Une bouffée délirante chez les anticannabis
Posté: 02 Mai 2005, 09:21
Raccourci vers : http://www.liberation.fr/page.php?Article=293600
Une bouffée délirante chez les anticannabis
Les discours éradicateurs se multiplient, dans le sillage de la campagne de sensibilisation lancée en février.
Par Matthieu ECOIFFIER
lundi 02 mai 2005 (Liberation - 06:00)
Le cannabis rend-t-il fou ? A voir quelques émissions et documentaires dont Bouffée d'enfer diffusé sur France 5 hier , on serait tenté de le croire. «Un médecin aurait dit à la radio que fumer rend schizophrène. Dans la journée, on a reçu une flopée de coups de fil de parents prêts à faire hospitaliser leur gamin. On les a rassurés. Le cannabis peut révéler des troubles psy chez certains sujets fragiles et il est déconseillé pour les plus jeunes», raconte Andres Pedreras, coordinateur de Cannabus à Bordeaux, une des 240 consultations labellisées «jeune usager» par le gouvernement.
La campagne de sensibilisation lancée début février par Philippe Douste-Blazy produit des effets secondaires inquiétants. Il s'agissait, selon le ministre de la Santé, de «mettre face à face le mythe du cannabis et sa réalité pour sortir des idéologies sur sa prétendue non-dangerosité». Trois mois plus tard, on assiste à une diabolisation tous azimuts du hachisch. Dans les discours mais aussi, ce qui est plus grave, sur le terrain de la prévention scolaire. A cela s'ajoute la nouvelle circulaire Perben du 8 avril qui demande aux procureurs de sanctionner systématiquement pour incitation la mouvance militant pour la dépénalisation du chanvre.
Au broyeur. Dans la rue, les contrôles sont impitoyables : «Quand tu te fais arrêter avec 1 ou 2 g de shit, tu es systématiquement conduit au commissariat», raconte Jean-Pierre Galland, président du Collectif de recherche et d'information cannabique (Circ). «Après 48 heures de garde à vue et une perquisition où on a trouvé trois plants de cannabis, un jeune a vu le juge d'instruction passer au broyeur le livre J'attends ma récolte, au motif qu'il était interdit. Le procureur lui a rappelé qu'il est vendu à la Fnac.»
Cette croisade est en partie orchestrée, en coulisse, par un lobby réactionnaire disposant de relais politiques et médiatiques locaux et nationaux. Il est notamment emmené par deux associations : France sans drogue et le Comité national d'information sur les drogues (Cnid). Leur discours éradicateur et alarmiste, exposé dans un récent dossier de Valeurs actuelles, hebdomadaire ultraconservateur, a été repris texto par plusieurs députés UMP le 14 avril, lors d'un débat à l'Assemblée : «Le cannabis, c'est la clé dans la serrure de la maladie, de la folie et du suicide», «la drogue c'est le mal absolu»... «Les députés Dell'Agnola, Accoyer, Boutin et le sénateur Plasait veulent une tolérance zéro et ont réussi, en juin 2004, à faire signer leur proposition de réforme de la loi de 1970 à 240 députés, dont Sarkozy et Juppé. Mais le gouvernement n'a pas voulu bouger et préfère sa campagne de pub», rappelle Jean-Pierre Galland.
Au ministère de la Santé, on minimise la portée de ce lobby : «Douste-Blazy n'était pas présent à l'Assemblée lors du débat, pour ne pas le cautionner», assure son cabinet. Faute de recadrage politique, le gouvernement laisse ce discours extrémiste prospérer.
