rif et kif
Posté: 21 Jan 2013, 03:44
extrait d'un article sur le maroc trouvé dans l'express :
«Les plantations de Kif fourniraient plus de la moitié de leurs revenus à quelque 800 000 personnes»
Tétouan, l'ancienne capitale du protectorat espagnol, garde une certaine nostalgie de cette époque et de sa splendeur passée. «Il y avait des industries, des commerces. Tétouan était en fait la deuxième ville du Maroc, derrière Casablanca, pour son importance économique. Après l'indépendance, le déclin a été total. Aujourd'hui, c'est une agglomération qui ne vit plus que de la contrebande et de la drogue», déplore M'hammed Benaboud, historien et vice- président de l'association Tétouan Asmir.
C'est en fait tout le Rif, si longtemps livré à lui-même, qui vit de la contrebande et de la drogue. Ils seraient chaque jour 30 000 à franchir la frontière pour se rendre à Ceuta, et 50 000 à Melilla. Tous ou presque sont de petits passeurs qui vont s'approvisionner dans les zones franches des deux enclaves espagnoles en produits qui iront ensuite fournir les souks de la région, voire de certaines grandes villes marocaines. Electroménager, vêtements, produits de toilette, plaques de chocolat ou couches-culottes, alcools ou cigarettes: la liste est sans fin. Impuissantes à enrayer le phénomène, les autorités espèrent qu'il s'éteindra de lui-même, à partir de 2010, lorsque entrera en vigueur l'accord de libre-échange entre le Maroc et l'Union européenne. Les produits achetés à Ceuta ou à Melilla devraient alors cesser d'être compétitifs. Quant au cannabis, cela fait plusieurs siècles qu'il est cultivé dans le Rif. Les premières plantations seraient apparues au VIIe siècle, dans le sillage de la conquête arabe, dans la région d'Al-Hoceima. Vers 1890, le sultan Hassan Ier confirme l'autorisation de cultiver le kif dans cinq hameaux appartenant aux tribus des Ketama et des Beni Khaled. Mais, entre 1993 et 2003, les plantations ont triplé de superficie. Au point que le Maroc est aujourd'hui, grâce au Rif, le premier producteur mondial. Selon une enquête réalisée l'an dernier par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), en partenariat avec les autorités marocaines, les surfaces cultivées s'étendraient sur plus de 130 000 hectares, soit le quart environ de la surface agricole utile. Elles fourniraient plus de la moitié de leurs revenus à quelque 800 000 personnes. Il faut dire que la rentabilité du cannabis est sans commune mesure avec celle des autres cultures: il rapporte de 2 à 8 fois plus que le figuier, de 4 à 17 fois plus que la vigne ou l'olivier, de 12 à 46 fois plus que les céréales. Pourtant, les paysans rifains n'empochent qu'une petite partie de l'argent du kif: 200 millions d'euros, soit 1,57% du PIB marocain, sur un revenu total estimé à près de 10 milliards d'euros. Le reste vient grossir les plus-values des réseaux de trafiquants, en Europe notamment.
«L'argent, ce sont les commerçants qui le gagnent, bien plus que nous, les fellahs.» Hocine possède une exploitation d'une cinquantaine d'hectares à Ketama. «Ici, dit-il, on cultive le cannabis depuis toujours, de père en fils.» Les 500 kilos qu'il récolte lui permettent de produire environ 50 kilos de résine. Comme la plupart des paysans de la région, il assure lui-même la transformation. Après nous avoir servi un thé à la menthe brûlant, il répète pour nous les gestes qui vont permettre d' «extraire» le pollen qui sera ensuite pressé en plaquettes: égrener l'herbe sèche, puis tamiser, en frottant doucement sur une toile tendue au-dessus d'un récipient. Plus la toile est fine, meilleure sera la qualité. Hocine n'a pas de machine à presser. Il apporte sa production dans un «atelier» spécialisé à quelques kilomètres de sa ferme. Deux jeunes hommes y actionnent une presse artisanale bricolée avec un cric de voiture. Qui l'achète? «Des Rifains de Tanger», dit Hocine. «Ils s'entendent avec un producteur, qui se charge de ramasser chez les autres.» Seuls les trafiquants ont en effet les moyens d' «acheter la route»... Il y a quelque temps, une délégation est venue à Ketama «avec des gens de l'ONU». Les paysans se sont vu conseiller de faire plutôt du pommier ou de l'olivier. «Mais, ici, il n'y a que le kif qui pousse.» Le père, lui, se souvient qu'une année, avant l'indépendance, les Espagnols avaient brûlé les récoltes. Il regarde par la fenêtre, en direction des champs et de la pluie qui n'a pas cessé de tomber depuis le début de la journée. «Cette année, soupire-t-il, le kif est en retard. Il nous faudrait du soleil.»
