste pas leur parole ! Ils vous ont vu tirer sur le joint de votre passager ! Le délit est consommé monsieur.» Emmanuel essaye : «J'habite Montreuil, je travaille à Boulogne, souvent de nuit, j'ai un bébé...» «Il faudra trouver une mob, un copain, une copine, ou autre... Ou alors qu'on vous fractionne la suspension, pendant les vacances...» La procureure observe : «Ses analyses de sang montrent qu'il est sous l'emprise du cannabis» et, surprise, le juge explose de rire : «Ah ! Ah ! Vous êtes drôlement intoxiqué ! Vous risquiez bien plus. Vous tombez des nues ou quoi ? Allumez la télé ! Lisez les journaux ! Et vous mégotez sur cette minuscule peine...» Emmanuel chuchote : «Je voulais discuter avec des gens de justice...» «Un juge n'est pas là pour discuter, se gondole le juge, il est là pour condamner ! Pour appliquer la loi ! Vous pensiez qu'on allait prendre le thé tous les deux ou quoi ?»
La procureure : «Je suis abasourdie, consternée !» «Ah la mentalité des gens !», ajoute le juge. Et la procureure enchaîne : «Tout le monde avait été clément avec lui, mais devant un comportement aussi irresponsable, je demande 400 euros et six mois de suspension !» Le juge approuve : «Voilà ce qu'on risque à faire opposition !» Emmanuel se défend : «J'ai ramé pour avoir ce boulot, je bosse dur...» Le juge se tient les côtes : «Ooooh, vos arguments sont inopérants ! vous avez le cannabis dans le sang !» «Juste un permis blanc !» supplie Emmanuel. «Y en a plus ! Fini ! Allumez la télé ! Arrêtez le shit !»«C'était juste un petit mégot...», jure Emmanuel. Le juge s'en étrangle : «Ce que vous pouvez être lourd ! Un gosse serait plus intelligent. Evidemment, c'est pas cent kilos de coke, vous seriez pas là. Allez ! Suffit ! Confirmation !»
La suivante est une victime, une brune gironde, le prévenu est absent. «C'est un monsieur avec qui vous avez vécu ?» «A mon corps défendant, répond la brune, il passait son temps sur le canapé, il vidait le frigo et mon compte en banque. Je lui ai même payé l'hôtel pour qu'il parte.» Ensuite le type l'a harcelée : «Pendant un an, même au travail, ça faisait désordre ! Il débarquait ivre en cassant tout. Il m'a volée en toute impunité... Et j'ai appris qu'il n'a fait que ça de toute sa vie.» Le juge fait un clin d'oeil : «Eh ? Un gigolo ?» La brune a de la repartie : «Un gigolo, au moins, est souriant.» Nouveau clin d'oeil : «Allez, question rituelle, combien d'années de moins que vous ?» «Euh, neuf ans...» Les voilà qui conversent : «Ah ! Ah ! Ah ! Faites attention ! On couche un soir et après c'est le cauchemar ! Il reste, vole et frappe. Et vous êtes des milliers de femmes comme ça !» La brune gémit : «Je comprends pas ce qui a pu me rendre aveugle comme ça !» Le juge se marre : «J'essaye de vous éclairer, hein ! Ah, c'est moche ! Et encore, il ne vous laisse pas criblée de dettes.» La brune converse : «J'avais peur, aujourd'hui, de croiser son regard.» «Pensez-vous ! s'esclaffe le juge, ils viennent jamais !» «C'est un minable, je demande juste qu'on lui fasse comprendre.» «Oh là ! Ne rêvez pas ! On ne peut pas vous offrir ça.» Et le juge se tourne vers la procureure : «Allez, madame le procureur, demandez une sanction, elle sera appliquée, n'ayez crainte.»
Casier vierge, faits anciens, la procureure veut six mois avec sursis, interdiction de rencontrer la victime. «Accordé !» hurle le juge. Il se penche sur les dossiers : «Horreur ! Je vois une affaire retenue à 16 heures ! On va attendre jusque-là ?» Et il sort de son pas massif. Un gendarme aussi, plié en deux. Comme la salle entière qui hoquette...




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