Jérôme Expuesto dans le Monde
Posté: 19 Aoû 2003, 20:37
"Ancien" aide-éducateur, pas vraiment, il est en formation...
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,32 ... 8-,00.html
Un ancien aide-éducateur libéré après un an de prison raconte sa détention
LE MONDE18.08.03 13h15
Ce jeune homme, qui détenait 75 grammes de cannabis à son domicile, avait été condamné à trois ans de prison pour "acquisition, transport, détention et offre ou cession" de stupéfiants.
Lyon de notre envoyée spéciale
La prison a fait vaciller leur univers. Cette famille sans histoire de la moyenne bourgeoisie lyonnaise a vu, abasourdie, son fils unique condamné à trois ans de prison "comme un truand".
Un choc vécu par un solide gaillard de 30 ans au regard bleu, qui témoigne, quelques jours après sa libération : "En prison, il n'y a que des pauvres. Au final, ce sont les gens les mieux soutenus qui vivent le mieux." Le 23 juillet, la famille Expuesto a retrouvé son fils, Jérôme. Il a obtenu une libération conditionnelle après douze mois et vingt jours d'emprisonnement à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône).
Le 2 novembre 1998, huit gendarmes perquisitionnent au domicile de ses parents à la Tour-de-Salvagny, dans la banlieue résidentielle de Lyon. Ils y trouvent 75 grammes de haschich. A l'issue de 96 heures de garde à vue, Jérôme, alors aide-éducateur dans un collège, reconnaît avoir procédé à des achats groupés de cannabis pour ses copains. Les gendarmes calculent que de 1994 à 1998, il en a acquis et vendu 26 kg, pour un bénéfice supposé de 37 000 francs.
PÉTITIONS DE SOUTIEN
En 2000, la cour d'appel alourdit la condamnation prononcée en première instance par le tribunal de Villefranche-sur-Saône : trois ans de prison ferme pour "acquisition, transport, détention, offre ou cession" de cannabis. Une peine que la famille estime disproportionnée. "On est toujours en train de se poser la question : pourquoi trois ans ?, confie Guy, le père de Jérôme. Pour nous, la sévérité a pris le pas sur la loi." Ni les pétitions de soutien lancées par ses parents, ni le pourvoi en cassation, ni la demande de grâce, ni le recours devant la Cour européenne des droits de l'homme n'ont changé le cours des choses.
Jérôme a découvert le monde de la prison avant de commencer à exécuter sa peine, en 1998, à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, où il a effectué quatre mois de détention provisoire. Il n'aime pas évoquer ce souvenir. Terré dans sa cellule de peur de rencontrer des dealers, Jérôme s'enferme dans la lecture, "quelque chose qui fasse marcher la tête". Autour de lui, "les gars font du yoyo entre leurs cellules toute la journée. Ils crachent, jettent tout par la fenêtre, attirant au pied des murs les rats, qui se battent et couinent, la nuit".
L'arrivée à la prison Saint-Joseph de Lyon, début juillet 2002, sera un autre choc. Au moment de son incarcération, Jérôme vient d'entamer sa troisième année de formation d'éducateur spécialisé. Il est placé en "cellule arrivant", dans le couloir central. Quand ils passent, les détenus donnent des coups de pied dans la porte ou grognent à l'adresse du nouveau venu. Les locaux sont vétustes.
Des cinq mois qui suivent, Jérôme conserve pourtant l'image d'une solidarité entre les détenus et de rapports "humains" avec les surveillants. Il partage d'abord sa cellule de 9 m2 avec un Moldave et un Géorgien, qui ont beaucoup circulé dans les prisons européennes. Il cohabite aussi avec un Chinois sans papiers, puis avec deux Maghrébins démunis. "On se dit alors qu'on vit dans des univers aseptisés et qu'on ne connaît pas les réalités de la vie, raconte Jérôme. Tous ces gars sont là parce qu'ils sont pauvres et non, comme on nous le dit, parce qu'ils ont, individuellement, des problèmes psychologiques. Ils sont dans le système D dans la vie, comme dans la prison."
Révoltés et choqués par la misère sociale qu'ils découvrent aux parloirs, les parents de Jérôme se font aussi, pendant cette période, "du souci" pour leur fils. "Le viol. Le crime. La promiscuité qui fait que certains détenus pètent les plombs. La violence, alors que Jérôme n'est pas un violent" : voilà ce qui a rongé Guy.
Cet ingénieur a pris sa retraite plus tôt que prévu pour se consacrer à son fils. "Nous sommes des privilégiés", répète-t-il souvent. Heureusement, Jérôme est tombé "sur des gars sympas". Au long de sa détention, précise celui-ci, il a "évité ces gars de 18-22 ans, qui ont arrêté l'école en 4e et vivent dans la pulsion, la violence constante".
