Cannabis au rayon pharmacie
Posté: 21 Jan 2013, 03:38
En France, la plante reste sulfureuse.
Le cannabis thérapeutique pourrait être bientôt
testé et reconnu grâce à des travaux britanniques.
En France, le cannabis thérapeutique fait encore
peur. Pour la majorité et le gouvernement de
droite, c'est une drogue, pas un médicament. D'où
la crainte qu'une utilisation thérapeutique ne
banalise son usage récréatif. Résultat : la
recherche clinique est au point mort. Pour les
malades du sida, de l'hépatite C ou de la
sclérose en plaques, en obtenir légalement
ressemble à un parcours du combattant.
En septembre 1999, l'Agence française pour la
sécurité sanitaire des produits de santé
(Afssaps) lui a donné la plus restrictive des
autorisations temporaires d'utilisation : l'ATU
nominative. «On ne peut le prescrire que dans un
cadre hospitalier strict. L'autorisation est
donnée à une personne désignée et il faut
attester d'une bibliographie allant dans le sens
du diagnostic : par exemple, justifier de ses
propriétés antiémétiques (contre les nausées et
vomissements) pour une personne souffrant des
effets secondaires de sa chimiothérapie, explique
le Dr Bertrand Lebeau, de l'hôpital Saint-Antoine
à Paris. Ce cadre est tellement rigide que les
patients se voient contraints de l'acquérir sur
le marché noir. Une procédure assouplie et
compassionnelle doit être introduite.»
Long délai. «Il faut remplir quantité de
documents, avec un délai minimum de trois
semaines, ce qui fait long pour quelqu'un qui ne
tient pas debout à cause d'une sclérose ou qui
est en soins terminaux, confirme le Dr Laurent
Gourarier, de l'hôpital Georges-Pompidou. Reste
ensuite à attendre que les laboratoires étrangers
obtiennent l'autorisation d'exporter les
médicaments.» Deux gélules américaines de dérivés
de cannabis sont sur le marché : le Marinol (38
patients ont obtenu une ATU en quatre ans) et le
Cesamet (un seul).
Et encore, selon les patients, le Marinol ferait
trop planer : les effets du cannabis «avalé» sont
en effet très différents de la fumette. Le
cannabis étant lipophile, il passe rapidement la
barrière intestinale et se stocke dans les
graisses du corps : d'où des effets qui peuvent
durer jusqu'à douze heures ! «Pour l'instant, la
galénique pose problème : le cannabis fumable est
cancérigène et les effets de son ingestion
aléatoires», résume Bertrand Lebeau.
L'annonce, en 2001 par Bernard Kouchner, alors
ministre de la Santé, du lancement de quatre
programmes de recherche dans des laboratoires
publics est restée lettre morte. Le vent pourrait
cependant tourner, notamment sous l'influence de
travaux récents venus d'outre-Manche. Une étude
d'envergure réalisée sur 667 Britanniques
atteints de sclérose en plaques et publiée le 8
novembre par The Lancet a conclu à l'efficacité
du cannabis sur de nombreux symptômes
«subjectifs» : douleurs, contractures, troubles
du sommeil et spasmes. En revanche, les mesures
objectives des contractures par les médecins
restaient inchangées. Discordance qui pourrait
s'expliquer par l'utilisation de doses trop
faibles ou par un effet trop modéré pour être
détecté par l'examen médical.
Hépatite C. En France, à l'hôpital de la
Pitié-Salpêtrière, le Pr Catherine Lubetski
espère obtenir avant l'été un feu vert pour
tester le Marinol sur des personnes souffrant de
sclérose en plaques. Laurent Gourarier s'apprête
à présenter au comité d'éthique de l'hôpital
Georges-Pompidou son projet de test sur les
malades de l'hépatite C (VHC). «J'ai remarqué
que, parmi mes patients, ceux qui fumaient du
cannabis perdaient moins de poids et supportaient
mieux leur bithérapie», dit ce praticien, qui
place tous ses espoirs dans l'annonce par le
laboratoire GW Pharmaceuticals de l'autorisation
imminente par les autorités sanitaires
britanniques d'un spray au cannabis, le Sativex.
