Cultiver son cannabis, c'est aussi en vogue qu'illégal

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Source: http://www.ouest-france.fr/societe/drog ... al-4588011
Thomas HENG.


Cultiver son cannabis, c'est aussi en vogue qu'illégal
Pour éviter les embrouilles avec les dealers, gagner de l'argent facile ou fumer « bio », les cultures clandestines de cannabis se multiplient. C'est interdit et cela peut conduire... en prison.

Enquête
Tendance ?

La culture « maison » du cannabis, une tendance ? Le mot est en dessous de la réalité, réplique un magistrat nantais. Au point de saisir des pieds tous les mois en Loire-Atlantique ? « Vous rigolez ? C'est toutes les semaines », lâche-t-il.

Les services du procureur ont une grille pour graduer et uniformiser les poursuites pénales. « Trois critères principaux : le passé pénal du cultivateur, la quantité de pieds saisis et son niveau d'organisation. Trois pieds qui poussent comme ils veulent dans un pot au fond d'un jardin, ce n'est pas la même chose qu'une pièce d'une maison transformée en plantation, avec un lourd investissement en matériel. »

La moitié de l'herbe de cannabis fumée dans l'Hexagone serait de production française. Les saisies ont été multipliées par trois en cinq ans...
Trois profils

L'univers des cultivateurs de cannabis, c'est un gâteau coupé en trois parts. Les usagers qui font pousser leur consommation personnelle. Les fumeurs revendeurs qui assurent leur consommation personnelle et un complément de revenus en « dépannant » les copains, avec dix à trente pieds. Et ceux qui sont à la tête de quantités industrielles, les grands trafiquants, avec plus de cent pieds.
Gros bonnets...

Un enquêteur chevronné s'inquiète de ce qu'il entrevoit comme un nouveau et juteux business. « La culture s'améliore, le rendement des pieds aussi. On sait que de grands trafiquants tirent les ficelles de plantations géantes en France. Ils évitent les risques énormes de l'importation de drogue, en go-fast, depuis le Maroc. Et améliorent leurs marges. »

Exemple ? 4 000 pieds ont été découverts à Malville en 2015 ! Les cultivateurs peuvent miser sur quatre récoltes annuelles et le produit s'écoule à 3 000 € le kilogramme... L'enquête a été confiée à une juridiction spécialisée dans les trafics de drogue internationaux.
Effet « bobos »

Anecdotique, marginal, mais « réel », l'effet bourgeois bohème. « Quand on achète de l'herbe dans la rue, on ne sait pas trop ce qu'on fume, raconte un policier. Il y a des produits chimiques. Des bobos nous expliquent qu'ils cultivent eux-mêmes pour être sûrs de ce qu'ils inhalent. » Dans la drogue comme dans les paniers de légumes, « la mode est aux circuits courts ».
Case prison

Le Code pénal prévoit que la production de drogue est un crime, passible de la cour d'assises ! Dans les faits, jamais les producteurs de cannabis, y compris en grande quantité, ne sont poursuivis devant ces juridictions encore réservées aux meurtres, viols, assassinats...

Pour autant, les producteurs s'exposent à des poursuites. Elles vont du simple rappel à la loi (inscrit dans les fichiers de la justice) aux peines de prison. « La détention de stupéfiants est punie jusqu'à dix ans », rappelle un magistrat. Les sanctions de ce niveau sont toutefois réservées aux trafiquants de drogues dures à la tonne. Mais les peines de prison et grosses amendes ne sont pas rares.
Matériel

La vente du matériel indispensable à l'épanouissement de cette plante qui demande chaleur, lumière et humidité, n'est pas interdite... Des boutiques avec pignon sur rue en proposent. L'astuce, c'est que les lampes, les extracteurs d'odeur (lire ci-dessous), les appareils de contrôle de l'hygrométrie ne sont pas vendus pour faire pousser de la drogue mais pour le jardinage d'intérieur... Nuance qui suffit à éviter les ennuis.

Un « kit » de démarrage, c'est au moins 500 € d'occasion sur internet. Et plus souvent 1 000 ou 1 500 € en magasin. « Pour poursuivre ces revendeurs, il faudrait prouver qu'ils avaient connaissance que le matériel a été vendu pour la drogue. » Comme si un armurier avait vendu un fusil pour un meurtre plutôt que pour chasser des palombes.
Les graines ?

Sans avoir besoin d'avoir recours au darknet, l'internet clandestin et intraçable, une simple recherche sur Google suffit : des dizaines de commerçants numériques y proposent leurs graines moyennant quelques piécettes. Le client a le choix du rendement, de la taille, du parfum... Comme pour des fraisiers dans une jardinerie !
Les cannabiculteurs se croyaient à l'abri...

« Ce qui perd les cultivateurs, le plus souvent, c'est l'odeur ! » Les plants de cannabis dégagent un entêtant et puissant parfum. Les producteurs avisés le savent et utilisent des extracteurs d'air et des appareils de ventilation. Ce n'est pas imparable. Il suffit d'un coup de vent défavorable... À Nantes, il n'y a pas si longtemps, un passant a senti une drôle d'odeur dans la rue en attendant son bus. Il a prévenu la police qui a saisi une plantation dans un appartement voisin...

Bien souvent aussi, gendarmes et policiers ont la chance du hasard. « Quand on perquisitionne pour des cambriolages, il est fréquent de tomber sur quelques pieds... Ce sont des gens qui ont un rapport à la loi très... élastique. »

Dans le cas d'une des plus grosses plantations démantelées ces derniers mois, c'est une caméra de surveillance scrutant les entrées devant un hangar à l'abandon, au sud de la Loire-Atlantique, qui a mis la puce à l'oreille des gendarmes : huit cents pieds à l'intérieur !

Enfin, et c'est vieux comme le monde du trafic de stups, un concurrent ou un client mécontent se fait un plaisir de balancer un tuyau aux enquêteurs.