Texte sur le rapport sénatorial (suite - 2/2)

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Texte sur le rapport sénatorial (suite - 2/2)

Messagepar Anonymous » 21 Jan 2013, 03:26

Réactionnaire

Sous une apparence " progressiste ", en supprimant la prison pour usage, du moins pour la première interpellation, car en cas de récidive rien n’aurait changé de ce côté-là, au profit d’une amende tournant autour de 1500 euros, les propositions sénatoriales et sa démarche générale est totalement réactionnaire et politique. Tout le long des auditions et du rapport, c’est bien certains aspects de la politique menée par Mme Maestracci et la MILDT qui sont visés, tout ce qui a pu être progressiste dans l’approche qui est remis en question, pour un retour franc et net aux vieilles pratiques et aux discours surannés sur les drogues en général, et sur le cannabis en général. Or s’il y a bien eu un timide changement durant cette période, c’est que les discours tenus jusque-là ne passaient plus du tout, ridiculisaient par ses exagérations toute tentative de prévention intelligente susceptible d’effets. On se souvient à ce titre d’un prospectus édité par la Mairie de Paris du temps où la droite y régnait sans entrave qui a fait rire tous les fumeurs et leurs proches par tant de caricatures.

L’un des responsables de la prévention de l’usage du cannabis de l’ancienne DGLDT, le Dr Bennahmou, alors que l’exagération et le catastrophisme étaient la règle concernant l’information sur le cannabis, avait dû reconnaître devant la commission Henrion que l’échec de la prévention était due à ces exagérations, qui faisaient qu’aucun jeune à qui cette prévention s’adressait n’avait cru la moindre ligne – si ce n’est que le risque légal... qui reste tout de même à distinguer de ceux du produit lui-même. Car bien entendu ce n’est pas la substance qui mène en prison, mais la seule loi de prohibition.

Ce genre de confusion volontaire autour des seules conséquences de la loi se retrouve d’ailleurs dans le rapport :

" b) Les dommages collatéraux du débat sur la légalisation : des vies gâchées

La commission d’enquête a été particulièrement sensible à l'observation faite par Maître Gérard Tcholakian, du Conseil national des barreaux, selon lequel la profession d'avocat doit faire le constat que “malheureusement, lorsqu’on est usager, on a souvent par nature tendance à basculer à un moment ou à un autre dans la notion de cession”. Or, ces jeunes “ne se rendent pas compte qu’ils entrent dans un processus, à partir de l'usage, qui va faire d’eux de vrais délinquants. Bon nombre de jeunes basculent dans le trafic parce qu'un jour quelqu’un va leur demander de le dépanner, puis qu’ils effectueront un achat groupé pour avoir de meilleurs prix...”. "

Ce constat, avec un peu d’objectivité, serait plutôt favorable pour la légalisation, d’ailleurs il fait partie des arguments des antiprohibitionnistes, car cela n’est que la conséquence du statut légal actuel du cannabis et n’a rien d’autre que la loi, contestée par le CIRC, comme seule et unique cause. " Il a ainsi dénoncé, poursuit le rapporteur, les intellectuels qui réclament un droit à l’usage et oublient de soutenir ces jeunes lorsqu’ils comparaissent devant un tribunal correctionnel. " Mais ce ne sont pas ces " intellectuels " (notons l’emploi péjoratif de ce mot, comme si l’intelligence était dangereuse pour la Cité) qui les défèrent devant les tribunaux, mais bien l’idéologie de ceux qui vilipendent ces " intellectuels " ! Ces " intellectuels " réclament exactement le contraire ! Et s’ils défendent de telles positions, c’est bien parce que des jeunes sont déférés sur ce prétexte, qu’ils sont scandalisés devant tant de gâchis, et défendre une opinion est la seule manière qu’ils ont pour les défendre ! Un retournement logique, et même chronologique, tout à fait à sa place dans cet ensemble général de manipulations de la réalité.

La confusion principale qui traverse de part en part ce rapport quand il s’agit de rejeter les propositions légalisationnistes, comme celles du CIRC, réside en faisant semblant d’avoir mal compris la question fondamentale du débat. La question centrale, en effet, n’est pas de savoir si le cannabis est bon ou mauvais pour son consommateur et la société, mais s’il est juste de poursuivre le fumeur de joints comme un délinquant, que la prison soit ou non prévue pour la sanction. La question concernant de savoir si le cannabis est bon, est un peu toxique, est très toxique, est mortel… n’est qu’une question accessoire dans le débat, dont les réponses conditionnent seulement les précautions à prendre en cas de légalisation. Mais en l’état, une fois remis les différents aspects négatifs du cannabis en perspective – ce à quoi les auteurs du rapport se sont refusés avec obstination –, celles-ci ne suffisent pas à justifier l’interdit pénal actuel ou proposé par ce rapport, et plus encore les sanctions présentes ou celles proposées par ces sénateurs.