«On ne réglera pas le problème par la répression»: les autorités marocaines, qui savent que la culture du cannabis assure la survie d'une frange importante de la population, s'efforcent, pour l'heure, de pratiquer ce qu'elles appellent une «politique de containment». Il s'agit surtout de faire en sorte que les surfaces cultivées ne s'étendent pas davantage. Car le cannabis est aujourd'hui le principal facteur de déforestation dans le Nord marocain. Les paysans défrichent la forêt pour bénéficier d'un sol riche en humus... et en endroits discrets. Dans les environs de Chefchaouen, notamment autour du lac de Talombot, on peut voir, à flanc de montagne, des trouées brunes dans la forêt: autant de parcelles fraîchement labourées et plantées. «On ne pourra pas remplacer le cannabis du jour au lendemain. Mais il faut sensibiliser les gens aux problèmes que pose la déforestation, les inciter, progressivement, à produire aussi autre chose.» Animateur de l'association Talassentane pour l'environnement et le développement, Ahmed Achernan reconnaît qu'il s'agit là d'une gageure, vu que le haschisch permet aux paysans de la région d'avoir un revenu moyen de 50 000 dirhams (5 000 euros) par an, soit le double de ce que gagne au Maroc un petit fonctionnaire! Son association a mis sur pied plusieurs projets alternatifs: distribution de ruches pour le développement de l'apiculture, élevage de lapins ou de chèvres. Chefchaouen dispose d'une fromagerie qui traite le lait de chèvre et dont les capacités de production pourraient doubler. Reste le tourisme rural, qui est le grand espoir de ceux qui voudraient sortir de l'économie du cannabis. La région, splendide, offre de nombreuses possibilités de randonnée. Elle est, depuis peu, considérée comme une «zone pilote» par le ministère du Tourisme. Mais elle n'est pas très facile d'accès, et l'on retrouve, là, le problème des infrastructures et de l'enclavement du Rif.
Les choses pourraient changer. Une Agence pour le développement du Nord a été créée en 1996. Critiquée pour son inertie par les gens du Rif, elle a néanmoins quelques réalisations à son actif, comme l'élargissement des capacités d'accueil du port d'Al-Hoceima et l'ouverture d'une ligne le reliant à l'Espagne. Elle a aussi ressorti des cartons un vieux projet, devenu pour les Rifains un véritable serpent de mer: la construction d'une «rocade méditerranéenne», qui relierait Tanger à Saïdia en longeant le littoral jusqu'à Al-Hoceima. «Il y a des projets en cours, même s'ils sont encore dans une phase d'études, assure Mohammed Boudra, maire d'Al-Hoceima. Les gens ne voient rien venir, mais moi, si.» Il y a surtout, depuis l'avènement de Mohammed VI, un intérêt nouveau de la monarchie pour cette région. C'est aux Rifains que le roi avait réservé, en octobre 1999, son premier déplacement officiel dans le royaume. Il avait, à cette occasion, créé la surprise en accordant, lors de son passage à Al-Hoceima, une audience au fils d'Abdelkrim, Saïd ben Mohammed ben Abdelkrim. Le souverain séjourne souvent à Tanger, dont il a pratiquement fait sa capitale d'été, ou à Tétouan, où il possède une villa en bord de mer. Et le développement du Rif fait aujourd'hui partie des priorités affichées par le Palais. Un effet d'annonce qui exprime aussi une volonté de corriger les erreurs du passé. «Il y a, commente un haut fonctionnaire, un complexe de l'Etat central à l'égard du Rif. L'Etat veut à tout prix montrer que cette région n'est plus mal aimée. Et les Rifains, eux, font du chantage affectif...»
Les descendants d'Abdelkrim veulent des routes et des emplois. La «région rebelle» demande aujourd'hui à l'Etat de s'occuper d'elle. Et à son roi de la dorloter.