«Nous sommes confiants. Nous devrions obtenir
l'autorisation de mise sur le marché (AMM) entre
le mois d'avril et le mois de juin», confirme
Marc Rogerson, porte-parole du laboratoire.
«Vaporisé dans les tissus rouges de la bouche, il
passe vite dans le sang. Sa formule moitié THC
(cannabinoïde réputé "planant", ndlr), moitié CBD
(relaxant) agit comme un traitement antidouleur à
petites doses, avant que le patient ne soit
"high".» Le Sativex, assure le laboratoire, ne
fait pas planer comme un joint. Il ne rend ni
euphorique ni dysphorique si l'on s'en vaporise
trop dans la bouche. Le dossier scientifique est
béton : «Nous avons testé le Sativex sur 500
patients, avec des résultats positifs», assure le
laboratoire.
Obstacles. En cas de feu vert britannique, GW
fera jouer la «procédure de reconnaissance
mutuelle» pour obtenir l'autorisation dans
d'autres pays d'Europe. Mais, en France,
l'Afssaps reste circonspecte. «Avec le cannabis,
la marge thérapeutique est étroite entre les
effets sur la douleur et ceux indésirables comme
les hallucinations ou la dysphorie. Bien d'autres
médicaments sont beaucoup plus efficaces. Avec un
spray, le "high" risque en outre d'arriver plus
facilement», estime, dubitatif, le Dr Michel
Mallaret, président de la Commission nationale
des stupéfiants de l'Afssaps. Avant d'être
autorisé en France, le Sativex devra donc
surmonter beaucoup d'obstacles scientifiques et
idéologiques. «Son produit actif est un
stupéfiant, et chaque pays a le droit de
surveiller ce type de substance», prévient ce
ponte de la pharmacopée nationale.
21.02.2004 - ECOIFFIER Matthieu - Libération
Le cannabis thérapeutique pourrait être bientôt
testé et reconnu grâce à des travaux britanniques.
En France, le cannabis thérapeutique fait encore
peur. Pour la majorité et le gouvernement de
droite, c'est une drogue, pas un médicament. D'où
la crainte qu'une utilisation thérapeutique ne
banalise son usage récréatif. Résultat : la
recherche clinique est au point mort. Pour les
malades du sida, de l'hépatite C ou de la
sclérose en plaques, en obtenir légalement
ressemble à un parcours du combattant.
En septembre 1999, l'Agence française pour la
sécurité sanitaire des produits de santé
(Afssaps) lui a donné la plus restrictive des
autorisations temporaires d'utilisation : l'ATU
nominative. «On ne peut le prescrire que dans un
cadre hospitalier strict. L'autorisation est
donnée à une personne désignée et il faut
attester d'une bibliographie allant dans le sens
du diagnostic : par exemple, justifier de ses
propriétés antiémétiques (contre les nausées et
vomissements) pour une personne souffrant des
effets secondaires de sa chimiothérapie, explique
le Dr Bertrand Lebeau, de l'hôpital Saint-Antoine
à Paris. Ce cadre est tellement rigide que les
patients se voient contraints de l'acquérir sur
le marché noir. Une procédure assouplie et
compassionnelle doit être introduite.»
Long délai. «Il faut remplir quantité de
documents, avec un délai minimum de trois
semaines, ce qui fait long pour quelqu'un qui ne
tient pas debout à cause d'une sclérose ou qui
est en soins terminaux, confirme le Dr Laurent
Gourarier, de l'hôpital Georges-Pompidou. Reste
ensuite à attendre que les laboratoires étrangers
obtiennent l'autorisation d'exporter les
médicaments.» Deux gélules américaines de dérivés
de cannabis sont sur le marché : le Marinol (38
patients ont obtenu une ATU en quatre ans) et le
Cesamet (un seul).
