Les growshops sous haute surveillance
Posté: 12 Aoû 2005, 15:46
Ca date de mars 2005
http://investigation.blog.lemonde.fr/in ... ops_s.html
Les growshops sous haute surveillance
Les boutiques consacrées aux cultures d’intérieur connaissent depuis trois ans une insolente réussite. D’Angers à Montpellier, près de 200 «growshops» vendent désormais en toute légalité la parfaite panoplie du petit agriculteur en herbe. Les Français seraient-ils brusquement accrocs du jardinage de placard? La police a du mal à y croire...
Depuis quelques mois, la police et la justice s’intéressent de plus en plus à ces nouveaux magazins d’horticulture aux noms des plus évocateurs comme THC, chanvre et compagnie ou mauvaise graine. Ces «growshops» qui fleurent bon le cannabis vendent en toute légalité des lampes à sodium, des engrais spéciaux et des bacs d’intérieur idéaux pour cultiver des fleurs dans son placard... «Chez nous, il n'y a rien à l'effigie du chanvre, mais on sait bien que 99 % des clients viennent pour ça», reconnaît volontiers Stéphane, vendeur à Cityplant Paris. L’auto-production est un phénomène en explosion. Une nouveauté importée du Canada permet même de produire jusqu’à 6 kg d'herbe à partir d'une surface de 2 m2. Des milliers de pieds sont saisis chaque année par la police et certains sous-bois du sud de la France rappellent de plus en plus le Maroc ou l’Afghanistan. En amont, les growshops déclinent pourtant toute responsabilité.
Cannabis made in France
Jean-Baptiste Bladier, le substitut du procureur d’Angers, est embarassé face au développement des growshops : «on n'est pas naïfs, on sait bien que c'est pour faire pousser du cannabis, mais ce n'est pas exclusif. Au regard de la loi, le matériel peut aussi servir à faire pousser des géraniums». Pour lui, la législation ne permet pas aujourd’hui d’interdire ces commerces, «ce serait comme interdire les bouteilles d’eau car certains font des bang avec!». En attendant une éventuelle réforme de la loi sur les stupéfiants, les autorités ne renoncent pas pour autant. Depuis quelques mois, elles ont adopté une nouvelle stratégie qui s’inspire des terrains de foot: mettre la pression sur les growshops afin de les pousser à la faute. Et ça marche. Depuis quelques semaines les hors-jeux s’accumulent partout en France.
«Les autorités ne jugent pas sur le fond, mais ils développent localement des petites procédures de manière à nous fatiguer, nous user », explique Kshoo, gérant de la boutique associative Mauvaise graine, à Montpellier, et cofondateur du Comité d'information et de recherche cannabique. Placé en garde à vue, puis mis en examen, Kshoo évoque d’un ton blasé les premières descentes de police dans son établissement qui se sont soldées par la saisie «deT-Shirt ou de livres sur le chanvre». En gros, rien de vraiment répréhensible. Du coup, poursuit Kshoo, la brigade des stups est venue faire la planque dans l'immeuble en face de sa boutique : « ils ont pris des photos en gros plan de la vitrine où il y avait des pots de plantes grasses qui n’ont rien à voir avec le cannabis. Ils m’ont dit qu’en regardant la la plante sous un certain profil, on pouvait imaginer la forme d’une feuille de chanvre!». A Montreuil, le magasin Chanvre et Compagnie a aussi connu une descente de police et une fermeture administrative de trois semaines pour «au bout du compte ne saisir que deux posters!», raconte l’un des responsables de la boutique. A Laval, les fondateurs du growshop THC sont pousuivis pour provocation à l'usage de stupéfiants, après avoir mis à la disposition de leurs clients une revue néerlandaise spécialisée. Le tableau de chasse de la police se remplit et tous sont persuadés d’être désormais sur écoutes en permanence «avec des micros dans la boutique».
Fais tourner, c’est bon pour l’économie
Chez Cytiplant, du coup, on choisit le profil bas: «on s'efforce à ce qu'aucun d'entre nous ne fasse de connerie et on a retiré tout ce qui suggère le cannabis.» «Les graines de cannabis c’est différent», reprend Kshoo, «tu peux les vendre en nourriture à oiseaux en indiquant seulement qu'il ne faut pas les faire germer... Je ne suis d’ailleurs pas sûr que les autorités soient très au courant de la vente de graines.» Graines de collection, graines à zoizos de compétition, appâts pour la pêche à la ligne... les growshops ne manquent pas d’imagination pour vendre le plus légalement du monde des semences de chanvre? à condition de préciser qu’il est bien entendu interdit de les cultiver! On nage en pleine hypocrisie et certains n’hésitent pas à dénoncer le double-jeu des autorités.
Pour Laurent, de Chanvre et compagnie, c’est d’abord un problème politique:«d'une manière générale, le dealer dans la nature vend ce que les mafias internationales amènent sur le territoire français.» D’après ses estimations, près 3% de l'économie mondiale circule au noir pour enrichir des barons de la drogue et quelques hommes politiques uniquement pour une plante qu'on sait produire et sur laquelle on sait réduire les risques à la consommation. Pour lui, l’objectif est de faire sortir le cannabis des pages faits divers et santé afin de le faire entrer dans les pages économie: «c'est un réalisme social et économique.En cinq ans, les growshops ont réussi à créer une nouvelle activité commerciale et une vraie filière d’import-export. Entre la prolifération des magazins et les artisans qui sous-traitent les dérivés du chanvre, la cannabiculture est devenue une petite industrie à la tête de plusieurs milliers d’emplois. Les gouvernements pourront-ils encore longtemps refuser d’ouvrir le débat politique sur la légalisation de l’herbe, alors que rentrent chaque année dans les caisses de l’Etat des millions d’euros de TVA sur les graines pour oiseaux de luxe?