Didier Jayle, le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, tente de limiter la casse sur les plateaux où il est invité. Il rappelle que la campagne «Le cannabis, une réalité» a adopté un ton neutre pour rester crédible auprès des jeunes, notamment les 450 000 fumeurs quotidiens. «On voulait casser l'image d'un produit anodin. Surtout pour les moins de 15 ans. Et on n'a pas mentionné le risque de schizophrénie, note Jayle. C'est vrai que le documentaire de la 5 ne montre que des cas psychiatriques très lourds. Ils existent mais ne sont pas une généralité. Une consommation modérée de cannabis a des effets sanitaires faibles.» Les spots télé et radio qui pointaient les risques d'une fumette régulière et trop précoce (angoisse, pertes de mémoire, déconcentration, difficultés scolaires) ne sont certes pas en cause. «Les post-tests de la campagne sont excellents chez les parents et bons chez les jeunes», affirme Didier Jayle. Dans les consultations à Paris ou Bordeaux, on a surtout vu débarquer des parents inquiets et des fumeurs de 20 à 25 ans en difficulté avec leur fumette. En tout, quelques dizaines de personnes par consultation tout au plus : «On n'a pas vu des milliers d'accros au shit, c'est du côté de l'alcool qu'il faut les chercher», rappelle Jean-Pierre Couteron, psychologue dans une de ces structures, à Mantes-la-Jolie. «Dire que ce produit apparemment merveilleux peut piéger est positif, mais laisser proliférer un discours extrémiste et caricatural est contre-productif.»
Humour. A l'Association nationale des interventions en toxicomanie (Anit), qui gère la moitié des consultations, l'inquiétude monte. «Sur le terrain, de nombreux professionnels rencontrent des difficultés lors de leurs interventions en milieu scolaire. Dans plusieurs régions, en Vendée et Normandie, des relais de France sans drogue, du Cnid, de l'Union régionale des médecins libéraux ont repris leur bâton de pèlerin. Ils avaient été discrédités et ressortent du bois. Dans une école des Yvelines, je suis passé après un gendarme, du jamais vu», explique Jean-Pierre Couteron. Face à cette offensive, le Circ a décidé de contre-attaquer par l'humour (1). En diffusant une parodie de la campagne officielle, intitulée «Le cannabis, c'est trop mortel !»
(1) http://www.circ-asso.net
Libération à domicile
Recevez votre quotidien tous les matins avant 7h30 pour 0,85 €.
Des joints plus actifs dans le Nord
© libération | designed by neo05
licence | données personnelles | charte d'édition
Syndication RSS 2.0
Une bouffée délirante chez les anticannabis
Les discours éradicateurs se multiplient, dans le sillage de la campagne de sensibilisation lancée en février.
Par Matthieu ECOIFFIER
lundi 02 mai 2005 (Liberation - 06:00)
Le cannabis rend-t-il fou ? A voir quelques émissions et documentaires dont Bouffée d'enfer diffusé sur France 5 hier , on serait tenté de le croire. «Un médecin aurait dit à la radio que fumer rend schizophrène. Dans la journée, on a reçu une flopée de coups de fil de parents prêts à faire hospitaliser leur gamin. On les a rassurés. Le cannabis peut révéler des troubles psy chez certains sujets fragiles et il est déconseillé pour les plus jeunes», raconte Andres Pedreras, coordinateur de Cannabus à Bordeaux, une des 240 consultations labellisées «jeune usager» par le gouvernement.
La campagne de sensibilisation lancée début février par Philippe Douste-Blazy produit des effets secondaires inquiétants. Il s'agissait, selon le ministre de la Santé, de «mettre face à face le mythe du cannabis et sa réalité pour sortir des idéologies sur sa prétendue non-dangerosité». Trois mois plus tard, on assiste à une diabolisation tous azimuts du hachisch. Dans les discours mais aussi, ce qui est plus grave, sur le terrain de la prévention scolaire. A cela s'ajoute la nouvelle circulaire Perben du 8 avril qui demande aux procureurs de sanctionner systématiquement pour incitation la mouvance militant pour la dépénalisation du chanvre.
Au broyeur. Dans la rue, les contrôles sont impitoyables : «Quand tu te fais arrêter avec 1 ou 2 g de shit, tu es systématiquement conduit au commissariat», raconte Jean-Pierre Galland, président du Collectif de recherche et d'information cannabique (Circ). «Après 48 heures de garde à vue et une perquisition où on a trouvé trois plants de cannabis, un jeune a vu le juge d'instruction passer au broyeur le livre J'attends ma récolte, au motif qu'il était interdit. Le procureur lui a rappelé qu'il est vendu à la Fnac.»