En fait, rien de bien nouveau

Pour finir, le CIRC est étonné que les propositions sénatoriales soient présentées par leurs auteurs comme des progrès, ou même comme des nouveautés. Comme le CIRC le signalait dans un texte précédant la sortie du rapport (voir les annexes), cette initiative sénatoriale n’est pas isolée dans un mouvement général de la droite, qui a vu les principaux ministres proposer une contraventionnalisation systématique de l’usage ainsi que diverses sanctions sévères autres que l’incarcération, du cannabis essentiellement, jusqu’au président de la République. Nous annoncions une certaine surenchère venant de cette commission, ce en quoi nous avions raison. Ainsi des " centres fermés " pour toxicomanes, qui ne sont rien d’autres que des prisons pour toxicomanes – même s’il agirait essentiellement de fumeurs de cannabis.

Il y a une certaine fumisterie dans ces projets de modification actuellement à l’étude, du gouvernement au Sénat. Il y est question de supprimer la prison d’un côté et de généraliser les amendes et autres sanctions " alternatives " de l’autre pour tout consommateur de cannabis interpellé. Beaucoup auront remarqué que la prison est déjà rare pour simple usage au regard du nombre d’interpellations (quelques centaines de cas par an quand même) et qu’il y a déjà eu la fameuse et ambiguë circulaire Guigou pour limiter ces incarcérations pour " usage ", véritable honte du droit français et qui par ailleurs n’a guère ému la gauche plurielle passée (hormis les Verts), qui n’osa pas s’attaquer de front à ce tabou.

Le maintien de cette disposition pénale a permis d’entretenir un mythe : celui que " la loi n’est pas appliquée ", puisque " seulement " quelques centaines d’individus étaient incarcérés pour des dizaines et des dizaines de milliers d’interpellations annuelles. C’est oublier le nombre considérable d’usagers qui ont été déférés devant un tribunal, en application de la loi, pour se voir condamner qui à une amende, qui à de la prison avec sursis et amende, qui encore à la suppression de son permis de conduire et à la confiscation du véhicule, quand bien même les circonstances de son interpellation ne concernaient pas la conduite... Autant d’applications effectives de la loi même s’il n’y a pas recours à cette extrémité de la mise derrière les barreaux.

Et même si ce n’est que un sur dix ou sur vingt des 80.000 à 90.000 interpellés (ce qui représente entre un quart et un tiers du total des gardes à vue, un auditionné a même affirmé que la lutte contre les drogues illicites représentait déjà près de la moitié des activités policières, avec des tribunaux encombrés et une justice expéditive à la chaîne et peu homogène selon les sièges) pour simple usage de cannabis, cela représente déjà dans les 4000 à 5000 procès par an pour ce " délit " d’usage (souvent accompagné de " détention "). Avec à la clé une lourde amende dans la plupart des cas, une injonction et autres tracasseries seulement utiles pour pourrir la vie des fumeurs récréatifs, un peu selon les rêves obsessionnels du ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozi – les juges n’avaient pas attendu ses déclarations tonitruantes pour décider de ces sanctions. Qui peut dire alors que la loi n’est pas appliquée ? Seulement ceux qui croient que la loi peut en elle-même être un outil dissuasif de la consommation, et qu’il suffirait de la modifier un peu à la marge pour atteindre cet objectif méta-religieux, mais pas ceux qu’elle touche, bien entendu. Ou encore ceux qui tentent de déformer la réalité pour faire le procès idéologique de la gauche qui les a précédés aux fonctions exécutives de l’Etat ou législatives.

Peut-être que ces dispositions permettront un meilleur rendement dans la perception d’amendes à partir des interpellés, une sorte de racket bien organisé, avec moins de lourdeurs qu’avec le tribunal correctionnel – du moins pour la première interpellation –, mais cela ne changera pas grand-chose : malgré des chiffres vertigineux des interpellations – et des sanctions –, cela ne représentera toujours qu’une faible part du nombre total de consommateurs de chanvre indien, occasionnels ou réguliers, malgré une activité policière et judiciaire intense. Et ce sentiment de dépénalisation de fait, au vu du nombre de personnes fumant des joints dans toutes les classes sociales, apparemment en toute liberté dans des cadres privés, risque même d’être renforcé par la suppression officielle de l’incarcération pour usage simple de stupéfiants.

T cela restera " psychologique ", subjectif, une sorte de politique spectacle avec mise en scène. En effet, tout dépend de la qualification des faits : l’" usage " entraînant souvent une " détention ", cette dernière peut toujours servir à qualifier un usage en trafic, permettant alors toutes les incarcérations possibles, à la discrétion des policiers, procureurs ou juges. D’ailleurs, si le délit d’usage avait été introduit en 1970, c’était pour éviter d’avoir à poursuivre, à partir de la détention, pour " trafic " un simple usager que voulait emprisonner l’appareil judiciaire, comme cela se faisait alors. Délits qui devaient être alternatifs, mais qui dans la pratique se sont cumulés pour accabler davantage les contrevenants.

Cette loi ne réglera donc en rien la marge d’arbitraire dans les qualifications des faits liés aux stupéfiants en général. Et pour modifier des statistiques récemment critiquées (rapport trop faible de trafiquants pour le nombre d’usagers interpellés), on risque toujours de voir des qualifications de trafic repartir à la hausse pour des faits identiques.