Bruno Fay
http://investigation.blog.lemonde.fr/in ... ops_s.html
Les growshops sous haute surveillance
Les boutiques consacrées aux cultures d’intérieur connaissent depuis trois ans une insolente réussite. D’Angers à Montpellier, près de 200 «growshops» vendent désormais en toute légalité la parfaite panoplie du petit agriculteur en herbe. Les Français seraient-ils brusquement accrocs du jardinage de placard? La police a du mal à y croire...
Depuis quelques mois, la police et la justice s’intéressent de plus en plus à ces nouveaux magazins d’horticulture aux noms des plus évocateurs comme THC, chanvre et compagnie ou mauvaise graine. Ces «growshops» qui fleurent bon le cannabis vendent en toute légalité des lampes à sodium, des engrais spéciaux et des bacs d’intérieur idéaux pour cultiver des fleurs dans son placard... «Chez nous, il n'y a rien à l'effigie du chanvre, mais on sait bien que 99 % des clients viennent pour ça», reconnaît volontiers Stéphane, vendeur à Cityplant Paris. L’auto-production est un phénomène en explosion. Une nouveauté importée du Canada permet même de produire jusqu’à 6 kg d'herbe à partir d'une surface de 2 m2. Des milliers de pieds sont saisis chaque année par la police et certains sous-bois du sud de la France rappellent de plus en plus le Maroc ou l’Afghanistan. En amont, les growshops déclinent pourtant toute responsabilité.
Cannabis made in France
Jean-Baptiste Bladier, le substitut du procureur d’Angers, est embarassé face au développement des growshops : «on n'est pas naïfs, on sait bien que c'est pour faire pousser du cannabis, mais ce n'est pas exclusif. Au regard de la loi, le matériel peut aussi servir à faire pousser des géraniums». Pour lui, la législation ne permet pas aujourd’hui d’interdire ces commerces, «ce serait comme interdire les bouteilles d’eau car certains font des bang avec!». En attendant une éventuelle réforme de la loi sur les stupéfiants, les autorités ne renoncent pas pour autant. Depuis quelques mois, elles ont adopté une nouvelle stratégie qui s’inspire des terrains de foot: mettre la pression sur les growshops afin de les pousser à la faute. Et ça marche. Depuis quelques semaines les hors-jeux s’accumulent partout en France.
«Les autorités ne jugent pas sur le fond, mais ils développent localement des petites procédures de manière à nous fatiguer, nous user », explique Kshoo, gérant de la boutique associative Mauvaise graine, à Montpellier, et cofondateur du Comité d'information et de recherche cannabique. Placé en garde à vue, puis mis en examen, Kshoo évoque d’un ton blasé les premières descentes de police dans son établissement qui se sont soldées par la saisie «deT-Shirt ou de livres sur le chanvre». En gros, rien de vraiment répréhensible. Du coup, poursuit Kshoo, la brigade des stups est venue faire la planque dans l'immeuble en face de sa boutique : « ils ont pris des photos en gros plan de la vitrine où il y avait des pots de plantes grasses qui n’ont rien à voir avec le cannabis. Ils m’ont dit qu’en regardant la la plante sous un certain profil, on pouvait imaginer la forme d’une feuille de chanvre!». A Montreuil, le magasin Chanvre et Compagnie a aussi connu une descente de police et une fermeture administrative de trois semaines pour «au bout du compte ne saisir que deux posters!», raconte l’un des responsables de la boutique. A Laval, les fondateurs du growshop THC sont pousuivis pour provocation à l'usage de stupéfiants, après avoir mis à la disposition de leurs clients une revue néerlandaise spécialisée. Le tableau de chasse de la police se remplit et tous sont persuadés d’être désormais sur écoutes en permanence «avec des micros dans la boutique».
Fais tourner, c’est bon pour l’économie
Chez Cytiplant, du coup, on choisit le profil bas: «on s'efforce à ce qu'aucun d'entre nous ne fasse de connerie et on a retiré tout ce qui suggère le cannabis.» «Les graines de cannabis c’est différent», reprend Kshoo, «tu peux les vendre en nourriture à oiseaux en indiquant seulement qu'il ne faut pas les faire germer... Je ne suis d’ailleurs pas sûr que les autorités soient très au courant de la vente de graines.» Graines de collection, graines à zoizos de compétition, appâts pour la pêche à la ligne... les growshops ne manquent pas d’imagination pour vendre le plus légalement du monde des semences de chanvre? à condition de préciser qu’il est bien entendu interdit de les cultiver! On nage en pleine hypocrisie et certains n’hésitent pas à dénoncer le double-jeu des autorités.
Pour Laurent, de Chanvre et compagnie, c’est d’abord un problème politique:«d'une manière générale, le dealer dans la nature vend ce que les mafias internationales amènent sur le territoire français.» D’après ses estimations, près 3% de l'économie mondiale circule au noir pour enrichir des barons de la drogue et quelques hommes politiques uniquement pour une plante qu'on sait produire et sur laquelle on sait réduire les risques à la consommation. Pour lui, l’objectif est de faire sortir le cannabis des pages faits divers et santé afin de le faire entrer dans les pages économie: «c'est un réalisme social et économique.En cinq ans, les growshops ont réussi à créer une nouvelle activité commerciale et une vraie filière d’import-export. Entre la prolifération des magazins et les artisans qui sous-traitent les dérivés du chanvre, la cannabiculture est devenue une petite industrie à la tête de plusieurs milliers d’emplois. Les gouvernements pourront-ils encore longtemps refuser d’ouvrir le débat politique sur la légalisation de l’herbe, alors que rentrent chaque année dans les caisses de l’Etat des millions d’euros de TVA sur les graines pour oiseaux de luxe?
Bruno Fay