Raffarin ne dissipe pas l'écran de fumée autour du pétard
Il n'a pas tranché sur la contravention qui sera appliquée.
Par Matthieu ECOIFFIER
mardi 23 septembre 2003
Rondement habile ou dangereusement indécis ? Très attendu sur la question des drogues lors de son intervention sur M6 dimanche soir, Jean-Pierre Raffarin a produit un discours assez flou pour contenter tout le monde. Au risque de décevoir ceux qui attendaient des arbitrages précis. Même au sein du gouvernement.
Un bras de fer oppose depuis l'été ministères répressifs et sanitaire sur la hauteur des amendes pour simple usage et sur les sanctions pour les récidivistes. Alternant la carotte surtout ne pas faire dans l'antijeunes et le bâton pas question d'apparaître comme laxiste face à son électorat conservateur le Premier ministre a ainsi martelé sa volonté de «maintenir l'interdit» sur la consommation de drogues, et notamment du cannabis : «On ne dépénalise pas, on gradue les peines.» Au nom de l'efficacité «la prison pour le cannabis, les jeunes n'y croient pas» Raffarin s'est engagé à supprimer l'incarcération pour simple usage dans la future loi réformant celle de 1970 sur les stupéfiants. Au bénéfice d'un système d'amendes. Mais lesquelles ? Une contravention de classe 5 (jusqu'à 1 500 euros devant le tribunal de police), comme le défendent les ministères de l'Intérieur, de la Justice (et même des Affaires étrangères); ou une amende forfaitaire de classe 3 (68 euros) ou 4 (135 euros), comme le prônent le ministère de la Santé et la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt)?
«Il faut arrêter de traiter toujours ces questions avec la répression, il faut [...] que l'on puisse expliquer aux gens qu'il peut y avoir une contravention modeste pour le premier fumeur (sic), a affirmé le Premier ministre. Mais pour le trafiquant et pour ceux qui incitent à fumer du cannabis, il y a la prison.» Et Raffarin, oubliant que la loi ne peut faire la distinction qu'entre drogues licites et illicites, de conclure : «Aucune indulgence, simplement on ne mélange pas celui qui fume du crack avec celui qui fume du cannabis.»
Hier, à la Mildt où l'on comprenait le terme «modeste» comme rimant avec «amende forfaitaire», on se félicitait d'avoir emporté l'adhésion de Matignon. «Compte tenu de l'engorgement des tribunaux de police, une contravention de classe 5 aboutirait à une convocation dans un délai de dix mois... on est loin de l'efficacité souhaitée», y plaidait-on. Au ministère de l'Intérieur, on renvoyait perfidement la balle à Matignon. «Ce débat est dans la presse depuis quinze jours. Le Premier ministre a choisi de ne pas donner de précision. Tout dépend à quel niveau on situe la modestie. En clair, ce point n'est pas tranché», y confirmait-on.
Fichier. L'enjeu est essentiel. «68 euros pour une première consommation, ce serait un pas vers une dépénalisation», notait hier Alain Morel, le président de la Fédération française d'addictologie. «Mais quid des récidivistes ?» Selon nos informations, le ministère de l'Intérieur veut la création d'un «fichier des précédents» où seraient consignées les amendes, même forfaitaires et acquittées. Au bout de combien d'interpellations dans l'année finira-t-on en prison ? Et à partir de quelle quantité de drogues sera-t-on considéré comme «simple usager» ou «revendeur» ? Autant de points toujours en attente d'arbitrage.
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