3 QUESTIONS A... JEAN-PIERRE GALLAND
"Des croisés de la lutte anti-drogue"
NOUVELOBS.COM | 24.11.04 | 17:06
Jean-Pierre Galland
est écrivain,
fondateur
du Collectif d'information
et de recherche cannabique (CIRC),
et co-fondateur des Editions du lézard.
Comment avez-vous été mis au courant ce cette décision de la Fnac, et en êtes-vous surpris?
- J'étais vaguement au courant que quelque chose s'était passé grâce à une interview, publiée dans un journal de Rouen, d'un libraire qui évoquait le fait que mes livres n'étaient plus disponibles à la Fnac. Par la suite, nous avons reçu, par une indiscrétion, la note de la Fnac.
Je me suis bien sûr inquiété mais pas plus que d'habitude car ce genre d'affaires est déjà arrivé à plusieurs reprises. Par contre, j'ai été très surpris par la méthode.
En effet, chacun de ces livres a dû être envoyé avant sa publication au dépôt légal, dépendant du ministère de l'Intérieur qui aurait pu, s'il l'avait voulu, l'interdire à ce moment. Je ne vois pas pourquoi on agit maintenant contre des livres qui, pour certains, ont été réédités de nombreuses fois. "J'attends une récolte", par exemple, est passé sept fois au dépôt légal.
Ce qui m'inquiète dans cette affaire, c'est que c'est à la liberté d'opinion que l'on s'attaque. Publicité
Tout ça me fait penser au Chili, lorsqu'on brûlait des livres parce qu'on les trouvait dangereux.
Y-a-t-il déjà eu des précédents ?
- Il y avait eu, en 1997, un député de droite qui, en se promenant à la Fnac du forum des Halles, était tombé sur des bouquins sur le cannabis. Scandalisé, il avait porté plainte. Quelque temps après, c'est un gérant de Virgin qui avait été inquiété par la police, entraînant un boycott des livres sur le cannabis. Mais grâce à un dialogue constructif, nous leur avions fait comprendre que ce que nous défendions, c'était également la liberté d'expression, et les choses étaient rentrées dans l'ordre.
Des petites librairies ont également été inquiétées ces dernières années à Paris, comme Lady Long Solo, rue Keller, la boutique des Editions du lézard, qui avait été perquisitionnée. Cette maison d'édition a quant à elle déjà été condamnée à une amende pour le livre "La culture en placard".
Le code de la santé publique punit la présentation de la drogue sous un jour favorable, n'est-ce tout de même pas le cas de certains des ouvrages incriminés ? Ne comprenez vous pas les craintes de la Fnac ?
- Je peux comprendre que, selon l'interprétation que l'on donne à la loi, ces bouquins puissent passer pour une incitation. Mais ceci vient de notre démarche qui est politique, et dans ces livres, les auteurs expliquent pourquoi ils prennent position, ils argumentent.
Si un livre comme "La culture en placard" est peut-être un peu plus explicite, je trouve que la démarche de la Fnac est beaucoup moins compréhensible pour un livre comme "Fumée clandestine" qui est tout de même un livre de référence, d'argumentation, datant de 1991! Quand on regarde quels livres sont poursuivis, on se rend compte que tout ça est fait dans le désordre absolu, par des policiers zélés transformés en croisés de la lutte anti-drogue.
L'intérêt de ces opérations, c'est de fatiguer les gens qui tentent d'informer sur le cannabis. On a l'impression qu'on est revenu à l'époque d'avant la création de la Mildt [Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, ndlr], quand on ne pouvait absolument rien dire. Je pense qu'il y a une volonté ferme de me faire taire, moi et le Circ, de nous briser psychologiquement pour que l'on arrête d'informer.
Propos recueillis par Jérôme Hourdeaux
(le mercredi 24 novembre 2004)