C’est donc bien une loi rétrograde dans son esprit et réactionnaire qui se prépare, peut-être à partir des propositions de cette commission, un combat d’arrière-garde face à un phénomène sociétal que refusent les classes dirigeantes, avec des restes insupportables de paternalisme vieille France, considérant les citoyens comme des enfants à les " punir pour leur bien, pour leur éducation ". Une loi d’abord médiatique et démagogique qui jettera en vérité une lumière crue sur la réalité trop longtemps déformée de la prohibition, qu’il s’agit bien d’une persécution, d’une inquisition moderne, fer de lance d’un " rétablissement de l’ordre moral ", malgré les dénégations du ministre de l’Intérieur à Karl Zéro. D’ailleurs le thème de la " déliquescence morale " est cher au rapporteur Bernard Plaisat, tout comme l’idéologie ultrasécuritaire.

Les objectifs qui seront assignés à cette future loi auront alors sans aucun doute des succès identiques aux lois précédentes quant à l’incidence sur la consommation – de nombreuses études comparant les consommations des pays tolérants et des pays sévères ont déjà montré la très faible incidence des lois sur celle-ci. Elle sera surtout sensible sur la visibilité de cette consommation, en gonflant encore les chiffres, rendant alors la situation encore plus intenable. Cette loi creusera aussi encore un peu plus les fossés d’incompréhension entre générations, et même en termes de luttes des classes quand les cités populaires sont présentées comme des zones de " non-droit ", avec cette notion perverse de " classe dangereuse " de plus en plus prégnante.

Elle peut cependant, paradoxalement, avoir des effets bénéfiques pour faire avancer le combat antiprohibitionniste, et pas seulement en abolissant définitivement la prison pour usage simple, ce qui peut être perçu, surtout à l’étranger, comme un premier pas vers la dépénalisation. La circulaire Guigou avait atteint son but, faire en sorte que les classes moyennes et aisées, essentiellement les " bo-bo ", se sentent protégées par cette notion du cas par cas : ce ne serait pas eux ou leurs enfants qui iraient en prison, ou même devant le juge, mais seulement les " voyous des cités ", " les sauvageons " de M. Chevènement. Façon habile de limiter l’influence revendicative des antiprohibitionnistes auprès de ces tranches de population, essentiellement consuméristes et peu revendicatives.

Avec le projet de la droite – qu’on en attribue la paternité à la commission sénatoriale, au ministre de la Santé ou à celui de l’Intérieur, ou encore au président de la République lui-même, peu importe –, il est bien précisé que " tout le monde " subira ces nouvelles dispositions. L’apparente et fausse protection de la circulaire Guigou n’épargnerait donc plus ces classes qui se sentaient jusque-là non concernées par la répression. De quoi alors motiver de futurs engagements de qualité et influents pour une vraie modification de la loi, pour l’abrogation pure et simple de la loi de 1970 dans sa lettre et son esprit, et cela se sent déjà dans les commentaires et critiques de la presse concernant ces projets.

La dernière question qui subsiste est quel objectif réel poursuivent les auteurs du rapport ? Il y a bien sûr leur confort moral, leur idéologie utopique d’un monde sans drogues – sauf les leurs ou celles de leur entourage, à savoir les boissons alcoolisées –, qui exige que leurs conceptions s’appliquent à tous, par la force s’il le faut. La proposition la plus explicite quant aux objectifs politiques réels poursuivis réside dans les pouvoirs qu’ils veulent voir attribuer aux maires et élus locaux pour la lutte contre les drogues illicites. Rien de moins surprenant de la part des représentants de ces élus locaux ! Qui verraient là une source de pouvoirs renforcés pour le contrôle social de leurs administrés.

Les lois sur les drogues, au niveau de l’Etat, ont en effet permis de contourner toutes les garanties protégeant la vie privée ; il suffit d’invoquer ce prétexte pour légitimer toutes sortes d’investigations abusives dans l’intimité des citoyens, entravant ainsi toutes leurs libertés fondamentales. On comprend bien que, dans le projet de mettre en coupe réglée la société selon leurs desseins, la question de la répression des consommations des drogues illicites soit le fer de lance de l’idéologie sécuritaire et autoritaire, défendue avec zèle par le rapporteur de cette commission. Les dispositions exorbitantes du droit commun des lois sur les stupéfiants, sur le modèle des lois antiterroristes, ont même servi de cheval de Troie dans le droit commun, car de nombreuses dispositions qui étaient d’exception, avec la formule " sauf affaire de terrorisme ou de stupéfiants " qui émaille le Code procédure pénale, sont en train de devenir la règle suite aux dernières lois votées récemment au Parlement.

En tout cas, tout doit être fait pour contrer les propositions et arguments avancés dans ce volumineux rapport sénatorial, purement idéologique et réactionnaire à l’extrême, afin que la réforme nécessaire de la loi de 1970, et de ses dispositions aujourd’hui dans le Nouveau Code pénal, soit réelle et marque une rupture définitive avec la politique scandaleuse menée jusque-là en ce domaine.
Anonymous
 



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