Et encore, selon les patients, le Marinol ferait
trop planer : les effets du cannabis «avalé» sont
en effet très différents de la fumette. Le
cannabis étant lipophile, il passe rapidement la
barrière intestinale et se stocke dans les
graisses du corps : d'où des effets qui peuvent
durer jusqu'à douze heures ! «Pour l'instant, la
galénique pose problème : le cannabis fumable est
cancérigène et les effets de son ingestion
aléatoires», résume Bertrand Lebeau.
L'annonce, en 2001 par Bernard Kouchner, alors
ministre de la Santé, du lancement de quatre
programmes de recherche dans des laboratoires
publics est restée lettre morte. Le vent pourrait
cependant tourner, notamment sous l'influence de
travaux récents venus d'outre-Manche. Une étude
d'envergure réalisée sur 667 Britanniques
atteints de sclérose en plaques et publiée le 8
novembre par The Lancet a conclu à l'efficacité
du cannabis sur de nombreux symptômes
«subjectifs» : douleurs, contractures, troubles
du sommeil et spasmes. En revanche, les mesures
objectives des contractures par les médecins
restaient inchangées. Discordance qui pourrait
s'expliquer par l'utilisation de doses trop
faibles ou par un effet trop modéré pour être
détecté par l'examen médical.
Hépatite C. En France, à l'hôpital de la
Pitié-Salpêtrière, le Pr Catherine Lubetski
espère obtenir avant l'été un feu vert pour
tester le Marinol sur des personnes souffrant de
sclérose en plaques. Laurent Gourarier s'apprête
à présenter au comité d'éthique de l'hôpital
Georges-Pompidou son projet de test sur les
malades de l'hépatite C (VHC). «J'ai remarqué
que, parmi mes patients, ceux qui fumaient du
cannabis perdaient moins de poids et supportaient
mieux leur bithérapie», dit ce praticien, qui
place tous ses espoirs dans l'annonce par le
laboratoire GW Pharmaceuticals de l'autorisation
imminente par les autorités sanitaires
britanniques d'un spray au cannabis, le Sativex.
«Nous sommes confiants. Nous devrions obtenir
l'autorisation de mise sur le marché (AMM) entre
le mois d'avril et le mois de juin», confirme
Marc Rogerson, porte-parole du laboratoire.
«Vaporisé dans les tissus rouges de la bouche, il
passe vite dans le sang. Sa formule moitié THC
(cannabinoïde réputé "planant", ndlr), moitié CBD
(relaxant) agit comme un traitement antidouleur à
petites doses, avant que le patient ne soit
"high".» Le Sativex, assure le laboratoire, ne
fait pas planer comme un joint. Il ne rend ni
euphorique ni dysphorique si l'on s'en vaporise
trop dans la bouche. Le dossier scientifique est
béton : «Nous avons testé le Sativex sur 500
patients, avec des résultats positifs», assure le
laboratoire.
Obstacles. En cas de feu vert britannique, GW
fera jouer la «procédure de reconnaissance
mutuelle» pour obtenir l'autorisation dans
d'autres pays d'Europe. Mais, en France,
l'Afssaps reste circonspecte. «Avec le cannabis,
la marge thérapeutique est étroite entre les
effets sur la douleur et ceux indésirables comme
les hallucinations ou la dysphorie. Bien d'autres
médicaments sont beaucoup plus efficaces. Avec un
spray, le "high" risque en outre d'arriver plus
facilement», estime, dubitatif, le Dr Michel
Mallaret, président de la Commission nationale
des stupéfiants de l'Afssaps. Avant d'être
autorisé en France, le Sativex devra donc
surmonter beaucoup d'obstacles scientifiques et
idéologiques. «Son produit actif est un
stupéfiant, et chaque pays a le droit de
surveiller ce type de substance», prévient ce
ponte de la pharmacopée nationale.
21.02.2004 - ECOIFFIER Matthieu - Libération