«Les plantations de Kif fourniraient plus de la moitié de leurs revenus à quelque 800 000 personnes»
Tétouan, l'ancienne capitale du protectorat espagnol, garde une certaine nostalgie de cette époque et de sa splendeur passée. «Il y avait des industries, des commerces. Tétouan était en fait la deuxième ville du Maroc, derrière Casablanca, pour son importance économique. Après l'indépendance, le déclin a été total. Aujourd'hui, c'est une agglomération qui ne vit plus que de la contrebande et de la drogue», déplore M'hammed Benaboud, historien et vice- président de l'association Tétouan Asmir.
C'est en fait tout le Rif, si longtemps livré à lui-même, qui vit de la contrebande et de la drogue. Ils seraient chaque jour 30 000 à franchir la frontière pour se rendre à Ceuta, et 50 000 à Melilla. Tous ou presque sont de petits passeurs qui vont s'approvisionner dans les zones franches des deux enclaves espagnoles en produits qui iront ensuite fournir les souks de la région, voire de certaines grandes villes marocaines. Electroménager, vêtements, produits de toilette, plaques de chocolat ou couches-culottes, alcools ou cigarettes: la liste est sans fin. Impuissantes à enrayer le phénomène, les autorités espèrent qu'il s'éteindra de lui-même, à partir de 2010, lorsque entrera en vigueur l'accord de libre-échange entre le Maroc et l'Union européenne. Les produits achetés à Ceuta ou à Melilla devraient alors cesser d'être compétitifs. Quant au cannabis, cela fait plusieurs siècles qu'il est cultivé dans le Rif. Les premières plantations seraient apparues au VIIe siècle, dans le sillage de la conquête arabe, dans la région d'Al-Hoceima. Vers 1890, le sultan Hassan Ier confirme l'autorisation de cultiver le kif dans cinq hameaux appartenant aux tribus des Ketama et des Beni Khaled. Mais, entre 1993 et 2003, les plantations ont triplé de superficie. Au point que le Maroc est aujourd'hui, grâce au Rif, le premier producteur mondial. Selon une enquête réalisée l'an dernier par l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), en partenariat avec les autorités marocaines, les surfaces cultivées s'étendraient sur plus de 130 000 hectares, soit le quart environ de la surface agricole utile. Elles fourniraient plus de la moitié de leurs revenus à quelque 800 000 personnes. Il faut dire que la rentabilité du cannabis est sans commune mesure avec celle des autres cultures: il rapporte de 2 à 8 fois plus que le figuier, de 4 à 17 fois plus que la vigne ou l'olivier, de 12 à 46 fois plus que les céréales. Pourtant, les paysans rifains n'empochent qu'une petite partie de l'argent du kif: 200 millions d'euros, soit 1,57% du PIB marocain, sur un revenu total estimé à près de 10 milliards d'euros. Le reste vient grossir les plus-values des réseaux de trafiquants, en Europe notamment.
«L'argent, ce sont les commerçants qui le gagnent, bien plus que nous, les fellahs.» Hocine possède une exploitation d'une cinquantaine d'hectares à Ketama. «Ici, dit-il, on cultive le cannabis depuis toujours, de père en fils.» Les 500 kilos qu'il récolte lui permettent de produire environ 50 kilos de résine. Comme la plupart des paysans de la région, il assure lui-même la transformation. Après nous avoir servi un thé à la menthe brûlant, il répète pour nous les gestes qui vont permettre d' «extraire» le pollen qui sera ensuite pressé en plaquettes: égrener l'herbe sèche, puis tamiser, en frottant doucement sur une toile tendue au-dessus d'un récipient. Plus la toile est fine, meilleure sera la qualité. Hocine n'a pas de machine à presser. Il apporte sa production dans un «atelier» spécialisé à quelques kilomètres de sa ferme. Deux jeunes hommes y actionnent une presse artisanale bricolée avec un cric de voiture. Qui l'achète? «Des Rifains de Tanger», dit Hocine. «Ils s'entendent avec un producteur, qui se charge de ramasser chez les autres.» Seuls les trafiquants ont en effet les moyens d' «acheter la route»... Il y a quelque temps, une délégation est venue à Ketama «avec des gens de l'ONU». Les paysans se sont vu conseiller de faire plutôt du pommier ou de l'olivier. «Mais, ici, il n'y a que le kif qui pousse.» Le père, lui, se souvient qu'une année, avant l'indépendance, les Espagnols avaient brûlé les récoltes. Il regarde par la fenêtre, en direction des champs et de la pluie qui n'a pas cessé de tomber depuis le début de la journée. «Cette année, soupire-t-il, le kif est en retard. Il nous faudrait du soleil.»
