Source: https://www.laprovence.com/article/edit ... raine.html
Marseille : les growshops ont le vent en poupe grâce à la vente autorisée de molécules de cannabis
S'engouffrant dans un vide juridique, les growshops, boutiques de culture hors sol, se multiplient, grâce à la vente d'extraits autorisés de molécules de cannabis
La vidéo tourne sur les réseaux sociaux. À l'image, le plus marseillais des youtubeurs, Bengous, prête son visage et sa voix pour promouvoir l'ouverture de la boutique de ses copains : "Pour tous les dégusteurs, ouais, ceux qui aiment le bambou, tu vois ce que je veux dire ou pas ? Ça se passe à Pompon Shop, ouais..." Les "dégusteurs qui aiment le bambou" sont invités à se rendre sur l'avenue de la Croix-Rouge (13e), en face de la cité du Clos la Rose, pour y débusquer tout le nécessaire à la culture... de plantes d'intérieur.
Terreau, mini-sécateur, engrais, lampe de culture, le matériel vendu est celui qu'on pourrait retrouver dans n'importe quelle jardinerie. Mais les petites balances, les papiers préroulés, les graines de chanvre de collection, les appareils à sécher les feuilles, les mini-chichas et autres accessoires "de planque" comme de faux briquets à fond ouvert ne laissent que peu de doute quant à la clientèle visée, celle qui a déjà l'habitude de se fournir pour d'autres consommations moins licites dans les cités du coin... "On s'est installé ici parce qu'on a grandi dans le quartier, à la Bégude, on sait qu'il y a beaucoup de fumeurs et qu'ils n'avaient jusqu'alors pas d'autre choix que d'aller en ville ou à La Valentine pour s'équiper", glisse Anthony Tahar, l'un des deux cogérants de la boutique qui a ouvert ses portes il y a un mois.
Sitôt informé de la libération du local, l'ancien salarié en communication-marketing a quitté la cave à bières qu'il tenait depuis quelques années à La Plaine pour se lancer avec son copain, Philippe Lombard, commerçant en fruits et légumes dans "ce rêve un peu fou", qu'il ne voit pas comme amoral : "Honnêtement, j'ai l'impression de faire moins de mal aujourd'hui que derrière mon comptoir d'alcools...", confie Anthony. Avec Pompon Shop, les deux gérants affichent un objectif : "être précurseurs à Marseille d'un marché qui explose en Europe."
En attendant la dépénalisation du cannabis
À savoir, en espérant la dépénalisation future du cannabis, celui de ses molécules, dont la vente est autorisée parce que dépourvues de substances aux effets psychotropes. C'est le cas du CBD qu'on retrouve déjà dans de nombreuses boutiques de cigarettes électroniques. Mais aussi dans les autres growshops de Marseille : le plus ancien a pignon sur rue depuis une quinzaine d'années à La Plaine, d'autres font partie d'un réseau de franchise, à l'instar de Culture indoor, qui abrite à La Valentine l'un de ses 130 magasins.
Les acteurs de ce business juteux se fournissent en Hollande, aux États-Unis, en Chine et développent des partenariats à Spannabis, le salon international du cannabis qui se tient à la mi-mars à Barcelone. Cette économie qui prend de la graine souligne l'hypocrisie d'un système dans lequel les entrepreneurs s'engouffrent en toute légalité, surfant prudemment sur les frontières de la réglementation en matière de stupéfiants et de médicaments. Vous avez dit parallèle ?
Un vide juridique : ce que dit (et ce que ne dit pas) la loi
Qu’est-ce qui est légal et qu’est-ce qui ne l’est pas ? Difficile de faire la part des choses dans ce marché qui joue sur les failles d’un système trop ou trop peu encadré. Aux Douanes, on nous répond que "l’appréciation des poursuites en vertu des intentions affichées par les individus mis en cause revient au Parquet." Le cadre légal, lui, est "fixé par le code de la Santé publique". Celui-ci punit, dans son article L.3421-4, de "cinq ans de prison et de 75 000€ d’amende la provocation" à l’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants ; ainsi que la provocation à la production, la fabrication, l’importation, l’exportation, le transport, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi illicites de stupéfiants "alors même que cette provocation n’a pas été suivie d’effet, ou le fait de présenter ces infractions sous un jour favorable. Est punie des mêmes peines la provocation, même non suivie d’effet, à l’usage de substances présentées comme ayant les effets de substances ou plantes classées comme stupéfiants."
Autrement dit, la vente de matériel de jardinage ou d’accessoires ne peut évidemment pas être condamnable, à condition de ne pas inciter à la consommation de cannabis avec une représentation visuelle et explicite de la plante. Par ailleurs, la vente de graines de chanvre est licite, mais elles sont destinées aux "collectionneurs" car l’acheteur reconnaît que s’il décide de planter et faire germer la graine, il s’expose à des sanctions pénales. La germination et la culture du cannabis sont en effet totalement interdites en France.
Est également autorisée la vente de produits contenant du CBD, le ministère de la Santé ayant notamment assuré la légalité des vapoteuses au cannabis. À une condition là encore : que les vendeurs ne fassent pas l’apologie des effets thérapeutiques de ces produits. Car l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a un avis diamétralement opposé à celui du gouvernement et juge la substance trop peu testée pour en connaître tous les effets. "Si le produit est présenté comme soulageant une douleur ou soignant une pathologie, nous intervenons car cela revient à lui prêter des vertus médicinales qui relèvent de la réglementation sur les critères d’autorisation de mise sur le marché des médicaments", explique David Martinez, à la direction de la communication de l’ANSM.
Le CBD, qu'es a co ?
- Le cannabidiol (CBD) est un cannabinoïde présent dans le cannabis. Il n’est pas régi par la loi sur les stupéfiants car à la différence du THC (tétrahydrocannabinol), il est dépourvu d’effet psychoactif. Le cannabis au CBD peut donc être vendu légalement s’il contient moins de 1% de THC. Ce qui explique que ce marché soit en plein essor notamment depuis l’explosion des ventes de cigarettes électroniques : le CBD est vendu sous forme liquide pour vapoteuse, mais on le trouve aussi conditionné dans des huiles ou des pâtes.
- Le CBD est présent dans plusieurs médicaments pour soulager des douleurs. Mais cette utilisation thérapeutique du cannabis autorisée en 2014 par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) reste strictement limitée "pour certains patients bien définis et selon des modalités très encadrées. Ni l’autoculture, ni les produits artisanaux ne sont autorisés", précise le décret la réglementant.
Deux condamnations
Jusqu’en 2018, les Marseillais Sébastien Beguerie et Antonin Cohen-Adad dirigeaient une entreprise florissante : "Kanavape" commercialisait depuis 2014 une e-cigarette au CBD. Mais leur business a pris un mauvais virage quand, au détour d’une interview accordée au média Vice, ils ont souligné les vertus thérapeutiques de leurs produits, se retrouvant aussitôt dans le viseur de l’ordre des pharmaciens. Interpellée, la ministre de la Santé Marisol Touraine a saisi la justice, invoquant "une incitation à la consommation de cannabis".
Entendu devant le tribunal correctionnel de Marseille, le duo a été relaxé le 8 janvier dernier pour la provocation à l’usage illicite de produits stupéfiants mais condamné pour le reste des préventions. Outre 5 000€ de dommages et intérêts à verser à l’ordre des pharmaciens, ils ont respectivement écopé de 18 mois de prison avec sursis et 10 000€ d’amende et de 15 mois avec sursis et 10 000€ d’amende. Les deux prévenus ont fait appel.