Cette croisade est en partie orchestrée, en coulisse, par un lobby réactionnaire disposant de relais politiques et médiatiques locaux et nationaux. Il est notamment emmené par deux associations : France sans drogue et le Comité national d'information sur les drogues (Cnid). Leur discours éradicateur et alarmiste, exposé dans un récent dossier de Valeurs actuelles, hebdomadaire ultraconservateur, a été repris texto par plusieurs députés UMP le 14 avril, lors d'un débat à l'Assemblée : «Le cannabis, c'est la clé dans la serrure de la maladie, de la folie et du suicide», «la drogue c'est le mal absolu»... «Les députés Dell'Agnola, Accoyer, Boutin et le sénateur Plasait veulent une tolérance zéro et ont réussi, en juin 2004, à faire signer leur proposition de réforme de la loi de 1970 à 240 députés, dont Sarkozy et Juppé. Mais le gouvernement n'a pas voulu bouger et préfère sa campagne de pub», rappelle Jean-Pierre Galland.
Au ministère de la Santé, on minimise la portée de ce lobby : «Douste-Blazy n'était pas présent à l'Assemblée lors du débat, pour ne pas le cautionner», assure son cabinet. Faute de recadrage politique, le gouvernement laisse ce discours extrémiste prospérer.
Didier Jayle, le président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, tente de limiter la casse sur les plateaux où il est invité. Il rappelle que la campagne «Le cannabis, une réalité» a adopté un ton neutre pour rester crédible auprès des jeunes, notamment les 450 000 fumeurs quotidiens. «On voulait casser l'image d'un produit anodin. Surtout pour les moins de 15 ans. Et on n'a pas mentionné le risque de schizophrénie, note Jayle. C'est vrai que le documentaire de la 5 ne montre que des cas psychiatriques très lourds. Ils existent mais ne sont pas une généralité. Une consommation modérée de cannabis a des effets sanitaires faibles.» Les spots télé et radio qui pointaient les risques d'une fumette régulière et trop précoce (angoisse, pertes de mémoire, déconcentration, difficultés scolaires) ne sont certes pas en cause. «Les post-tests de la campagne sont excellents chez les parents et bons chez les jeunes», affirme Didier Jayle. Dans les consultations à Paris ou Bordeaux, on a surtout vu débarquer des parents inquiets et des fumeurs de 20 à 25 ans en difficulté avec leur fumette. En tout, quelques dizaines de personnes par consultation tout au plus : «On n'a pas vu des milliers d'accros au shit, c'est du côté de l'alcool qu'il faut les chercher», rappelle Jean-Pierre Couteron, psychologue dans une de ces structures, à Mantes-la-Jolie. «Dire que ce produit apparemment merveilleux peut piéger est positif, mais laisser proliférer un discours extrémiste et caricatural est contre-productif.»
Humour. A l'Association nationale des interventions en toxicomanie (Anit), qui gère la moitié des consultations, l'inquiétude monte. «Sur le terrain, de nombreux professionnels rencontrent des difficultés lors de leurs interventions en milieu scolaire. Dans plusieurs régions, en Vendée et Normandie, des relais de France sans drogue, du Cnid, de l'Union régionale des médecins libéraux ont repris leur bâton de pèlerin. Ils avaient été discrédités et ressortent du bois. Dans une école des Yvelines, je suis passé après un gendarme, du jamais vu», explique Jean-Pierre Couteron. Face à cette offensive, le Circ a décidé de contre-attaquer par l'humour (1). En diffusant une parodie de la campagne officielle, intitulée «Le cannabis, c'est trop mortel !»
(1) http://www.circ-asso.net
Libération à domicile
Recevez votre quotidien tous les matins avant 7h30 pour 0,85 €.
Des joints plus actifs dans le Nord
© libération | designed by neo05
licence | données personnelles | charte d'édition
Syndication RSS 2.0