Quand une campagne de réeducation des masses renforce le contrôle social...
Tout le monde sait qu'en Europe, exceptée la politique brutale et dogmatique de la Suède, la loi française en matière de lutte contre les stupéfiants qui date du 31 décembre 1970, est l'une des lois les plus dures et repressives au monde.
Pourtant début 2005, 34 ans après avoir classé l'héroïne et le cannabis ou la cocaïne dans la même colonne d'un tableau des stupéfiants inepte (imposé par la convention internationale de 1961), le gouvernement français lance « une campagne pour convaincre les jeunes que le cannabis n'est pas leur ami » comme le souligne l'Agence France Presse et qu'il « tentera de convaincre les jeunes Français, gros consommateurs de haschisch, qu'en fumer peut avoir des conséquences néfastes sur leur vie».
Avec six films, huit spots radio et des encarts pour la presse écrite, l'idée de la campagne est « d'informer sans diaboliser », sans pour autant dénoncer « la consommation de cannabis » qui demeure illégale, mais plutôt son « usage problématique ». Cette notion est défendue par les professionnels confrontés aux réalités quotidiennes des usagers de drogues illicites, mais elle a longtemps été combattue par les pouvoirs publics car elle suppose qu'il y aurait « un usage non problématique », et surtout de reconnaître que la loi est inique, inapplicable et donc inappliquée parce qu'elle criminalise l'usager, c'est à dire le consommateur de drogues illicites.
L'objet de cette campagne est la publicité du numéro de téléphone 0 811 91 20 20, avec au bout du fil une voix pour vous conseiller de rendre visite à l'un des 250 centres listés où les consommateurs de cannabis recevront soins et conseils. Mention est faite également des deux brochures éditées à l'intention des parents et des jeunes ainsi que du « Guide à l'arrêt » destiné aux professionnels.
Selon un professionnel de la Santé, c'est une campagne « honnête » qui «ne diabolise pas mais ne banalise pas » car selon lui « on sort des discours idéologiques sur le cannabis ». D'après le Pr Reynaud, il y « a deux ans on n'arrivait pas à faire passer l'idée qu'il pouvait y avoir danger » et « ensuite on a basculé dans une angoisse sécuritaire focalisée sur le cannabis ». Affirmant que toutefois il « n'y a aucune lisibilité sur la réponse sociale et répressive à la consommation » il considère qu'un « jour ou l'autre la société devra se poser la question de l'attitude qu'elle souhaite adopter sur cette drogue ». Le psychiatre qui souligne que l'augmentation des problèmes sanitaires chez les jeunes est « considérable » et note que « les manifestations problématiques ont augmenté au rythme de la consommation », précise « qu'environ 10% des fumeurs rencontrent des problèmes : trouble de la concentration, de la mémoire, apathie, perte des intérêts scolaires, relationnels ou sportifs ».
Toutefois la consommation en France reste massive, selon l'OFDT et l'Inserm puisque 66% des garçons et 52% des filles ont goûté au cannabis, avec une proportion de lycéens de 16 -17 ans ayant fumé plus de dix fois dans l'année qui a triplé en dix ans (de 7% à 21% ) et chez les filles de 4% à 11%. L'agence note également que l'expérimentation chez les 14 -15 ans est passée en dix ans de 8,1% à 24,9% chez les garçons et de 6 à 16,5% chez les filles. Enfin, selon l'étude ESCAPAD, les consommateurs quotidiens de 17 -18 ans dépensent 80 euros par mois en cannabis soit 33% de l'argent dont ils disposent et que l'ensemble des consommateurs de cette tranche d'âge dépenserait chaque mois de 12 à 21 millions d'euros pour le cannabis ( des sommes inférieures à celles consacrées à l'alcool et au tabac), l'agence rappelle que la France est avec la République tchèque, l'Irlande et la Grande Bretagne l'un des pays où la consommation est la plus forte...
Plutôt qu'une véritable prévention des dangers liés à la consommation d'une substance, par la décriminalisation de l'usage et la garantie d'un circuit de distribution et de qualité controlés, la France sous le modèle des Etats-Unis, maintient la cap et cherche à faire porter le chapeau aux plus faibles. Ce ne sont pas les solutions adéquates qui sont recherchées mais la voie de l'intoxication, entretenant la panique parentale et la méfiance à tous les niveaux. Cette politique de rééducation des masses populaires et de contrôle social semble avoir encore de beaux jours devant elle. Prochainement, comme pour rétablir l'ordre des priorités, le ministère de l'Intérieur et la MILDT lanceront une autre campagne sur « l'aspect répressif, avec un rappel de l'interdit». Y rappellera-t-on que la loi française punit sévérement la « présentation des drogues sous un jour favorable »... Bref, osera-t'on reconnaître qu'il est illégal de faire la publicité sur un usage de drogues lui-même illicite et qu'il soit abusif ou non, tout comme de consommer une substance prohibée ? Osera-t-on reconnaître que la production d'information permettant à l'usager de mieux maîtriser sa consommation est fortement repriméee ? Osera-t-on expliquer que les prisons abritent peu de grands trafiquants, mais surtout des usagers-partageurs ou usagers-revendeurs qui les surchargent inutilement... et que les personnels pénitentiaires, comme les rangs de l'armée ou de la Police sont aussi touchés par « ce fléau », à l'image du reste de la société ?
FARId Ghehioueche – ENCOD / CIRC Paris