Libé du11/01/2005 L'enfance coupable
Posté: 11 Jan 2005, 11:19
L'enfance coupable
Par Yann BISIOU
mardi 11 janvier 2005
Une haie de policiers le long des grilles d'un collège, des adolescents en rang, leur cartable à leurs pieds et des chiens policiers qui cherchent de la drogue. Des images faites pour marquer les esprits. Mais pour quel résultat ?
Censée lutter contre la violence à l'école, cette coopération entre police, gendarmerie et Education nationale a permis, nous dit-on, d'arrêter une centaine d'élèves pour usage de stupéfiants. Un tel résultat n'a rien d'étonnant quand on sait l'ampleur qu'a prise la consommation de cannabis chez les jeunes. Malgré la politique très répressive de la France en ce domaine, on estime que 53 % des garçons et 31 % des filles de 15 à 24 ans ont déjà consommé au moins une fois du cannabis.
Mais si l'usage de stupéfiants peut constituer un problème social, sanitaire et éducatif, il ne participe pas à la violence scolaire contre laquelle ces actions médiatiques prétendent réagir. Selon les statistiques Signa du ministère de l'Education nationale, qui recensent les faits de violence dans 7 900 établissements scolaires, l'usage de stupéfiants n'a donné lieu à aucun signalement, l'année dernière, dans le premier degré et il vient en 8e position dans le second degré, avec 2 135 déclarations sur un total de 81 366. Il représente 2,8 % des actes signalés, loin derrière les violences physiques, insultes et vols (64,4 %).
On ne luttera donc pas contre la violence scolaire en recherchant le cannabis dans les cartables des élèves. En revanche on transforme en délinquants une centaine d'adolescents victimes de leur consommation. La société répondra à leur usage de drogue par une exclusion de l'établissement scolaire, par une garde à vue, une perquisition au domicile des parents, parfois des poursuites pénales avec, au bout du chemin, l'interdiction d'exercer plusieurs dizaines de professions. En montrant complaisamment des élèves traités comme des suspects, cette politique accrédite l'idée qu'il faudrait séparer le bon grain de l'ivraie pour retrouver la paix dans les collèges et lycées. Ce n'est plus l'enfance en danger, c'est le retour de «l'enfance coupable» et un grand pas en arrière à l'époque des colonies pénitentiaires et des écoles de préservation.
par Yann Bisiou maître de conférences en droit privé à Montpellier-III.
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Par Yann BISIOU
mardi 11 janvier 2005
Une haie de policiers le long des grilles d'un collège, des adolescents en rang, leur cartable à leurs pieds et des chiens policiers qui cherchent de la drogue. Des images faites pour marquer les esprits. Mais pour quel résultat ?
Censée lutter contre la violence à l'école, cette coopération entre police, gendarmerie et Education nationale a permis, nous dit-on, d'arrêter une centaine d'élèves pour usage de stupéfiants. Un tel résultat n'a rien d'étonnant quand on sait l'ampleur qu'a prise la consommation de cannabis chez les jeunes. Malgré la politique très répressive de la France en ce domaine, on estime que 53 % des garçons et 31 % des filles de 15 à 24 ans ont déjà consommé au moins une fois du cannabis.
Mais si l'usage de stupéfiants peut constituer un problème social, sanitaire et éducatif, il ne participe pas à la violence scolaire contre laquelle ces actions médiatiques prétendent réagir. Selon les statistiques Signa du ministère de l'Education nationale, qui recensent les faits de violence dans 7 900 établissements scolaires, l'usage de stupéfiants n'a donné lieu à aucun signalement, l'année dernière, dans le premier degré et il vient en 8e position dans le second degré, avec 2 135 déclarations sur un total de 81 366. Il représente 2,8 % des actes signalés, loin derrière les violences physiques, insultes et vols (64,4 %).
On ne luttera donc pas contre la violence scolaire en recherchant le cannabis dans les cartables des élèves. En revanche on transforme en délinquants une centaine d'adolescents victimes de leur consommation. La société répondra à leur usage de drogue par une exclusion de l'établissement scolaire, par une garde à vue, une perquisition au domicile des parents, parfois des poursuites pénales avec, au bout du chemin, l'interdiction d'exercer plusieurs dizaines de professions. En montrant complaisamment des élèves traités comme des suspects, cette politique accrédite l'idée qu'il faudrait séparer le bon grain de l'ivraie pour retrouver la paix dans les collèges et lycées. Ce n'est plus l'enfance en danger, c'est le retour de «l'enfance coupable» et un grand pas en arrière à l'époque des colonies pénitentiaires et des écoles de préservation.
par Yann Bisiou maître de conférences en droit privé à Montpellier-III.
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