Transféré à Villefranche en décembre 2002, dans un bâtiment plus moderne, Jérôme obtient une cellule individuelle. Mais il souffre du bruit permanent. "Les gens tapent sur les murs pour communiquer. Certains cognent à leur porte. Des fenêtres claquent toute la nuit. Ça résonne." Jérôme dénonce aussi les rapports déshumanisés entretenus par l'administration pénitentiaire : "des bureaucrates". Il n'y a, pense-t-il aujourd'hui, "aucune rencontre entre la justice et le détenu". Les actions de réinsertion ne profitent qu'à une minorité. "On occupe les gens, avec des stages du type "apprendre à monter son entreprise" ou du travail en atelier qui consiste à mettre des enveloppes sous pli ou à couper des gousses d'ail."
Sa vie trouve néanmoins un nouveau rythme au centre de documentation de la prison, où il prépare sa première année de DEUG de sociologie par correspondance. En juin, il l'a validée avec la mention très bien. "En détention, j'ai appris plein de trucs sur la criminalité. Faire ma socio m'a permis de me protéger."
Autour de lui, Jérôme rencontre des "vols avec violence", des "rebeus condamnés pour des bagarres", des "trafics de drogue". Les autres le prennent pour un prof, avec ses cahiers et ses livres. Ils ne comprennent pas ce que Jérôme fait là et en rient avec lui : "Certains se font serrer pour 35 kg de drogue, gagnent beaucoup d'argent et prennent moins que moi !"
ULTIME FOUILLE À CORPS
Le jour de sa sortie, le surveillant est entré comme d'habitude à 7 heures dans la cellule, lui annonçant un parloir à 16 heures. Un dernier coup de panique. Dans la rue, Guy a attendu près de trois heures son fils car nul n'a pu lui préciser l'heure de sa libération. Une fois dehors, après une ultime fouille à corps, la première chose dont Jérôme a eu envie fut de se laver.
Il affiche désormais son optimisme. S'il a grossi et s'est affaibli, il n'a "jamais déprimé". "J'ai eu le sentiment qu'on voulait me désinsérer et qu'on n'y est pas arrivé." Mardi 5 août, il devait reprendre le stage qui doit lui permettre de valider sa formation d'éducateur, auprès d'une association d'aide aux prostituées, Cabiria. "C'est un peu le même public qu'en prison : pas des bourgeois."
Nathalie Guibert
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 19.08.03
© Le Monde 2003
http://www.lemonde.fr/article/0,5987,32 ... 8-,00.html
Un ancien aide-éducateur libéré après un an de prison raconte sa détention
LE MONDE18.08.03 13h15
Ce jeune homme, qui détenait 75 grammes de cannabis à son domicile, avait été condamné à trois ans de prison pour "acquisition, transport, détention et offre ou cession" de stupéfiants.
Lyon de notre envoyée spéciale
La prison a fait vaciller leur univers. Cette famille sans histoire de la moyenne bourgeoisie lyonnaise a vu, abasourdie, son fils unique condamné à trois ans de prison "comme un truand".
Un choc vécu par un solide gaillard de 30 ans au regard bleu, qui témoigne, quelques jours après sa libération : "En prison, il n'y a que des pauvres. Au final, ce sont les gens les mieux soutenus qui vivent le mieux." Le 23 juillet, la famille Expuesto a retrouvé son fils, Jérôme. Il a obtenu une libération conditionnelle après douze mois et vingt jours d'emprisonnement à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône).
Le 2 novembre 1998, huit gendarmes perquisitionnent au domicile de ses parents à la Tour-de-Salvagny, dans la banlieue résidentielle de Lyon. Ils y trouvent 75 grammes de haschich. A l'issue de 96 heures de garde à vue, Jérôme, alors aide-éducateur dans un collège, reconnaît avoir procédé à des achats groupés de cannabis pour ses copains. Les gendarmes calculent que de 1994 à 1998, il en a acquis et vendu 26 kg, pour un bénéfice supposé de 37 000 francs.
PÉTITIONS DE SOUTIEN
En 2000, la cour d'appel alourdit la condamnation prononcée en première instance par le tribunal de Villefranche-sur-Saône : trois ans de prison ferme pour "acquisition, transport, détention, offre ou cession" de cannabis. Une peine que la famille estime disproportionnée. "On est toujours en train de se poser la question : pourquoi trois ans ?, confie Guy, le père de Jérôme. Pour nous, la sévérité a pris le pas sur la loi." Ni les pétitions de soutien lancées par ses parents, ni le pourvoi en cassation, ni la demande de grâce, ni le recours devant la Cour européenne des droits de l'homme n'ont changé le cours des choses.
