* LE MONDE | 03.12.02 | 13h58
* MIS A JOUR LE 03.12.02 | 14h59
A Paris, un Salon du chanvre sous étroite surveillance policière
Les visiteurs se sont bousculés pour découvrir les produits dérivés de la
forme légale du cannabis.
Ils disposaient déjà de plusieurs manuels d'horticulture, de revues, de
sites Internet et d'une soixantaine de boutiques spécialisées sur tout le
territoire. Les cultivateurs de cannabis français ont aussi leur salon
international, qui s'est tenu pour la troisième année consécutive à
l'Espace Austerlitz de Paris, du 29 novembre au 1er décembre, sous
l'étroite surveillance de la préfecture de police.
A l'exception d'une odeur un peu suspecte à l'entrée, il n'y avait pourtant
pas grand-chose à verbaliser dans les allées bondées de ce festival
officiellement consacré au chanvre, la forme légale du cannabis dénuée de
substance psychoactive. Les policiers n'ont ainsi rien trouvé à redire à la
gamme sans cesse grandissante des produits dérivés de cette plante, qui
vont de la bière aux chaussettes importées de République tchèque, des
sucettes toulousaines aux pâtes alimentaires, du shampoing aux briques de protection phonique...
La plupart des visiteurs, rarement âgés de plus de 35 ans, n'avaient
toutefois pas payé 8 euros pour découvrir de nouveaux matériaux de
construction. Les plus militants se sont bousculés autour du stand du
Collectif d'informations et de recherches cannabiques (CIRC), qui se bat
pour la légalisation des drogues douces et dont le fondateur, Jean-Pierre
Galland, ancien "candidat en herbe" des Verts aux dernières élections
européennes, doit encore 22 000 euros à la justice pour avoir trop souvent présenté le cannabis "sous un jour favorable".
D'autres, les plus nombreux, étaient surtout venus chercher "du bon
engrais" ou des conseils auprès de la vingtaine de stands français,
hollandais, suisses ou allemands consacrés à la culture sous toutes ses
formes de l'herbe prohibée. "C'est juste une plante sauvage", proteste
Sébastien, cheveux rastas et yeux embués, qui s'est déplacé du sud de la
France pour "se renseigner". "Je vois pas pourquoi on devrait s'interdire
d'en faire pousser", poursuit-il, indigné qu'une telle forme de jardinage
soit assimilée à un crime, celui de la production de stupéfiants, puni de
vingt années de prison.
GRAINES À OISEAUX DE COMPÉTITION
Lampes "turbo-néon", extracteurs d'air, substrats... le fumeur de cannabis
français n'a en tout cas plus besoin d'aller en Hollande pour trouver tout
le matériel nécessaire à l'auto-production de sa drogue, qui pousse aussi
bien dans un placard en ville qu'à l'abri des regards dans un jardin de
campagne. Là encore, la police n'a semble-t-il rien trouvé d'illégal dans
ces outils de jardinage très sophistiqués dont les étiquettes publicitaires
sont ornées de jolies fraises ou de tomates rutilantes.
Au final, très peu d'exposants avaient d'ailleurs pris le risque d'afficher
sur leurs produits la célèbre feuille verte aux sept branches. Manuel Rubio
est l'un des rares à avoir bravé l'interdit. "Je ne risque rien, explique
ce détaillant toulousain. Je suis déjà passé deux fois en procès pour
incitation à la consommation, et j'ai toujours été relaxé. Je peux afficher
des feuilles de cannabis immenses, on ne peut rien me dire !" D'autres
n'ont pas eu ce privilège.
Quelques articles ont ainsi mérité un examen très attentif de la part du
commandant de la brigade des stupéfiants dépêché sur place. Il y a d'abord eu ce Pollinator, une petite machine dispendieuse (450 euros) qui permet de fabriquer soi-même du haschich à partir des fleurs de cannabis, et dont on voit mal à quoi elle pourrait servir d'autre. Le fonctionnaire n'a aussi pas tellement apprécié les brochures explicites et très demandées de la Sensi Seed Bank, première boutique de semences et de culture de cannabis en Hollande qui a remporté plusieurs trophées pour la qualité de ses produits.
Légal, pas légal ? Sur le stand, on ne trouve que les adresses des boutiques aux Pays-Bas, seul endroit où le client peut, en théorie, venir
s'approvisionner. Mais en pratique, il est déjà très facile de se procurer
en France des "graines à oiseaux de compétition", qui "mettent un coup de
turbo dans vot' moineau", comme l'explique la notice gracieusement remise à l'inspecteur de police à l'entrée du salon.
Sa ronde terminée, l'officier de la brigade des stupéfiants a été assailli
par les organisateurs, ravis de lui exposer leurs points de vue sur les
"ravages de la prohibition" ou les bienfaits du chanvre thérapeutique. Le
fonctionnaire n'a pas cherché à polémiquer. La seule chose qu'il a demandée à ses interlocuteurs, c'était de lui fournir un catalogue de l'exposition "pour avoir la liste des invités". "Ça m'évite de prendre des notes",a-t-il soupiré avant de rentrer rédiger son rapport.
Alexandre Garcia