La consommation de cannabis moins pénalisée ?
Cannabis. " Un joint, une contravention ". C'est du moins la volonté
exprimée, à Vienne, par le ministre français de la Santé.
Fumer du cannabis ne devrait plus conduire en prison. C'est du moins la
volonté affichée la semaine dernière, à Vienne, en Autriche, par
Jean-François Mattei, le ministre français de la Santé. Dans l'entretien
accordé, en marge de la 46e session de la commission des stupéfiants de
l'ONU, aux journalistes de quatre médias dont l'Humanité, jamais il n'était
allé aussi loin dans ses propos.
À la tribune, Jean-François Mattei s'était félicité " des progrès évidents "
obtenus par la communauté internationale dans la lutte contre les drogues
(1). Dans son entretien, il a affirmé : " Il faut revoir la proportionnalité
des peines : un joint, une contravention. Par contre, le trafic et la
revente doivent rester des délits. " Pour lui, " la guerre aux drogues " est
" un enjeu de santé publique qui doit mobiliser la communauté internationale
", mais, a-t-il ajouté, " les toxicomanes doivent d'abord être considérés
comme des malades. Un toxicomane, ça se soigne ! " Sous-entendu : ça ne se
met pas en prison. Certains y verront la volonté du docteur Mattei de ne pas
abandonner le terrain des drogues à son collègue de l'Intérieur, Nicolas
Sarkozy. D'ailleurs, assure-t-il, " le regard de la société sur les
toxicomanes a changé ".
Lorsque la remarque lui est faite que sa proposition revient à dépénaliser
la consommation du cannabis et des autres stupéfiants, le ministre se
contente de récuser toute idée de laxisme et précise : " Cela ne veut pas
dire que le cannabis sera légalisé. Au moment où nous menons la guerre au
tabagisme et aux excès d'alcool, nous ne délivrerons aucun contre-message
laissant entendre que le tabac est mauvais et qu'il serait anodin de fumer
du cannabis. D'autant, poursuit-il, que nous sommes de plus en plus
convaincus que l'usage de cette substance a des effets nocifs sur la
combativité, la mémoire ou la motivation. Fumer des joints, c'est aller
moins bien en famille, à l'école. Si le tabac était une substance nouvelle,
nous interdirions sa mise sur le marché. Ce n'est sûrement pas pour en
légaliser une autre. "
Ainsi, Jean-François Mattei brise le tabou de la loi de 1970 qui a
transformé en délinquant tout consommateur d'un psychotrope illicite. Après
trente-trois ans d'application, force est de constater que la loi n'a pas
atteint ses objectifs. Elle a eu, en revanche, des effets pervers comme la
surpopulation carcérale, la clandestinité qui gêne la prise en charge
sanitaire et sociale des toxicomanes, etc. Jean-François Mattei a annoncé sa
volonté de réformer cette loi devenue, selon lui, " inapplicable " si bien
que les juges envoient rarement en prison les simples usagers de cannabis.
D'ailleurs, comment envisager l'incarcération des quelques trois à quatre
millions de personnes qui reconnaissent avoir fumé au moins un joint dans
leur vie ? " Une loi qu'on n'applique pas doit être réformée ", affirme donc
le ministre.
L'annonce de la dépénalisation de la consommation, même si elle ne dit pas
son nom, risque d'exposer le ministre au tir croisé de ceux qui assimilent
toute réforme de la loi de 1970 à du laxisme, et des partisans d'une
légalisation du cannabis qui y verront une demi-mesure. Il reste que le
débat sera enfin lancé, au plus haut niveau de l'État. Jean-François Mattei
estime " équilibrée et de bon sens " la politique française en matière de
lutte contre les toxicomanies, conjuguant répression des trafics,
prévention, soins et réduction des risques.
À la tribune de l'ONU, il a lancé l'idée d'une prochaine conférence
réunissant à Paris les nations situées sur les " routes de la drogue ", car
l'opposition traditionnelle entre pays producteurs et zones de consommation
n'a aucune pertinence. " Il y a cinq fois plus d'héroïnomanes en Iran qu'en
France ", a souligné le ministre.
Serge Garde
Merci daimonax