«On ne réglera pas le problème par la répression»: les autorités marocaines, qui savent que la culture du cannabis assure la survie d'une frange importante de la population, s'efforcent, pour l'heure, de pratiquer ce qu'elles appellent une «politique de containment». Il s'agit surtout de faire en sorte que les surfaces cultivées ne s'étendent pas davantage. Car le cannabis est aujourd'hui le principal facteur de déforestation dans le Nord marocain. Les paysans défrichent la forêt pour bénéficier d'un sol riche en humus... et en endroits discrets. Dans les environs de Chefchaouen, notamment autour du lac de Talombot, on peut voir, à flanc de montagne, des trouées brunes dans la forêt: autant de parcelles fraîchement labourées et plantées. «On ne pourra pas remplacer le cannabis du jour au lendemain. Mais il faut sensibiliser les gens aux problèmes que pose la déforestation, les inciter, progressivement, à produire aussi autre chose.» Animateur de l'association Talassentane pour l'environnement et le développement, Ahmed Achernan reconnaît qu'il s'agit là d'une gageure, vu que le haschisch permet aux paysans de la région d'avoir un revenu moyen de 50 000 dirhams (5 000 euros) par an, soit le double de ce que gagne au Maroc un petit fonctionnaire! Son association a mis sur pied plusieurs projets alternatifs: distribution de ruches pour le développement de l'apiculture, élevage de lapins ou de chèvres. Chefchaouen dispose d'une fromagerie qui traite le lait de chèvre et dont les capacités de production pourraient doubler. Reste le tourisme rural, qui est le grand espoir de ceux qui voudraient sortir de l'économie du cannabis. La région, splendide, offre de nombreuses possibilités de randonnée. Elle est, depuis peu, considérée comme une «zone pilote» par le ministère du Tourisme. Mais elle n'est pas très facile d'accès, et l'on retrouve, là, le problème des infrastructures et de l'enclavement du Rif.
Les choses pourraient changer. Une Agence pour le développement du Nord a été créée en 1996. Critiquée pour son inertie par les gens du Rif, elle a néanmoins quelques réalisations à son actif, comme l'élargissement des capacités d'accueil du port d'Al-Hoceima et l'ouverture d'une ligne le reliant à l'Espagne. Elle a aussi ressorti des cartons un vieux projet, devenu pour les Rifains un véritable serpent de mer: la construction d'une «rocade méditerranéenne», qui relierait Tanger à Saïdia en longeant le littoral jusqu'à Al-Hoceima. «Il y a des projets en cours, même s'ils sont encore dans une phase d'études, assure Mohammed Boudra, maire d'Al-Hoceima. Les gens ne voient rien venir, mais moi, si.» Il y a surtout, depuis l'avènement de Mohammed VI, un intérêt nouveau de la monarchie pour cette région. C'est aux Rifains que le roi avait réservé, en octobre 1999, son premier déplacement officiel dans le royaume. Il avait, à cette occasion, créé la surprise en accordant, lors de son passage à Al-Hoceima, une audience au fils d'Abdelkrim, Saïd ben Mohammed ben Abdelkrim. Le souverain séjourne souvent à Tanger, dont il a pratiquement fait sa capitale d'été, ou à Tétouan, où il possède une villa en bord de mer. Et le développement du Rif fait aujourd'hui partie des priorités affichées par le Palais. Un effet d'annonce qui exprime aussi une volonté de corriger les erreurs du passé. «Il y a, commente un haut fonctionnaire, un complexe de l'Etat central à l'égard du Rif. L'Etat veut à tout prix montrer que cette région n'est plus mal aimée. Et les Rifains, eux, font du chantage affectif...»
Les descendants d'Abdelkrim veulent des routes et des emplois. La «région rebelle» demande aujourd'hui à l'Etat de s'occuper d'elle. Et à son roi de la dorloter.