Source: http://www.sudouest.fr/2017/09/24/canna ... 4-4696.php
Cannabis à usage thérapeutique : où en est-on ?
Le cannabis médical sur ordonnance, en France, c’est pour quand ? Est-ce que ça soigne vraiment ? Et ailleurs, c’est comment ? On fait le point en cinq questions
Alors que l’usage du cannabis en France pourrait bientôt n’être puni que par une simple contravention, qu’en est-il de son usage thérapeutique ? Dans de nombreux pays, les patients gravement malades peuvent utiliser le cannabis pour soulager leurs souffrances physiques et psychiques, Mais dans l’Hexagone, son usage reste encore exceptionnel. Pourtant ce stupéfiant, banni de la pharmacopée française en 1953, est bel et bien un remède bienfaiteur.
1. Les vertus thérapeutiques du cannabis, comment ça marche ?
Le cannabis est une plante utilisée depuis l’Antiquité, dans de nombreuses régions du globe, du Moyen-Orient à la Chine en passant par l’Inde, pour soigner les maux du corps ou de l’esprit. Y compris à une époque pas si lointaine dans l’Hexagone, où il était largement vendu comme antidouleur à la fin du XIXe siècle, de 1845 jusqu’à 1885, et disponible encore dans les officines en 1953.
Pour mieux comprendre et évaluer le potentiel thérapeutique de ce médicament ancestral, des chercheurs ont analysé les molécules qui le composent : le tétrahydrocannabinol (THC), le cannabigérol (CBG), le cannabidiol (CBD) et d’autres principes actifs qui eux n’ont pas d’effet psychotrope. Isolé en 1964 par les chercheurs israéliens Raphael Mechoulam et Yechiel Gaoni, le THC est le cannabinoïde le plus abondant et le plus présent dans la plante de cannabis. Ses propriétés psychoactives agissent sur le psychisme en modifiant le rythme cérébral, les sensations et l’état de conscience.
Le système endocannabinoïde
Grâce à l’étude de l’action du cannabis sur le cerveau, des scientifiques ont découvert dans les années 1990 que l’organisme humain produisait lui-même des substances très proches de ce composant. Ils ont identifié dans le corps un ensemble de récepteurs cellulaires et de molécules spécifiques, appelés récepteurs cannabinoïdes, destinés à recevoir le THC, et ont baptisé ce système, "le système endocannabinoïde".
2. Quelles sont les preuves scientifiques des bienfaits du cannabis pour la santé ?
De nombreuses recherches ont été lancées sur le système endocannabinoïde qui semble intervenir en réaction favorables à de nombreuses situations de stress du corps et de l’esprit humain : anxiété, insomnie, douleur, inflammation… Elles ont démontré que le cannabis permettait notamment de combattre les nausées dues aux chimiothérapies contre le cancer ou dans les traitements du sida, redonnant de l’appétit aux séropositifs traités par trithérapie. Il aurait même une réelle efficacité pour le traitement d’une grande variété de cancers.
D’autres travaux ont prouvé qu’il soulageait les douleurs articulaires des arthritiques, diminuait les spasmes douloureux dans la sclérose en plaques et permettait de lutter contre les douleurs neuropathiques. Il combattrait aussi l'inflammation de l’intestin, comme dans la maladie de Crohn, et diminuerait certains troubles moteurs d’origine cérébrale, provoqués par l'épilepsie ou la maladie de Parkinson. Une étude scientifique publiée en 2012 indique que certains composés cannabinoïdes pourraient ralentir la progression du VIH dans l’organisme.
3. Quels médicaments sont autorisés en France ?
Les effets thérapeutique du cannabis sont plus rapides lorsqu’il est fumé ou inhalé. La question de sa toxicité se posant, l’industrie pharmaceutique a créé deux médicaments dérivés de cannabinoïde obtenu par synthèse : le Marinol (dronabinol), des capsules contenant une huile de THC synthétique, et le Sativex, un spray buccal diffusant THC et CBD, destiné à soulager les troubles de spasticité (incapacité à marcher, à prendre des objets, etc.) des malades atteints de sclérose en plaques. Malgré une autorisation de mise sur le marché en 2014, le Sativex, commercialisé dans 17 pays européens, n’est toujours pas disponible en France.
