Impact des drogues sur la santé mentale: rien n'est prouvé mais tout est à craindre, selon un rapport
PARIS (AP) - Si l'état de la recherche ne permet pas encore de tirer des conclusions générales sur les liens entre consommation de drogues et maladies mentales, une majorité de spécialistes préconise néanmoins l'application du principe de précaution, en particulier en ce qui concerne le cannabis et l'ecstasy.
"L'effort de recherche dans le domaine de la toxicomanie est très insuffisant et ne permet pas d'éclairer le débat comme il devrait l'être", regrette le député UMP de la Loire Christian Cabal dans le deuxième tome de son rapport sur l'effet des drogues sur le cerveau, établi à l'issue d'une journée d'étude organisée en février dernier par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques et dont une synthèse a été rendue publique mercredi.
Un constat également établi, à l'issue des débats, par le ministre de la Santé Jean-François Mattéi: "La recherche doit être une des priorités d'action dans le cadre du prochain plan quinquennal de lutte contre les drogues qui sera adopté par le gouvernement au printemps".
Christian Cabal insiste sur trois aspects du débat: se développent de façon inquiétante les polytoxicomanies, c'est-à-dire l'usage simultané de plusieurs drogues, licites ou illicites; l'ecstasy a des effets "redoutables"; et enfin les dangers de la consommation de cannabis sont avérés, même si des zones d'ombre demeurent sur ses liens avec la schizophrénie.
La plupart des intervenants ont insisté sur la dangerosité de l'ecstasy ou MDMA, "la cocaïne européenne" selon le Pr Ludo de Witte, de l'Inserm.
Le Docteur Didier Jayle, président de la mission interministérielle sur la lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), estime que "les drogues de synthèse sont peut-être le fléau de demain", tandis que pour son confrère Bernard Roques, auteur d'un rapport remis en mai 1998 à Bernard Kouchner, "on peut penser que la dangerosité de l'ecstasy est irréversible", et qu'elle "pourrait se traduire à long terme par des maladies neuro-dégénératives comme la maladie de Parkinson".
Quant au cannabis, dont il avait été accusé de banaliser la consommation, le Pr Roques estime que s'il "a une action très forte", "cela ne veut pas dire pour autant qu'il sera très addictif".
Entrant dans le vif du débat, le Dr Jayle juge au contraire que les effets du cannabis deviennent un "vrai problème de santé publique": "Il apparaît clairement dans l'expertise que le cannabis non seulement peut entraîner des états psychotiques aigus du type bouffées délirantes (...), mais qu'il peut aussi révéler, voire majorer, une fragilité schizophrénique", affirme-t-il, concédant toutefois que le nombre de cas de schizophrénie reste à peu près constant en dépit de "l'énorme augmentation de consommation de cannabis".
Malgré ces incertitudes, le professeur Roger Nordmann de l'académie de Médecine juge qu'"il faut que les jeunes aient un message clair: le cannabis peut vous perturber, il diminue votre liberté individuelle, vous pouvez devenir accro".
"Le cannabis, le tabac, l'alcool, sont des drogues", a renchéri M. Mattéi, jugeant que "le terme 'drogues douces' devait disparaître". Pour lui, le principe de précaution qui aurait dû être appliqué au tabac doit l'être au cannabis.
Au-delà des politiques de prévention ou de répression, parallèlement aux travaux de recherche, plusieurs spécialistes jugent que les pouvoirs publics devraient aussi comprendre que les jeunes considèrent les drogues comme une "béquille hédonique chimique".
Pour le Pr Maurice Tubiana, président de l'Académie nationale de médecine, "les problèmes du tabac ou de l'alcool ou du cannabis sont tous liés. C'est un problème de comportement des adolescents caractérisé par une indifférence à la santé et une indifférence aux prises de risque; autrement dit, un enfermement dans l'instant présent et une incapacité à se projeter dans l'avenir".