Jérôme a découvert le monde de la prison avant de commencer à exécuter sa peine, en 1998, à la maison d'arrêt de Villefranche-sur-Saône, où il a effectué quatre mois de détention provisoire. Il n'aime pas évoquer ce souvenir. Terré dans sa cellule de peur de rencontrer des dealers, Jérôme s'enferme dans la lecture, "quelque chose qui fasse marcher la tête". Autour de lui, "les gars font du yoyo entre leurs cellules toute la journée. Ils crachent, jettent tout par la fenêtre, attirant au pied des murs les rats, qui se battent et couinent, la nuit".
L'arrivée à la prison Saint-Joseph de Lyon, début juillet 2002, sera un autre choc. Au moment de son incarcération, Jérôme vient d'entamer sa troisième année de formation d'éducateur spécialisé. Il est placé en "cellule arrivant", dans le couloir central. Quand ils passent, les détenus donnent des coups de pied dans la porte ou grognent à l'adresse du nouveau venu. Les locaux sont vétustes.
Des cinq mois qui suivent, Jérôme conserve pourtant l'image d'une solidarité entre les détenus et de rapports "humains" avec les surveillants. Il partage d'abord sa cellule de 9 m2 avec un Moldave et un Géorgien, qui ont beaucoup circulé dans les prisons européennes. Il cohabite aussi avec un Chinois sans papiers, puis avec deux Maghrébins démunis. "On se dit alors qu'on vit dans des univers aseptisés et qu'on ne connaît pas les réalités de la vie, raconte Jérôme. Tous ces gars sont là parce qu'ils sont pauvres et non, comme on nous le dit, parce qu'ils ont, individuellement, des problèmes psychologiques. Ils sont dans le système D dans la vie, comme dans la prison."
Révoltés et choqués par la misère sociale qu'ils découvrent aux parloirs, les parents de Jérôme se font aussi, pendant cette période, "du souci" pour leur fils. "Le viol. Le crime. La promiscuité qui fait que certains détenus pètent les plombs. La violence, alors que Jérôme n'est pas un violent" : voilà ce qui a rongé Guy.
Cet ingénieur a pris sa retraite plus tôt que prévu pour se consacrer à son fils. "Nous sommes des privilégiés", répète-t-il souvent. Heureusement, Jérôme est tombé "sur des gars sympas". Au long de sa détention, précise celui-ci, il a "évité ces gars de 18-22 ans, qui ont arrêté l'école en 4e et vivent dans la pulsion, la violence constante".
Transféré à Villefranche en décembre 2002, dans un bâtiment plus moderne, Jérôme obtient une cellule individuelle. Mais il souffre du bruit permanent. "Les gens tapent sur les murs pour communiquer. Certains cognent à leur porte. Des fenêtres claquent toute la nuit. Ça résonne." Jérôme dénonce aussi les rapports déshumanisés entretenus par l'administration pénitentiaire : "des bureaucrates". Il n'y a, pense-t-il aujourd'hui, "aucune rencontre entre la justice et le détenu". Les actions de réinsertion ne profitent qu'à une minorité. "On occupe les gens, avec des stages du type "apprendre à monter son entreprise" ou du travail en atelier qui consiste à mettre des enveloppes sous pli ou à couper des gousses d'ail."
Sa vie trouve néanmoins un nouveau rythme au centre de documentation de la prison, où il prépare sa première année de DEUG de sociologie par correspondance. En juin, il l'a validée avec la mention très bien. "En détention, j'ai appris plein de trucs sur la criminalité. Faire ma socio m'a permis de me protéger."
Autour de lui, Jérôme rencontre des "vols avec violence", des "rebeus condamnés pour des bagarres", des "trafics de drogue". Les autres le prennent pour un prof, avec ses cahiers et ses livres. Ils ne comprennent pas ce que Jérôme fait là et en rient avec lui : "Certains se font serrer pour 35 kg de drogue, gagnent beaucoup d'argent et prennent moins que moi !"
ULTIME FOUILLE À CORPS
Le jour de sa sortie, le surveillant est entré comme d'habitude à 7 heures dans la cellule, lui annonçant un parloir à 16 heures. Un dernier coup de panique. Dans la rue, Guy a attendu près de trois heures son fils car nul n'a pu lui préciser l'heure de sa libération. Une fois dehors, après une ultime fouille à corps, la première chose dont Jérôme a eu envie fut de se laver.
Il affiche désormais son optimisme. S'il a grossi et s'est affaibli, il n'a "jamais déprimé". "J'ai eu le sentiment qu'on voulait me désinsérer et qu'on n'y est pas arrivé." Mardi 5 août, il devait reprendre le stage qui doit lui permettre de valider sa formation d'éducateur, auprès d'une association d'aide aux prostituées, Cabiria. "C'est un peu le même public qu'en prison : pas des bourgeois."
Nathalie Guibert
• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 19.08.03
© Le Monde 2003