Autorisé dans l’Hexagone depuis 2013, le Marinol, n’est toutefois délivré qu’à titre exceptionnel. Pour être administré, il doit faire l’objet d’une autorisation temporaire d’utilisation nominative (ATU) donnée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ASNM). La demande devant être faite par un médecin hospitalier pour une durée limitée et renouvelable de 1 à 6 mois, après avoir justifié l’inefficacité des médicaments classiques. En dix ans, seule une centaine de patients on pu en bénéficier.
Aucun médicament à base de fleurs séchées de cannabis n’est par ailleurs légal dans le pays.
4. Quels sont les freins au cannabis en pharmacie ?
Premier frein officiel majeur à la commercialisation en France du Sativex : le manque présumé d’efficacité du traitement, pointé par la Haute autorité de santé qui a classé en 2014 le service médical rendu (SMR) de ce médicament "faible". Pourtant, selon des travaux menés par des chercheurs italiens, ce spray a fait la preuve de son efficacité : au bout d’un mois, 70,5% des malades connaissaient une amélioration d’au moins 20% de leur symptômes.
Non, le Sativex ne fait pas planer !
Autre frein : la crainte que le cannabis vendu sous forme de médicament n’encourage la dépénalisation et l’usage de la marijuana. Outre que le Sativex n’a pas les effets euphorisants et de dépendance que l’on peut observer avec le cannabis fumé, à titre de comparaison, l’usage encadré de la morphine n’a pas augmenté le nombre d’héroïnomanes. La production des plants destinés à la fabrication du spray, cultivés en Grande-Bretagne, est par ailleurs strictement contrôlée, tout comme le seraient le stockage du médicament en pharmacie et sa délivrance, ce qui est le cas de tous les produits opiacés. La véritable explication pourrait plutôt venir du prix du médicament.
600 euros la boîte
En effet, le prix proposé par le Comité Économique des Produits de Santé (CEPS), l’organisme chargé en France de déterminer le prix des médicaments remboursés par l’Assurance maladie, ne représente que 17 % du prix demandé par Almirall, le laboratoire espagnol qui commercialise le spray, vendu en Europe en moyenne 600 euros la boîte de trois flacons pour un mois de traitement.
En attendant, en France, ce sont quelque 5 000 patients qui pourraient en profiter et qui en sont privés. Lors d’un colloque organisé en 2016 sur le Sativex, l’association française des sclérosés en plaques et la ligue française contre la sclérose espéraient que le ministère de la Santé, auquel revient la décision finale sur le prix. A défaut, soulignaient alors les associations, les patients n’attendront pas que le médicament soit disponible en France pour soulager leurs symptômes, en fumant des joints d’herbe illégaux. Les plus aisés d’entre eux se le procurant déjà à l’étranger.
5. Et ailleurs ?
En Europe : dans l’ensemble, les traitements à partir de cannabinoïdes synthétiques sont autorisés. En revanche, à l’exception des Pays-Bas où ils sont vendus sur ordonnance, les traitements à partir de fleurs séchées du cannabis, ou d’extraits de cannabis, sont moins largement disponibles. Le Sativex est commercialisé dans 17 pays, dont l’Allemagne (qui a légalisé l’usage thérapeutique du cannabis en 2016), l’Espagne, l’Italie, le Royaume-Uni, la Belgique, la Suisse (où l’on peut acheter du cannabis en sachet ou sous forme liquide pour une cigarette électronique depuis le mois d’août 2016), etc.
En Israël : le cannabis est une drogue illégale, mais depuis une dizaine d’années, les personnes souffrant de cancer, d’épilepsie, de douleurs chroniques et de certaines maladies neurologiques peuvent se le procurer en traitement en pharmacie. Le pays veut faire du cannabis un médicament comme les autres et devenir le champion de l’exportation de cannabis médicinal et le leader d’un marché mondial qui devrait atteindre 50 milliards de dollars en 2025.
Aux Etats-Unis : 28 Etats autorisent la consommation du cannabis pour un usage médical, 10 autres l’ont légalisé sans réserve.
Au Canada : le cannabis médicinal est autorisé depuis 2001 et le Sativex disponible depuis 2005. Un permis de production et de consommation est accordé aux patients souffrant de certaines maladies.
►PLUS D’INFO
Deux livres à lire. "Cannabis sur ordonnance", de Martine Schachtel, éditions Albin Michel. "Cannabis médicinal. Ce qu’il faut savoir…", de Michael Backes, Hugo Doc, 24,90 euros.
Une association à contacter. Principes actifs, association d’information et de prévention concernant l’usage du cannabis thérapeutique.